Le mausolée de Lalla Tâallat (60 km au sud-est d'Agadir) aura vécu, jeudi soir, une journée mémorable au rythme du moussem annuel des écoles coraniques et traditionnelles, sur fond d'une ambiance festive ponctuée de psalmodies du Saint Coran, d'activités mondaines et d'un ressac de fragments d'Histoire et de bribes de légendes. Ledit mausolée, qui relève de la commune de Tissegdalt, faisant partie de la confédération des tribus Illalen (cercle Aît Baha), est perché sur un monticule au milieu d'une forêt d'argan dans une région montagneuse qui constitue l'amorce de la route sinueuse menant, le long de l'Anti-Atlas, vers les localités d'Ida Ougnidif et Tafraout. De prime abord, rien ne laisse présager l'existence, derrière ce monticule élevé (d'où le nom de Tâallat d'ailleurs), d'un mausolée de cette stature qui abrite, outre une école traditionnelle, une imposante mosquée d'où émanent des fragrances de dévotion, de spiritualité et de fragments d'Histoire. Le long du tronçon menant vers le mausolée, traditionnellement calme, est émaillé d'une procession d'étudiants d'écoles coraniques avec leurs maîtres et le pèlerinage de visiteurs avec la prédominance des costumes en djellabas blanches. A bien des égards, le moussem de Tâallat devient un point d'attraction incontournable sur le registre religieux dans la région du Souss et une plateforme essentielle d'échange culturel et de commerce. A ce propos, Yassine Gassouane, psalmodieur du Saint Coran et visiteur du moussem, a indiqué à la MAP que cette manifestation, connue pour la lecture du Livre Saint selon différentes versions, marque le début de chaque mars agricole et draine, durant les quatre jours qu'elle couvre (du mardi au jeudi), quelque 15 mille visiteurs d'oulémas, foukahas, étudiants et autres. Ce moussem, a-t-il affirmé, a de tout temps, servi d'occasion de rencontre entre étudiants et foukahas pour examiner leur situation, une opportunité d'échanger et d'animer des veillées religieuses, et de passer en revue les différentes questions liées aux sciences religieuses et l'état des lieux des mosquées, zaouias et écoles traditionnelles disséminées dans les divers recoins de la région Souss-Massa-Drâa. Mais d'où vient toute cette attractivité à un moussem qui, plus est (fait peu inhabituel) lié au nom d'une femme ? La plaque accolée à l'entrée du mausolée n'est pas trop indiscrète. Il s'agirait, lit-on, d'une dame, Fatma Bent Mohamed Touâallate née au 17ème siècle et qui serait décédée vers 1779. La plaque explique que ce moussem, instauré 48 ans après la mort de la défunte par un caïd du temps du règne de Moulay Yazid (1790/1792), a regroupé des visiteurs de différentes régions du Royaume autour de la lecture de "Tahazzabte" (lecture du Saint Coran selon la version soussie), relevant que ce mausolée a été restauré et élargi sous le Haut patronage de SM le Roi Mohammed VI en date du 1er décembre 2010. En franchissant le pas du mausolée de cette figure du soufisme au Maroc ayant laissé plein de panégyriques en amazigh à la gloire du prophète Sidna Mohammed , le visiteur ne peut qu'être ébahi par la beauté des enluminures et des motifs décoratifs ornant le plafond, les poutres et les murs de ce lieu de culte. Aux alentours, sont dressées deux petites tentes de la Rabita Mohammédia des Oulémas et du ministère des Habous et des affaires islamiques, alors que le mausolée est ceinturé, tel un collier, de plus de 90 sièges d'écoles traditionnelles de différentes régions et de près de 40 tentes offrant gîte et nourriture aux étudiants. Dans cette veine, le président de l'Association de l'école Lalla Tâallate Mohamed Benhammou Boumalek soutient que "ce moussem n'appartient plus, désormais, à Chtouka Aït Baha, mais appartient au Maroc tout en entier, dès lors qu'il draine des étudiants et oulémas de Sid Zouine, Tiznit, Taroudant, Oujda, des Doukkala et de Rabat", tout en se félicitant de l'aura que cette manifestation ne cesse de gagner en tant qu'espace d'émulation et de savoir. Dans une déclaration similaire, Ahmed Boumezgou, chercheur en Histoire, soutient qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que ce moussem soit associé au nom d'une femme, connue pour sa piété et sa droiture, dans une région comme le Souss où oulémas et foukahas ont constamment honoré les apports multiples de la femme comme en témoigne la densité de sa présence dans les écrits de l'érudit Mokhtar Assoussi dans son "Mâassoul". Pour lui, la société amazighe étant fondamentalement matriarcale, tels qu'attestés par la prédominance du féminin au niveau des toponymies et les noms des divinités féminines antéislamiques, n'aura point lésé les droits de la femme et ses multiples apports avec l'avènement de l'Islam, comme en témoignent différentes publications dédiées à la gent féminine. En effet, outre un ouvrage écrit par un alem d'Adouz consacré à des figures féminines illustres en matière d'érudition dans le Souss, annoté par Mohamed Abidar, il y a lieu de citer le livre de Hassan Abbadi qui, dans son titre "Saintes vénérées dans le Souss" (2004), a consacré près de quatre pages à Lalla Tâallate. Dans ce livret de 64 pages, l'auteur rapporte des propos de l'historien Al Hodeigui où Lalla Tâallate est affublée du surnom de la "Rabiâa de son temps" qui aurait, par sa piété et sa droiture, ainsi que par ses faits avérés ou supposés, conquis le Souss et l'occident en son temps. Sans verser dans le merveilleux et des "karamates" attribuées à Lalla Tâallat, qui du reste n'a pas laissé de progéniture après avoir choisi une énigmatique date de mariage en date du jour 12, mois 12 de l'an 12 (de l'Hégire), une chose est sûre, selon M. Benhammou, "En 12 ans, son moussem a grandement servi cette région tant au niveau du réseau routier (90 PC), du raccordement à l'eau potable (90 PC) ou au réseau électrique (100 PC)". Au-delà de la notion de baraka profondément ancrée dans l'imaginaire populaire, le moussem de Tâallat aura été associé, tout au long de ces quatre journées, à une affluence ininterrompue des visiteurs de tous âges et de différentes régions, dont certains sont mus par la passion du savoir et de la connaissance, d'autres par la curiosité des lieux, d'autres viennent écouler des marchandises, alors que d'autres sont attirés par l'appel aux sources et aux retrouvailles. Alors que, de l'intérieur du mausolée comme des alentours, les voix des étudiants et de leurs maîtres s'égosillaient en différentes versions de lectures, l'activité mondaine, ailleurs, n'a point cessé de battre son plein entre odeurs d'encens ou de grillades, qui criant aux vertus du Kohl ou aux inoxydables paquets de bougies, qui à une supposée ristourne sur fruits secs ou légumes frais, en passant par les voix étouffées de haut-parleurs vantant tel ou tel produit ou encore les revendications incessantes des enfants pour un jouet ou une friandise. Le temps d'un moussem pas comme les autres, les retardataires n'auront pas tort: Rendez-vous est donné jeudi prochain pour un moussem exclusivement réservé aux femmes à l'ombre de Lalla Tâallate.