Avec la multiplication des grèves lancées par des centrales syndicales dans différents secteurs, il devient difficile pour le commun des citoyens d'en saisir la cohérence et la signification. Si la grève est un droit garanti par la Constitution, il recouvre cependant des réalités multiples à tel point que son rythme et sa direction ne semblent pas emprunter une progression normale permettant une meilleure lisibilité. La question se pose de savoir pourquoi le recours à ce droit légitime, réglementé par la loi, donne lieu à des dépassements qui obscurcissent la perception de ce mécanisme de protestation et de revendication sociale. Vu du côté des syndicats, la grève est d'abord un outil précieux d'amorce d'une dynamique de dialogue. De ce point de vue, l'occurrence des grèves s'explique pour plus de la moitié par des causes identifiées de manière précise. Parmi ces causes, l'on retrouve la non-application des dispositions du code du travail, l'absence ou le déficit en couverture sociale, l'amélioration des conditions de travail, le non-paiement des salaires ou le non-respect des protocoles de licenciements des employés, etc. L'accélération du rythme des grèves est un indicateur de l'existence de dysfonctionnements dans le processus de gestion des relations professionnelles. Cela veut dire tout simplement que les parties au dialogue ne trouvent pas les consensus aboutissant à des solutions acceptables par tous. Parallèlement à cela, nous savons que le dialogue social, mécanisme institutionnalisé depuis quelques années entre le gouvernement, le patronat et les centrales syndicales, ne semble pas fonctionner avec la régularité et la productivité attendues. La logique qui prévaut souvent dans ce genre d'exercice est celle de « qui lèvera la barre le plus haut ». Cela donne lieu à des monologues stériles. Le gouvernement n'a de cesse de ressasser les formules du genre « nous avons fait le nécessaire ». Les syndicats, quand à eux, répètent à satiété que « l'offre du gouvernement et du patronat est largement en-deçà des attentes des classes laborieuses ». Il n'est point question ici de remettre en cause les acquis de ce mécanisme fondamental pour la gestion des relations socioprofessionnelles. L'opinion publique a besoin de comprendre, en toute transparence et clarté, le contenu réel des enjeux de ce dialogue sans recours aux subterfuges des techniques de négociation. L'enjeu du dialogue social n'est pas simplement revendicatif ou technique, il fait parti de ce substrat précieux auquel s'adosse la politique sociale du pays. Il est vrai, par ailleurs, que la création prochaine du Conseil Economique et Social (CES) devrait contribuer à la mise en place d'un espace de dialogue et de concertation, assez large. Une institution qui puisse recueillir toutes les composantes et sensibilités de la société et où les acteurs socioéconomiques auront à jouer un rôle de premier ordre dans la mise en perspective des grands défis que le Maroc devra relever. C'est pourquoi le recours à la grève, de manière isolée, par rapport aux autres mécanismes de gestion des relations sociales peut aboutir à des résultats contreproductifs pour l'ensemble de la communauté.