La ministre française de la Justice, Christiane Taubira, farouchement opposée à la déchéance de nationalité des binationaux condamnés pour terrorisme, une mesure prévue dans le cadre d'une révision constitutionnelle, a démissionné ce mercredi du gouvernement pour assurer toutes les chances de réussite à ce projet défendu par le président François Hollande et son Premier ministre Manuel Valls. Le torchon brûlait déjà entre cette grande voix de la gauche et sa famille politique. En déplacement officiel en Algérie, au mois de décembre dernier, elle avait laissé entendre que le projet de révision constitutionnelle, qui allait être présenté en conseil des ministres, ne retient pas la disposition de déchéance de nationalité, estimant que cette réforme posait un problème de fond sur le principe fondamental qu'est le droit du sol. Pour elle, la déchéance de nationalité, qui a une charge symbolique très lourde, n'avait aucune efficacité ni contre des kamikazes ni contre des jeunes qui brûlent leur passeport avant de partir en Syrie. Cette démission sonne comme un désaveu de la prise de position de la Garde des Sceaux, qui est ainsi sacrifiée sur l'autel de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Sa présence au gouvernement était critiquée aussi bien par les sympathisants de la gauche que ceux de la droite, qui voient mal comment un membre de l'exécutif pourrait exercer, alors qu'il rejette l'un des projets phares de François Hollande, qui entend inscrire l'état d'urgence et l'épineuse question de la déchéance de nationalité dans la Constitution. Rarement un ministre de la Justice n'aura subi une telle cascade de critiques à cause, en premier lieu, de son désaccord profond à la déchéance de la nationalité, ainsi qu'avec un projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement et simplifiant la procédure pénale. Christiane Taubira, qui a défendu ses convictions et conservé sa liberté de ton, avait, à maintes reprises, exprimé son inquiétude quant à la dérive du gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme. Elle a failli une première fois démissionner lorsque sa réforme du droit des mineurs avait été reportée sine die, avant qu'elle ne soit inscrite au calendrier parlementaire de 2016. La crise entre la ministre de la Justice et l'exécutif remonte au discours du président Hollande, le 16 novembre dernier, devant les deux chambres du Parlement réunies en Congrès à Versailles, dans lequel le chef de l'Etat avait annoncé sa volonté d'inscrire l'état d'urgence et la déchéance de nationalité dans la Constitution. La Garde des Sceaux avait alors avoué qu'elle n'était pas au courant de l'annonce de ce projet. Christiane Taubira a remis, mercredi, sa démission à François Hollande, qui a nommé Jean-Jacques Urvoas pour la remplacer. François Hollande et Christiane Taubira «ont convenu de la nécessité de mettre fin à ses fonctions au moment où le débat sur la révision constitutionnelle s'ouvre à l'Assemblée nationale, aujourd'hui (mercredi) en Commission des Lois», écrit l'Elysée dans un communiqué. Mme Taubira «aura mené avec conviction, détermination et talent la réforme de la Justice», a salué François Hollande. Après sa démission, l'ancienne Garde des Sceaux s'est dite fière de son action au ministère de la Justice. «La Justice a gagné en solidité et en vitalité. Comme celles et ceux qui s'y dévouent chaque jour, je la rêve invaincue», écrit-elle sur les réseaux sociaux. Proche de Manuel Valls, spécialiste des questions de sécurité, M. Urvoas (56 ans) est l'actuel président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale. Il était à ce titre chargé d'une mission pour trouver une solution à la réforme constitutionnelle de la déchéance de nationalité. M. Urvoas «portera, aux côtés du Premier Ministre, la révision constitutionnelle et préparera le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et la réforme de la procédure pénale», indique l'Elysée. Le Premier ministre français Manuel Valls doit défendre ce mercredi devant la commission des lois de l'Assemblée nationale la réforme constitutionnelle voulue par François Hollande après les attentats de novembre. Cette réforme prévoit la constitutionnalisation de l'état d'urgence, décrété le 13 novembre après les attentats de Paris, et dont l'exécutif envisage par ailleurs la prolongation pour trois mois, ainsi que l'inscription dans la constitution de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français et condamnés pour crime terroristes. Ce dernier point suscite une forte opposition, notamment à gauche, et l'exécutif envisage de retirer la référence à la binationalité du projet de loi constitutionnel.