Je voudrais te dire juste un mot : plastique ! Comment dois-je comprendre ça ? Le plastique, c'est l'avenir. Penses-y ! Je le ferai. Chut ! Assez parlé. Ce bref dialogue est extrait du Lauréat (1967), avec Dustin Hoffman, qui annonce la révolution des moeurs... et l'arrivée du plastique dans nos vies. Car, en ces années 1960, le plastique est pop, à la mode, conquérant, il représente autant l'avenir que la modernité.Les bas Nylon étincelants, les dentelles en Perlon, les brillantes robes de polyester embellissent les femmes. Dans les cuisines, une vaisselle en plastique multicolore remplace la fragile et coûteuse porcelaine, le Formica rivalise avec le bois. Dans les salons, les réunions Tupperware font fureur. Avec la popularisation du plastique, événement industriel autant que métaphysique, l'homme transcende la matière grâce à la chimie, invente un man made material plus résistant que le bois, plus léger que l'acier, plus souple que le caoutchouc, et qu'il peut, tel un démiurge, modeler à sa guise. Dans ses Mythologies (1957), Roland Barthes s'enthousiasme pour la nouvelle 'substance alchimique' qui permet de créer mille objets sans être coûteuse. 'Pour la première fois, écrit-il, l'artifice vise au commun, non au rare (...). Le monde entier peut être plastifié.' Roland Barthes a raison, hélas ! Le monde va être plastifié jusqu'au fond des océans. Au printemps 1997, le navigateur Charles Moore traverse par hasard le lent tourbillon subtropical du Pacifique Nord. Soudain, voilà son bateau entouré d'une quantité de bouteilles en plastique, brosses à dents, sacs, casquettes, jouets d'enfants, dérivant dans le sens des aiguilles d'une montre. Il vient de découvrir 'the Great Pacific Garbage Patch' ('la grande zone de détritus du Pacifique'), aujourd'hui tant décriée. En août 1998, il retourne sur place avec un chalut pour prélever des échantillons. Il estime à l'époque que ce 'vortex de détritus' est constitué d'environ 3 millions de tonnes de déchets en plastique. Après dix ans d'enquête, quelles sont, selon vous, les pires conséquences du tout-plastique ? Werner Boote : Aujourd'hui, le plastique nous encercle comme une sorte de bouclier invisible. Il est partout, jusque dans notre sang. Il est devenu une menace directe pour l'environnement, pour les animaux comme pour les être humains. Sur le même sujet img src="http://s1.lemde.fr/image/2010/05/05/155x0/1346972_3_c173_un-parc-de-jeux-tout-plastique-a-seoul.jpg" alt="Un parc de jeux " plastique"="plastique"" title="Un parc de jeux " plastique"="plastique"" border="0" / Enquête Plastique, l'ennemi intime Interview " Il faut arrêter la production des plastiques dangereux " Edition abonnés Archive : Gérard Férey : "Pas d'avenir sans la chimie" Hélas !, nous nous en apercevons trop tard. Désormais, chacun a entendu parler des désastres causés par l'omniprésence des déchets en plastique tout autour du monde, et surtout des énormes quantités qui flottent et qui coulent dans les océans. Mais peu de gens savent que des substances dangereuses pour la santé humaine entrent dans la composition du plastique, et que des études les associent à certains cancers, à des réactions allergiques et à l'infertilité masculine. Vous dites que nous sommes entrés dans l'"âge du plastique"... Aux âges de la pierre, du bronze et du fer a succédé celui du plastique. La quantité de plastique produite depuis les débuts les années 1960 suffirait à recouvrir la terre entière de six couches épaisses ! Les industriels du plastique génèrent 800 millions d'euros de bénéfice par an. Aujourd'hui, le plastique nous cerne, il est dans les parquets stratifiés, les innombrables boîtes, les semelles des chaussures, les vêtements, les meubles, l'électronique, les jouets, les voitures, partout. L'époque où le plastique n'existait pas nous semble inimaginable. Parlez-nous de votre analyse de sang… J'ai été choqué de découvrir un taux très élevé d'une substance aujourd'hui considérée comme dangereuse par nombre d'études, le bisphénol A. Les membres de mon équipe ont fait les mêmes tests, qui eux aussi ont montré un taux important de bisphénol. Ces résultats confirment ce que des scientifiques dénoncent depuis des années, à chaque fois contredits par les industriels du plastique et leurs prétendus experts : chacun d'entre nous possède plusieurs substances issues du plastique dans le sang. Cela dit, je veux envoyer un message positif. Un an et demi après cette analyse, depuis que j'évite tout usage d'objet en plastique, mon taux de bisphénol a baissé. Vous êtes-vous rendu sur le "vortex de plastique" au large de la Californie ? Sur place, vous ne distinguez pas grand-chose, le plastique ne flotte pas toujours en surface. La catastrophe majeure vient de ce que le plastique se désintègre en minuscules billes que les poissons prennent pour du plancton et qui les tuent. En 1997, quand le capitaine Charles Moore a découvert le grand "vortex de détritus", il a observé sur place six fois plus de plastique que de plancton. Dix ans plus tard, lorsque je l'ai accompagné au large de Hawaï, il en a détecté soixante fois plus ! Aujourd'hui, des océanographes ont découvert d'énormes plaques de plastique dans l'Atlantique Sud, l'océan Indien et la mer du Nord. Est-il possible d'échapper au plastique ? Nous n'y échapperons pas. Nous sommes les enfants de l'âge du plastique. Nous en avons besoin. C'est aux consommateurs et aux hommes politiques d'arrêter la production des plastiques dangereux, de pousser les industriels à fabriquer des bioplastiques – aujourd'hui 0,5 % des plastiques existants –, et d'utiliser des produits de substitution comme le verre. À LIRE, À VOIR Plastic Planet. La Face cachée des matières synthétiques Film de Werner Boote et Gerhard Pretting, Actes Sud, 260 p., 21 €. Plastic Planet Documentaire de Werner Boote (1 h 35). Sortie en salles en avril 2011, à l'occasion de la Semaine du développement durable. Propos recueillis par Frédéric Joignot