Le Forum de Davos pourrait-il vraiment changer le monde et contribuer à répondre aux inquiétudes face à cette nouvelle phase de la crise globale et qui pour beaucoup rappelle le retournement de la situation économique en 1937 pour se transformer en une grande récession globale ? Comment cette rencontre de l'élite mondiale, des dirigeants politiques des grands pays aux pays émergents, aux grands hommes d'affaires et aux chefs des grandes entreprises mondiales et des intellectuels et des universitaires peuvent-ils influencer le cours des choses et la marche du monde dans cette retraite annuelle devenue un passage obligé pour beaucoup d'entre-eux ? Et, puis comment cette rencontre informelle a-t-elle pu trouver sa place comme un forum important qui influence la gouvernance globale à cette ère de la démocratie globale mais où l'accès à cette rencontre reste fortement fermée et difficile d'accès à ceux qui ne sont pas invités ? Ce sont les questions que je me posais dans cette longue route de près de deux heures et demi qui séparait l'aéroport de Zurich de la station de ski perdue dans les montagnes et qui est devenue au fil des ans la rencontre de la jet-set de la gouvernance globale. Après un petit tour dans le froid glacial et autour des montagnes de neige qui entourent les artères de la ville on se rend rapidement compte qu'elle n'a plus rien à voir avec le petit village ou le fameux Professeur Klaus Schwab a décidé de lancer en 1971 cette rencontre annuelle devenue plus connue aujourd'hui sous son diminutif anglais, le WEF (World Economic Forum). Aujourd'hui, ce petit village paisible selon les photos de l'époque, est devenu une grande station de ski huppé où on croise les hôtels des chaînes les plus prestigieuses. Les limousines derniers cris des grandes marques circulent dans les petites rues de la ville où la circulation est rendue difficile avec l'accumulation de neiges durant ces longues semaines où l'hiver est rugueux dans les hautes montagnes suisses. Particulièrement, Davos, devenue une ville moyenne, connait une forte excitation et une grande activité à la fin du mois de janvier tous les ans où les grands de ce monde se donnent rendez-vous à l'invitation du Professeur Schwab pour discuter de l'avenir du monde. Mais, cette effervescence où l'arrivée de l'élite mondiale entraine une plus grande présence policière n'a pas empêché certains de garder leur flegme et de continuer à skier calmement sur les pistes aménagées en plein centre-ville. Le 42ième Forum économique mondial s'est déroulé du 25 au 29 janvier 2012 dans un contexte relativement difficile. Beaucoup avait pensé que l'économie mondiale était parvenue à sortir de la crise de l'automne 2008 avec la reprise de la croissance à partir de la fin de l'année 2009. On espérait que les grandes turbulences de cette période étaient définitivement dépassées et que l'économie mondiale parvenait progressivement à retrouver ses dynamiques de croissance. Mais, c'était méconnaître l'ampleur de cette crise globale et la grande incertitude qu'elle a fait régner sur l'économie mondiale. Désormais, nous vivons une nouvelle ère depuis l'éclatement de la grande crise marquée par une grande incertitude et une forte hésitation voire même une anxiété sans précédent chez les acteurs économiques. Du coup, après une légère reprise, l'économie mondiale a été marquée par l'éclatement de nouvelles turbulences durant l'été 2011 qui sont venues nous rappeler que l'économie globale n'a pas encore rompu avec le grand désarroi et l'incertitude. Notre monde a vécu depuis sur le bruit des rumeurs et des grands désordres globaux. C'est dans ce contexte de retour du désarroi et de l'incapacité des grandes économies à faire face aux grands défis que la nouvelle année va commencer et que le Forum de Davos va s'ouvrir. Ce doute est renforcé par les projections de la croissance des grandes économies annoncées par le FMI la veille de l'ouverture du WEF. En effet, la situation européenne reste marquée par la crise des dettes souveraines et la fragilité des banques qui réduit le crédit bancaire ce qui pourrait entraîner le retour de la récession en 2012. La situation américaine est certes meilleure et l'application des politiques monétaire non orthodoxes et expansionnistes par la FED a été à l'origine d'un léger retournement de situation avec une plus grande création de l'emploi. Mais, cette reprise reste faible et fragile. Mais, la grande nouveauté et qui pèsera de tout son poids sur l'économie mondiale est le ralentissement de la croissance des grandes économies émergentes dont les politiques de relance leur ont permis de montrer une grande résilience par rapport à la crise globale et de maintenir des niveaux de croissance très élevés pour devenir la locomotive de la croissance mondiale. De la Chine, à l'Inde et jusqu'au Brésil, les grandes économies émergentes vont connaître un ralentissement de leurs croissance globale en 2012. Parallèlement à ces prévisions, l'atmosphère avant l'ouverture du Forum de Davos était marquée par le renforcement du pessimisme des dirigeants des plus grandes entreprises mondiales. En effet, l'étude annuelle sur la confiance des hommes d'affaires effectuée par Pricewtaerhouse auprès d'un échantillon de 1258 dirigeants dans soixante pays a montré une détérioration de leur état d'esprit. Seulement 40% des chefs d'entreprises sont optimistes et tablent sur une augmentation du chiffre d'affaires de leurs entreprises en 2012 contre 48% il y a un an et il n'y a plus que 15% des patrons globaux qui s'attendent à une amélioration de la situation économique mondiale en 2012. Cet essoufflement de la confiance a touché sans surprises de manière plus forte l'Europe où le taux de confiance est passé de 40 à 25% en un an. Mais, la nouveauté est que le pessimisme commence également à toucher les patrons des pays émergents où le niveau de confiance est tombé de 54 à 42% dans la région de l'Asie Pacifique. Cette