Hors champ Le rythme des sorties pour la nouvelle saison cinématographique offre une image sereine. Malgré un contexte professionnel délicat, suite aux turbulences engendrées par les différents remaniements qui ont touché la superstructure juridique de l'industrie du cinéma, la machine de production et de distribution réussit à maintenir le cap. C'est ainsi que dès le mois de septembre nous avons eu une suite de sorties à un rythme quasi régulier. Leila Marrakchi a ouvert le bal avec rock the Kasbah, suivi de My land de Nabila Ayouch, Youm oullila de Naoufel Barraoui, La lune rouge de Hassan Benjelloun...Sara de Said Naciri, Yemma de Rachid Elouali. Une offre diversifiée allant de la fiction au documentaire, de la comédie de mœurs à la comédie sociale en passant par le biopic. Pendant ce temps là, Road to kaboul de Brahim Chkiri prolonge sa présence sur les écrans...C'est une aubaine pour le grand public, une nouvelle chance pour le dernier carré des salles de cinéma et une motivation pour la critique cinématographique à sortir de a léthargie et de sa paresse. La réception publique de ces films n'a pas suscité de vagues particulières. Chaque film draine une part du marché dans les normes aujourd'hui imposées par l'état du parc des salles (moins d'une cinquantaine d'écrans en activité à la sortie de l'été) et par la nature presque artisanale de la promotion des films. Il y a une vérité à rappeler à cette occasion : si le management et le marketing sont devenus les ingrédients majeurs de l'économie dominante, le cinéma marocain est loin d'en subir la logique ! La sortie de chaque film marocain, à quelques rares exceptions près, est menée d'une manière timide, accentuée par le silence des médias notamment la télévision publique censée être le partenaire de chaque film marocain ayant bénéficié de l'avance sur recettes. Du coup, il est rare de voir un film, ou la communication autour d'un film envahir l'espace public. Les exploitants et les distributeurs avouent eux-mêmes se fier au bouche à oreille, très efficace dans le cadre d'une société « orale » et à l'effet du mercredi, c'est-à-dire à la réaction du public qui vient aux premières séances de la sortie du film. Qu'est ce qui fait alors que des films sortent du lot et parviennent à s'imposer aussi bien en termes de box office qu'en termes d'impact social et culturel ? C'est l'une des caractéristiques du cinéma de la première décennie des années 2000 : l'émergence d'un nouveau « genre » cinématographique, le film événement. En effet, si l'on quitte une approche traditionnelle, celle des annales et de l'anecdotique et on applique au cinéma marocain un point de vue de l'historiographie s'inspirant des travaux de Fernand Braudel et de l'école de longue durée, on s'aperçoit que ce cinéma a accumulé durant la décennie écoulée des séquences fortes portée par des films relevant de ce que certains théoriciens appellent « le film événement ». C'est le cas de Ali Zaoua de Nabil Ayouch, Marock de Laila Marrakchi, Casanégra de Nour Eddine lakhmari, Amours voilées de Aziz Salmi, Zéro de Nour Eddine Lakhmari. Précisons d'emblée que la liste des films événements ne recoupent pas les résultats du box office. Les films de Said Naciri, Les bandits, le clandestin ou encore des films comme Road To kaboul, chevaux de Dieu, malgré leur score, ne figurent pas dans la catégorie du film événement. Selon la chercheure américaine Diana Gonzalez-Duclert quatre critères permettent, une fois réunis, de taxer un film de « film événement : -Rencontrer un succès public lors de la sortie en salles -Avoir produit à ce moment là un débat politique -Devenir par la suite une référence partagée -Les qualités esthétiques du film C'est la combinaison, pensée et structurée de ces critères qui permet d'instaurer une nouvelle taxonomie qui échappe ainsi aux mécanismes imposées parfois par la surmédiatisation d'un film : je rappelle que pour certaines grosses productions américaines, le budget marketing dépasse parfois le budget alloué à la production du film. L'événement est une rupture dans le continuum. Il est médiatique, public, social et esthétique. Quand est-ce qu'un film peut-il alors prétendre au titre du « film événement » ? Il y a indéniablement le succès commercial ; dans notre contexte « pauvre » cela commence à partir des 150 000 spectateurs : c'est le cas de Marock, de Casannégra et des autres films cités supra. Il y a en outre l'impact médiatique ; le film attire l'attention des médias bien au-delà de la sphère de la presse spécialisée ou de la critique cinématographique. Il devient une affaire de l'opinion publique. Marock et Casanégra ont été cités au parlement et ont partagé le pays. Des politiques sont intervenus dans le débat. Le film devient en outre une référence. Casanégra est cité dans des clips publicitaires. Le film événement entre dans l'univers des mythes et des icônes. Il s'installe dans l'imaginaire collectif d'une société à une époque donnée.