En ce mois de septembre 2024 consacré au recensement général de la population du royaume, que peut susciter en nous la visiond'un homme préparant sa litière dans un terrain vague ? Dans une ville côtière, entre deux ensembles immobiliers construits par un opérateur public ; et certainement en attente d'être pris par la promotion immobilière, la silhouette étale le carton qui valui servir d'isolant contre l'humidité du sol et de celle de l'atmosphère chargée d'embruns. Telle une ombre chinoise, on voit sa silhouette bouger. Le corps est protégé par tout ce qui peut servir à cela, des haillons récupérés et des souliers qui s'adaptent à plusieurs chaussettes. Si le froidn'est pas craint dans la nuit estivale, c'est tout ce qui rampe et qui arrive à s'introduire à travers toute déchirure qui constitue la hantise du réveil en pleine nuit. La chaleur du corps est assurée au préalable par un dosage alchimique qui détache le corps de son environnement, le laissant voguer à travers les étoiles qui se voient ou qui relèvent de l'imaginaire vagabond. Sera-t-il recensé en tant qu'habitant du royaume ? Aura-t-il l'occasion de répondre aux questionnaires d'un agent recenseur ou sa fugacité résidentielle le retranchera des statistiques qui seront produites après le recensement ? Voulant comprendre l'histoire de cette vie errante (une enfance happée par l'ajustement structurel des années quatre-vingt du siècle dernier, une délinquance mineure qui s'aggrave...) que l'on se retrouve rattrapé par le présent dramatique : une ruée à travers les versants par une multitude de jeunes qui, sur les cimes des reliefs entre les cordons sécuritaires et la mer, marche vers l'horizon ; aux environs de Sebta. Abasourdi par le réel qui dépasse l'entendement, on cherche à comprendre. Ces jeunes, fuient-ils le recensement, opération censée cerner les déficits des politiques publiques entamées et déterminer les priorités de demain. Priorités pour notre jeunesse…. N'ont-ils plus confiance, bernés par les discours et corrompus par le temps qui file entre leurs mains ? Attirés par les sirènes de l'immigration vers un avenir incertain ; car n'ayant plus d'espoir pour se réaliser dans leur propre pays, ils courent tous les risques en répondant à un appel mystérieux propagé par les réseaux sociaux. Ils sont venus, ils sont tous là, comme dans la chanson, sauf que ceux-là (et celles-là), des mineurs à ce qu'il semble, ont abandonné leur mère pour une mer qui risque de les engloutir. Quelle que soit la position envers cette migration massive et clandestine on ne peut rester indifférent aux drames qu'elle suscite. Chacun de nous est interpellé par cette situation dramatique et provocante. Pourquoi vouloir fuir un pays où tous les ingrédients du bonheur sont réunis ? Le plus beau des pays chanté et louangé à raison. C'est vrai que les moyens de quoi se les payer, ces ingrédients du bonheur, ne sont pas disponibles pour tout le monde. Que certains en ont plus que d'autres. Que l'espoir d'en avoir est devenu incertain ; et que se jeter à la mer est devenu une gageure qui pourrait changer la vie en autre chose que cette attente lancinante, mère de tous les vices et qui a enfanté ce désespoir traître et suicidaire. Une attente qui s'est infiltrée partout, touchant l'os et ce qu'il supporte. La violence sévit et la maltraitance est atroce, marquant les corps et les esprits. Et le gouvernement qui reste dans son mutisme ! Il continue à être ailleurs.Mais, s'il estime qu'il est interpellé plus que d'autres par cette tragédie sociale, il n'a qu'à réagir sincèrement pour s'expliquer sur cette errance et proposer, en urgence, les moyens adéquats pour l'arrêter car elle est insupportable. Notre souffrance est indescriptible dans cette spirale de l'histoire qui nous ramène en arrière.