Le grandissime homme du théâtre et de la poésie, Abdelkader Ababou, est alité dans le centre hospitalier universitaire de la cité ocre. Depuis déjà quelques temps, la santé lui joue de mauvais tours, lui qui n'aime pas être malade, pour avoir suffisamment de forces à poursuivre sa raison d'être dans ce laps d'énergie qui lui reste encore. Ababou vit pour produire de la création à l'adresse du public, de la société, de l'homme. Plus de cinq décennies, il a vécu comme cela, à lire, écrire et monter des pièces de l'art dramatique, partout où il va, dans le café, sur scène, à la maison, sur le chemin du travail. Ababou se fond pour les planches, se sacrifie pour les gens pauvres, s'émeut pour la justice et le progrès, s'écrie pour que règnent les vertus et s'insurge contre le mal et la hideur. Dès son atterrissage sur Agadir, à la fin des années 70, après avoir mené une enfance paisible dans les saveurs banlieusardes de Dar Ould Zidouh, du côté de Beni Mellal, il vient creuser les lits des rivières de l'art et de la culture. Des générations s'y sont alors précipitées pour s'y abreuver à souhait et, petit à petit tels des oisillons, ont appris à voler de leurs propres ailes pour inonder le paysage théâtral de chef-d'œuvres aussi limpides que percutants. Tout au long de ce chemin, à travers Anouar Souss ou encore Ounamir, Ababou est intransigeant sur le détail, exigeant sur l'attitude du comédien, méticuleux sur le choix du texte, l'espace scénique, sur l'esthétisme d'ensemble ainsi que le message à diffuser. Rien n'est laissé au hasard, nul de futile ne devrait altérer l'attention du récepteur, chaque objet sur scène est censé avoir une fonction…il avait toujours l'habitude de dire à ses disciples, comme disait le philosophe marxiste, Louis Althusser : « Rien n'est gratuit, tout a un sens ! ». Ababou eut également le grand mérite de fonder, en compagnie de mordus de l'art théâtral de la région, le festival de théâtre qui a résisté durant une décennie et demie. Cette nouvelle épreuve qui a vu le jour au début des années 80, a pu drainer en son sein, les sommités de l'art dramatique du pays, tels Hassan Lemnii, Mohamed Kghat, Abderhmane Benzidane, Meskini S'ghir, Abdelkrim Berrechid, Mohammed Kaouti, Abdelmjid Saadallah, Salem Kouindi…Cet événement de haute qualité de recherche et prestation auquel s'investissait l'union de théâtre d'Agadir dont le président était Abdelkader Ababou, est parvenu à insuffler une fantastique dynamique dans les veines du théâtre national engagé qui, à l'époque, présentait des signes d'essoufflement. Ce fut, par la suite une panoplie d'expériences similaires qui émergeait un peu partout sur le territoire du royaume. Ababou était également un critique d'art et un poète de haute qualité. Il donnait à la poésie libre et progressiste une sève toute particulière au niveau du langage et de la métaphore. Il s'attelait aussi à s'approprier une ligne de mise en scène qu'il baptisait « La mise en scène dialectique » dont les fondements étaient inspirés de la fameuse méthodologie du « troisième théâtre » et surtout du « théâtre pauvre », initié par le dramaturge polonais, Jersey Grotowski, qui prône la pérennisation de l'action théâtrale à travers la communion théâtre/spectateur en permanence… Ababou luttait, depuis le bas âge contre le diabète, souffrait sans gémir ni quémander de faveurs et s'en va, chaque jour, poser une nouvelle pierre à son échafaudage théâtral dans le cœur et l'esprit des jeunes de l'école de formation du théâtre Ounamir… Syndicaliste de proue au sein de l'UMT pour défendre les droits des travailleurs et combattre la voracité du patronat et ses acolytes, Ababou trouvait aussi du temps à se rallier aux luttes que mènent ses camarades du PPS contre la dépravation et l'injustice. Aujourd'hui, ce grand personnage qui a dédié toute sa vie pour ces nobles causes, gravement atteint de la maladie qui pourrait, à tout moment, mettre un terme à cette flamme illuminée, a besoin du soutien de toutes les bonnes volontés… Nous espérons qu'il sortira de cette peine indemne et qu'il poursuivra sa mission que nul ne peut lui enlever. Prompt rétablissement camarade! Saoudi El Amalki