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«Casamémoire, un cri d'alarme contre la dégradation du patrimoine architectural» Rachid Andaloussi : Regard d'un architecte
Sur la ville de Casablanca (18)
Rachid Andaloussi : Regard d'un architecte Sur la ville de Casablanca (18) Dans cette série d'entretiens, l'architecte de renommée internationale Rachid Andaloussi raconte l'histoire de Casablanca à sa manière. Avec son regard perspicace, sa vision des choses exceptionnelle, l'enfant de la métropole nous fait découvrir cette ville mouvementée qui brille par la richesse de son patrimoine architectural et ses édifices hors pair. Et ce n'est pas tout. Ce militant, défenseur acharné de la modernité, nous raconte son combat intense, mené depuis des années, afin de concilier la capitale économique avec son passé glorieux et la remettre sur le bon chemin à l'instar des plus belles cités mondiales. Bourré d'espoir et d'un optimisme inégalé, Andaloussi place haut la barre, espérant qu'un jour Casablanca organise les Jeux olympiques. Un rêve tout à fait légitime, martèle-t-il, soulignant dans ce sens la nécessaire implication de toutes les bonnes volontés. Les propos. Al Bayane : Vous avez mis sur pied l'association Casamémoire pour défendre le patrimoine architectural de la ville. Comment vous est venue l'idée de cette structure associative ? Rachid Al Andaloussi : Il faut savoir que juste après l'indépendance, on a hérité d'une ville magnifique sur tous les plans. Casablanca était le Paris de l'Afrique, avec ses magasins et ses belles devantures. C'était aussi le lieu de la mode, de la beauté, de la création, un corps vivant et dynamique, voire un réceptacle de la modernité. Malheureusement, on n'a pas entretenu ce corps. Pis! Sous la pression démographique, politique et économique, et faute de plan d'aménagement révolutionnaire, la ville a commencé à perdre ses paramètres urbains. Je cite le cas de la place publique des Nations-unis qui s'est transformée en un hôtel et un parking. En fait, chez les Grecs, la place publique a pour objectif de favoriser l'esprit de la citadinité, d'encourager la convivialité et l'échange. Autrement dit, la place publique a une dimension symbolique. C'est le lieu qui unit les citadins et reflète les principes de la liberté, de l'égalité et de la participation politique. Pour préciser les choses, il faut souligner que chez les Grecs, l'étymologie de la notion politique indique la gestion de la ville. Donc, l'homme politisé c'est l'homme citadin. Puis, à tout cela a succédé un ensemble de démolition des bâtiments les plus emblématiques de la ville. Voilà les raisons qui nous ont poussés à fonder l'association Casamémoire qui constitue un cri d'alarme contre la dégradation du patrimoine de la ville. A quels bâtiments faites-vous allusion ? Je parle du bâtiment Paris-Maroc construit par les frères Perret en 1912. Il s'agit d'une construction d'un style architectural inédit. Ce que beaucoup de Casablancais ne savent pas, c'est que Casablanca a été l'une des premières villes du monde où ces deux frères ont testé le béton armé en procédant à la construction de ce bâtiment qui était situé à côté du plus grand cinéma casablancais, le Vox, qui se composait de quatre étages et d'un style art-déco. Plus de 40% du patrimoine de Casablanca est parti en fumée. A cela s'ajoute la démolition de l'hôtel Anfa où s'est déroulée la fameuse conférence de 1943 entre feu S.M le Roi Mohammed V, Roosevelt, Churchill, De Gaulle. Et ce n'est pas tout. Le processus de démolition semblait interminable, avec l'anéantissement du théâtre de Casablanca. Idem pour la villa Mokri construite par Marius Boyer qui est l'artisan de la Wilaya du Grand Casablanca. La pression immobilière est également venue au bout du quartier Gauthier, le poumon vert de Casablanca. Quels sont les initiateurs du projet Casamémoire ? L'idée est venue d'un mouvement initié par des architectes avertis, en l'occurrence Amina Alaoui, Jamal Boushaba, Jacqueline Aluchon et d'autres architectes. J'ai rejoint le groupe et puis on a créé l'association en 1995, dont je suis devenu le président en 1997. Toutefois, je dois souligner que Casamémoire est hyper redevable à deux grandes figures dans le monde de l'architecture. Il s'agit de Jean-Louis Cohen, architecte et historien et Monique Eleb sociologue. Les deux ont écrit un remarquable ouvrage intitulé : Casablanca - Mythes et figures d'une aventure urbaine. Leur apport à notre association est indéniable. Par leurs remarques pertinentes et leurs idées, nous avons pu nous organiser plus et mettre en place une stratégie de travail. Il ne faut point nier le rôle rempli par Amina Alaoui et Mustapha Chakib qui ont travaillé avec abnégation pour que l'association puisse s'affirmer en tant qu'acteur incontournable de la société civile, ou Abderrahim Kassou qui a procuré, grâce à ses efforts, un rayonnement international à notre association. Comment avez-vous entamé votre plan d'action ? Au début, tout le monde nous regardait d'un mauvais œil. Certains nous considéraient comme des parias, d'autres voyaient en nous un prolongement de l'ère de la colonisation. Il nous fallait beaucoup de courage, surtout qu'il existait un hiatus énorme entre les Casablancais et le patrimoine architecturel. Tout notre plan d'action était axé sur deux choses : sensibilisation et réconciliation. Casamémoire a inscrit son action dans la continuité. Notre objectif était de reprendre l'architecture là où elle s'était arrêtée. Cela veut dire tisser des passerelles entre le passé et le présent. Notre action consistait en plus à organiser des conférences de presse, des ateliers, des expositions. Aujourd'hui, nous avons un agenda trop chargé. Juste à titre d'information, nous avons reçu à l'occasion de la 5e édition des journées du patrimoine de Casablanca qui se sont déroulées les 5,6 et 7 avril 2013, plus de 20.000 visiteurs dont 4.000 étudiants. Mais, il faut savoir que ce travail a été rude du fait des promoteurs immobiliers, en quête permanente du profit, abstraction faite des intérêts communs. La bataille judiciaire pour l'hôtel Lincoln a duré plus de 18 ans, car il n'y a pas de lois qui protègent le patrimoine, ou plutôt, je dirais que la procédure est trop longue et trop complexe. Ainsi, la société civile assume une grande responsabilité en matière de protection du patrimoine urbain de la ville.