baisse est encore plus spectaculaire en Chine où le taux de confiance est passé de 72 à 51% en une année. Ainsi, l'ambiance était plutôt morose au cours de l'année 2011 et le retour des turbulences financières a renforcé les inquiétudes et les doutes sur l'avenir. Cette ambiance maussade s'est aussi doublée de grands questionnements sur le capitalisme et sa capacité à retrouver de nouveaux modèles capables de lui rendre son dynamisme d'antan. Les plus grands journaux, comme le Financial Times ou le Time Magazine et bien d'autres journaux, se sont saisis de ce débat et lui ont consacré de grands dossiers auxquels ont été invités les plus grands penseurs de notre monde. Plusieurs questions ont suscité l'intérêt des penseurs et des hommes politiques dont la réforme du système financier, les programmes de relance et les réformes structurelles. Mais, ce sont aussi les questions sociales qui ont attiré l'attention des penseurs et plus particulièrement les inégalités. Pour beaucoup l'accroissement des inégalités dans les plus grandes économies est en train de remettre en cause la légitimité du système capitaliste et sa capacité à générer l'utopie de la réussite sociale et de la justice. Ces débats ont lieu sur un fond de renforcement de la contestation sociale dans un grand nombre de pays occidentaux. En effet, influencée par les printemps arabes, les mouvements des indignés ont été à l'origine d'une grande mobilisation sociale dans un grand nombre de pays européens. Ces mouvements remettaient en cause les politiques d'austérité préconisées par la plupart des pays pour sortir de la crise des dettes souveraines et leurs conséquences sociales avec notamment un accroissement sans précédent du chômage. Cette mobilisation ne s'est pas limitée à l'Europe et le mouvement Occupy Wall Street outre-Atlantique a été à l'origine d'une forte mobilisation contre le secteur financier et les grandes banques et du renforcement des demandes de mettre la finance au service de la société. C'est dans ce contexte marquée par le retour du spectre de la récession et d'une intensification de la critique du capitalisme et du renforcement de la mobilisation sociale que le Forum économique social s'est donné pour objectif de repenser de nouveaux modèles sociaux pour sortir le monde de son marasme. Lors de cette session le WEF s'est donné pour thème « La grande transformation, trouver de nouveaux modèles de leadership et de capitalisme ». Cet objectif est très ambitieux pour un forum de durée limitée mais les organisateurs avaient l'ambition de participer à l'ouverture de débats sur ces grandes questions. Et, donc la question que l'on pourrait se poser après trois jours de débats intenses plus ou moins ouvert est de savoir si cette rencontre a contribué à suggérer de nouvelles pistes pour refonder le capitalisme et reconstruire une légitimité mise à mal par des crises à répétition et par la désintégration du contrat social dans les grands pays capitalistes. L'impression que l'on a en reprenant la même route enneigée pour quitter les montagnes suisses est que ce forum loin de créer ou de contribuer à l'émergence de nouveaux modèles globaux a plus à auto-assurer les grands patrons et les dirigeants du monde global. Plutôt que proposer des modèles de réforme d'un capitalisme en crise, cette rencontre a donné l'occasion à l'élite globale de se resserrer les rangs face aux doutes et aux interrogations sur la l'avenir du capitalisme. A tout seigneur tout honneur, la primeur de défendre le système en place est revenue à la Chancelière Angela Merkel qui était l'invité de la cérémonie d'ouverture du Forum. Et, la Chancelière a défendu bec et ongle dans son discours et dans le débat qu'elle a eu avec la salle les politiques orthodoxes qu'elle impose à l'Europe pour faire face à la crise des dettes souveraines. Pour la Chancelière, passée maître es réalisme devant les quêtes de nouvelles utopies, les réponses aux crises capitalistes résident dans ce cocktail d'austérité avec les réformes structurelles où la recherche de la compétitivité passe par une maitrise des coûts salariaux et non par dans des investissements dans la recherche. Ce message est relayé dans les autres foras et les multiplies rencontres qui ont jalonné ses trois jours de débats intenses. Et, la réflexion et la quête de nouveaux modèles de développement ont laissé la place à une défense idéologique du système capitaliste. On même enregistré un retour en force de l'argument traditionnel qui souligne que le capitalisme, même avec ses crises et ses difficultés, reste le meilleur système politique et social. Dans ce retour en force de l'orthodoxie économique, même le modèle américain qui se rattache aux politiques non conventionnelles de relance et des politiques monétaires expansionnistes, passe pour anachronique. Certes, certaines voix dissidentes se sont exprimées dans ce grand forum comme celle du prix Nobel Joe Stiglitz, ou de Kumi Naidoo le Directeur de Greenpeace International ou Donald Kberuka le Président de la Banque africaine du Développement, pour exiger un retour à la croissance globale et de plus grandes réformes pour assurer un développement inclusif et créateur d'emplois. Mais, ces appels n'ont pas eu l'écho nécessaire tellement l'orthodoxie dominait les débats. Ainsi, au bout de trois jours de débats, le Forum de Davos, à défaut de suggérer de nouvelles pistes pour créer de nouveaux modèles sociaux, a plutôt été un moment pour s'auto-assurer entre les membres d'une élite globale traversées par les doutes et les interrogations face aux turbulences. Au bout de trois jours dans cette station de ski et entre débats, rencontres, et dîner, l'élite a pu reconstruire sa confiance dans le système global et pourra poursuivre ainsi ses activités comme par le passé et loin des sirènes des réformes. A moins que de nouveaux craquetements n'exigeraient de véritables changements globaux ! * Economiste et intellectuel arabe