Je ne prétends pas porter une critique de cette œuvre, je livre seulement et succinctement mes ressentis sur «Discours des faces inclinées» du romancier marocain Hicham Najeh. «Discours des faces inclinées», un roman aux allures psychologiques à multiples facettes et à plusieurs voix qui met en scène des personnages lugubres qui ont tous plus au moins des secrets glauques. L'auteur excelle à peindre les portraits de tous les personnages, à les psychanalyser alternativement l'un ou l'autre et à faire évoluer leurs destins au fil de l'histoire. Un roman qui traduit les dynamiques profondes des identités migrantes qui ne trouvent et ne retrouvent leur foyer nulle part, raconte leurs désillusions, leurs souffrances, leurs peurs, leurs blessures, leurs échecs, leurs traumatismes, leurs secrets et leurs frustrations. Un roman qui narre les rêves et les espoirs des militants qui en vain croient lutter pour un monde juste. Un livre qui aborde l'absence physique du père et les répercussions de cet abandon sur l'imagination de l'enfant/adulte. Un livre qui décrypte des relations sociales, décortique l'ambiguïté et la complexité des rapports humains et accorde une place importante au comportement et à la psychologie humaine. L'écrivain se glisse dans la tête et la peau de ses personnages, dissèque leur psychologie complexe et explore à fond les tréfonds de leur âme abimée. Le roman s'ouvre sur les trois principaux héros/visages dans une soirée de décompression: Hmamou, sa psychologue Monika et le professeur Fertas. Hmamou, notre protagoniste principal est rongé par la douleur d'une enfance malheureuse, pauvre et triste. Il refuse sa mère rigide (vide de sentiments) et la voit comme une abjecte créature. Pourtant, il va devoir la soutenir et l'arracher de la pauvreté incroyable dans laquelle elle s'englue. Hmamou, le portrait d'une jeunesse marocaine désespérée qui fuit sa patrie pour un monde meilleur, prête à tous les sacrifices pour échapper à la pauvreté et à la cruauté locale. Hmamou se trouve à Bayonne, en France, de l'autre côté de la Méditerranée, pour vivre la réalité des immigrés. Une personne profondément malheureuse, anxieuse et dépressive. Il souffre d'un manque de sérotonine qui nécessite un suivi psychothérapeutique. Rassuré en profondeur sur l'affection et la tendresse que lui porte sa psychologue Monika, Hmamou se raccroche à elle. Un attachement pour combler ses carences affectives, alléger les douleurs de sa mémoire et soigner l'homme/enfant blessé de l'intérieur. Entre nos deux protagonistes, se noue une étrange relation confuse, prise dans un conflit entre dépendance, domination, rancune et amour: une sorte de servitude douce. Derrière la personnalité forte et confiante de Monika, se cache une vraie femme/fille qui a manqué d'affection et est partagée entre deux cultures. Elevée par sa mère à l'occidentale, elle rêve aussi de cette Algérie à laquelle elle est reliée par ses origines paternelles. L'Orient lui tient au cœur. Elle aime le Pays-Basque, où elle est née, mais rêve aussi d'une rencontre sur ses terres avec son père Hmida, car sans pratiquement le connaître, elle l'aime. Elle voit en Hmamou cette autre partie manquée/perdue en elle. Hmamou, lui symbolise le père absent, le père puissant. Avec lui, Elle découvrira aussi une grande satisfaction sexuelle. C'est lui, Hmamou, le mâle fort capable de la faire frissonner et divinement frémir. C'est le seul qui sait fouiller profondément avec son bâton de chair dans sa fournaise, s'enfoncer plus fort et plus loin, attiser le feu et lui offrir un voyage au septième ciel. Prise dans ses fantasmes, où le désir vainc l'orgueil, Monika atteint son extrême orgasme le dos sur les dossiers de ses patients dispersés sur son bureau de travail. Nous découvrons ici les douleurs internes infernales, les profondes blessures de Monika non pansées provoquées par l'abandon paternel. On sent le vide émotionnel et le manque affectif dans son cœur, que son père a laissé en elle. Vide si grand que Monika, inconsciemment, cherche à combler chez Hmamou en «l'aimant» suffisamment fort. Un attachement, loin des réels sentiments fondé sur la dépendance. Relation authentique à celle qui avait uni sa mère Xexili et son père Hmida et dont elle a été le fruit. Le père, Hmida, vivait aussi un manque d'un autre type, souffrant de la détresse psychologique des immigrés. Ancien bachelier qui abandonna son Algérie natale pour le pays basque en quête d'un avenir meilleur. Profondément touché par la solitude d'immigration, il cherchait dans «l'amour» de Xexili un moyen d'apaiser son sentiment d'inexistence, d'alléger ses besoins et ses manques. Une merveilleuse opportunité qui n'a pas pu guérir ses blessures, mais qui lui a permis de voir à l'intérieur de lui même, se rendre compte du non sens de sa vie et s'enferma dans le silence. Il se coupa de tout lien autre, y compris de sa fille Monika qu'il ne vit pas grandir, pas même en photo.Il se recentra sur la foi et ouvrit son cœur à Dieu. Xexili, la maman qui n'a jamais connu l'amour, vit