Du «Cheval de Troie» jusqu'au virage numérique des temps modernes et ses réseaux sociaux, la société mondiale est pétrie de désinformation. La pratique a été adoptée dans les guerres pour «soumettre l'ennemi sans combattre», selon les termes du général chinois Sun Tzu, auteur du célèbre ouvrage «l'art de la guerre». Aujourd'hui, elle est devenue l'instrument de plusieurs médias pour «soumettre» l'opinion publique. La manœuvre consiste à détourner l'attention des problèmes réels pour verser dans l'émotionnel, semer la peur ou accroitre la pitié, afin de servir la «thèse». C'est ainsi que le crime contre l'humanité est traité comme un simple fait divers, voire occulté, tandis que le fait divers est malignement mis en exergue. Et souvent amplifié par une manipulation du langage pour persuader, en le renforçant encore par des images afin de lui donner une forte charge émotive pour bien manipuler les passions. C'est la manœuvre orchestrée, depuis quelques jours, par la presse espagnole pour aborder la thématique de la crise déclenchée entre la péninsule ibérique et le Maroc. L'origine de la crise est ainsi soigneusement occultée pour mettre sur le devant de la scène politique et médiatique des drames de l'immigration. Dans ce sillage, l'acte criminel de falsification d'un passeport diplomatique pour échapper à des poursuites judiciaires n'a pas interpellé ces médias. Et ce, même si les accusations portent sur des faits extrêmement graves arrêtés par une justice que l'on ne cesse de dire «indépendante». Cela a fait la manchette des journaux surtout lorsque cette même institution avait lancé des poursuites judiciaires contre l'ancien roi d'Espagne, Juan Carlos, pour corruption, blanchiment d'argent et évasion fiscale. Finalement, il s'est révélé au grand jour, par ce traitement médiatique, que cette justice fonctionne suivant le principe de deux poids, deux mesures. Pire encore, aujourd'hui plusieurs informations laissent entendre que les différents appareils espagnols cherchent à «libérer», sans juger, le mis en cause, le dénommé Brahim Ghali et le conduire sain et sauf en Algérie. Même le «médecin», qui a accompagné le chef des milices séparatistes, serait entré en Espagne sous une fausse identité, celle d'un médecin de l'hôpital militaire à Alger, décédé il y a maintenant 10 ans. Voilà le «pack de crimes». Tenter d'occulter un crime d'une telle rare ampleur à l'échelle mondiale révèle que la mission de ces médias n'est plus celle d'informer et de servir l'intérêt général. Mais, elle serait réduite à des rôles dans la dramatisation de la politique, le divertissement servant d'autres parties, la fragmentation de l'information privilégiant la banalisation et la tromperie délibérée. Ces médias, qui servent ainsi de véritables caisses de résonnances, optent pour la négation de certains faits, l'inversion d'autres, le mélange du vrai et du faux avec titrage divers, une modification des causes et des circonstances. A la manipulation de l'image s'ajoute une bataille «à coups de mots». «Tout l'art de la guerre est fondé sur la duperie», disait Sun Tzu. Et suivant cette tendance à se copier les uns les autres pour s'aligner sur l'actualité et traiter «ce dont on parle», plusieurs médias européens ont repris la même image illustrant la même désinformation. Et le tour du monde est effectué. Même l'agence fondée par le Normand Charles-Louis Havas, il y a plus de deux siècles, est montée au créneau pour jouer d'autres rôles au détriment de sa mission d'informer. Voilà comment le sujet s'est retrouvé en fin de compte amplifié au grand bonheur du désinformateur ibérique. C'est ce qui est arrivé dans le cas de cette crise entre l'Espagne et le Maroc et c'est ce qui était arrivé bien avant avec plusieurs sujets liés à l'immigration dans le vieux continent. L'enfance toujours au centre de la photo choc des drames des migrants Depuis que la méditerranée est devenue une mer «cimetière à ciel ouvert», personne n'ignore les drames de l'immigration que des voix servant la doctrine dominante appellent «clandestine». A ce propos, les médias rapportent l'information orientée toujours sous l'angle sécuritaire et non pas humain. «La police a interpellé plusieurs migrants clandestins», lit-on à la Une des médias et non jamais un traitement sous une approche humanitaire laissant entendre par exemple : «plusieurs personnes ont tenté de fuir la misère». L'image du corps sans vie d'un enfant syrien (Aylan) de trois ans, «retrouvé» sur une plage turque le 2 septembre 2015, et qui avait fait le tour du monde et suscité une vague d'émotion, n'a finalement pas servi les migrants et l'immigration. Pratiquement tous les médias européens avaient présenté le destin de cet enfant comme le symbole de la crise migratoire, souvent réduite à des chiffres. Mais, une fois l'effet de la photo a été obtenu, en permettant à chaque pays européen d'accueillir son quota choisi parmi les migrants qualifiés pour servir son économie, le thème a été renvoyé aux calendes grègues. Presque trois ans plus tard, un migrant malien sans papiers a été régularisé, naturalisé français et élevé au rang de héros en France après avoir «sauvé un enfant». Après l'effet de la communication et de l'exploitation d'une «scène pathétique» que plusieurs voix avaient remis en cause, personne n'évoque le sort des sans-papiers «pourchassés, maintenus dans la précarité et non reconnus dans leurs droits» en France ou ailleurs en Europe. Il faut dire que le sort de l'Afrique serait scellé par les puissances européennes depuis la mise en œuvre des enjeux de la Conférence de Berlin en1884 lorsque ces puissances se sont réunies pour se partager le continent africain. Elles ont exploré les terres et établi des comptoirs de commerce avant l'arrivée des multinationales pour formater le reste. C'est ainsi que les causes de l'émigration d'aujourd'hui ont été créées. «Toute immigration est précédée d'une émigration», disait Gérard-François Dumont géographe, économiste et démographe français. C'est pour immigrer en Europe que ces subsahariens ont émigré de l'Afrique. Les causes sont principalement économiques et parfois politiques, mais le mal d'origine est toujours le même. En fait, c'est l'Europe qui assume la responsabilité de ce mal depuis l'époque où ses puissances avaient fixé les frontières de l'Afrique, même si quelques modifications ont eu lieu après la première guerre mondiale, lorsque l'Allemagne avait perdu ses colonies. Voilà l'histoire que tentent d'occulter ces médias servant la doctrine dominante. Mais, «on ne peut cacher le soleil par un tamis», dixit un vieil adage, signifiant qu'une partie ne peut empêcher la vérité d'être connue.