en sa mort une libération éternelle de toutes les douleurs et souvenirs. Notre héros, Hmamou, va se laisser aller à une aventure avec Tata Martine, la vieille du Parc, la bourgeoise de l'âge de sa mère aux yeux brûlants de désir. Bien seule et dans le vide de son luxueux lit, la bourgeoise Martine est à la recherche de la personne qui prendra soin de ses sentiments et réveillera sa sexualité. La dépendance de l'un pour l'autre est forte. Tata Martine trouve en Hmamou la chaleur sexuelle et la tendresse désirées. Elle fait tout pour l'appâter avec son argent (aide matérielle, voyages de luxe, beaux cadeaux, invitations ...). En échange, Hmamou offre ce qu'il a de plus intime. Il sera son valet volontaire, «son cheval brun doux». Au cours de l'intrigue, on croise des gens qui crèvent le cœur par leur histoire. On est amené à les accompagner dans leurs errances, être en empathie avec eux, absorber leurs douleurs, leurs malheurs et leurs chagrins: L'un des patients de Monika, Mohamed Hassouni, jeune marocain diplômé de la faculté de philosophie (qui dans son pays ne sert à rien). Comme une bonne partie des militants, Hassouni, avait pris le chemin d'exil en France après la vague de répression contre la gauche et son affaissement. Sur la terre d'accueil, il découvre la réalité frappante de l'immigration, perd le contrôle de sa vie. L'immigration l'a chamboulé davantage, elle l'a transformé en chien, il erre dans les rues, abuse de l'alcool,… Un miracle l'avait sauvé de cette vie de perte grâce à son mariage avec la sœur de son ami. Il menait une petite vie tranquille, trop tôt bousculée par l'accident tragique qui avait coûté la vie de sa femme et de son enfant et dont il se sentait coupable. La vie devint très difficile à supporter, tristesse et ennuie. Hassouni entra dans une profonde dépression aggravée par des troubles obsessionnels compulsifs. On rencontre un autre visage, Mokhtar Oueld Dada, ami de Hmamou depuis l'enfance dans leur quartier défavorisé et avec lequel il a tout partagé. Jeune migrant qui s'efforce de maintenir les apparences malgré le chagrin qui le ronge. Mokhtar traîne ses malheurs depuis son enfance, se détruit lentement entre un présent étouffant et un passé qui le hante. Il méprise sa vie et celle de sa mère qui travaille pour les réseaux de prostitution dans les pays du Golfe. On croise d'autres visages tristes dans le bar de Doukkali au centre de Paris: la petite patrie des Marocains et/ou Arabes. Lieu d'accueil des hommes et femmes saisis et envahis par la nostalgie, unis dans la même douleur et liés par le même destin: migration, solitude, répression, oppression... Un univers de rencontre des jeunes arabes immigrés mélancoliques et des prostituées aux cernes marqués qui soulagent leurs compatriotes de leurs malheurs et leurs peines. Au fil des pages, l'auteur nous convie à une petite page d'histoire sur les contestations et les mouvements révolutionnaires qui ont secoué le monde contemporain du XXe siècle. Le professeur «Fertas», confrère de Monika, ancien militant au Pérou, raconte avec ardeur et fierté l'enthousiasme des grands révolutionnaires/militants admirable, ayant soif d'un monde plus juste et qui, pour cela, ont fait preuve d'actes de courage, de dévouement et d'honnêteté (Luis de la Puente Uceda, Mehdi ben Berkka, Fidel Castro, Che Guevara, …). On se remémore la levée des peuples contre toute forme d'oppression: les révoltes du mouvement chilien de gauche révolutionnaire (Mir), l'insurrection des étudiants/élèves de Casablanca mars 1968,… la répression brutale de ces opérations, le massacre des étudiants… Bref, «Discours des faces inclinées», un livre écrit avec un cœur sans cesse froissé, sans cesse ému, sans cesse touché. Avec une pincée de sarcasme, l'auteur présente les différences de mode de vie Orient-Occident et le choc entre les deux cultures. Il décrit la vie de pauvreté de ses concitoyens et sa famille paysanne en mettant en valeur les particularités de cette région, Doukkala, au patrimoine bien marqué par des expressions populaires et un accent particulier. Avec sa plume vibrante d'humeur à la fois percutant et doux et grâce à de multiples flashbacks, l'auteur écrit les destins des individus sans cesse à la recherche de leur vérité en donnant chair, sang et vie à une galerie de personnages d'une grande finesse psychologique; attachants avec leurs vies tressées, leurs plaies, leurs failles, leurs angoisses, leurs douleurs, leurs malheurs, leurs quêtes désespérées, leurs détresses, leur courage et leur volonté de surmonter les coups du sort du destin. J'ai aimé cette polyphonie narrative parfaitement maîtrisée mêlant des voix furtives et des voix récurrentes qui crient, leur quiétude et leur inquiétude, leur rêve et leur échec, leur espérance et leur désespérance. J'ai beaucoup aimé le tact avec lequel l'auteur achève le roman, soit par les mêmes mots qui le débutent «Discours des faces inclinées». Un roman remarquablement documenté, bourré de références historiques et artistiques, riche en thèmes et réflexions.