«España - Marruecos : Heridas sin cicatrizar» (Espagne-Maroc : plaies non cicatrisées) est le titre d'un essai sociologique qui vient de paraître en espagnol à Madrid. Ecrit par le journaliste-sociologue marocain, Mohamed Boundi, l'ouvrage décortique le discours des médias espagnols sur le traitement de la question marocaine et explique les causes qui motivent la persistance dans le temps et dans l'imaginaire collectif espagnol d'un ensemble de préjugées, stéréotypes et images déformées de la société marocaine. Chapitre II : un siècle et demi de malentendus (Pages 156-164) 2.4.3.- El Contencioso Territorial Avant d'accéder au statut d'autonomie (mars 1995), les villes de Sebta et Melilla, colonisées par l'Espagne depuis cinq siècles, se dénommaient «places de souveraineté», «présides» ou «enclaves». Dans les tentatives de sa récupération, Sebta, alors sous occupation portugaise, fut assiégée par le Sultan mérinide Abou Saïd Uthman III entre 1418 et 1419 alors que le sultan Mohamed Ech-Cheik, fondateur de la dynastie mérinide avait essayé pour sa part de reprendre Melilla lors de son occupation par les troupes espagnoles, dirigées par Medina Sidonia. Durant les siècles XVI, XVII et XVIII les sultans wattassides et alaouites ont tenté de leur part de les reconquérir. A la suite du Traité d'Oued Ras de 1860, qui mit fin à la Guerre de Tétouan, a été déterminé, dans «l'Acte de Déclaration des limites de 1862», le tracé frontalier entre la ville de Sebta et la zone limitrophe, qui n'était pas alors défini de manière claire. Durant le Protectorat, les douanes de Sebta et Melilla se sont maintenues inamovibles pour marquer la différence de leur statut par rapport au reste de la zone colonisée dans le nord du Maroc. A titre d'exemple, les épreuves d'examen d'accès aux corps des fonctionnaires du Protectorat étaient différentes de celles dirigées aux corps de fonctionnaires de Sebta et Melilla, mais étaient les mêmes appliquées dans la métropole. Outre Sebta et Melilla, l'Espagne est présente dans l'archipel des îlots Badis (Vélez de la Gomera), Al-Hoceima, de Congreso, Rey, Isabel II et Toura/Leila (Persil), que le géographe anarchiste français Elisée Reclus désignait de «roches stériles». Après la parenthèse du Protectorat espagnol, la question des présides a été portée dès 1961 devant l'Organisation des Nations Unies par le gouvernement de Rabat. Durant le règne du roi Hassan II, les autorités marocaines avaient dû opter pour la solution du contentieux territorial dans un cadre amical en cas de récupération par l'Espagne du rocher de Gibraltar. Pour le gouvernement de Rabat, Sebta, Melilla et Gibraltar forment une équation à trois éléments qui font partie des «anachronismes historiques», comme écrivait The Washington Post dans son édition du 28 mars 2001. C'est la raison pour laquelle, le gouvernement du Maroc a proposé, le 21 janvier 1987, la création d'une «Cellule de réflexion hispano-marocaine sur le futur de Sebta et Melilla» en prévision d‘une solution consensuelle du contentieux territorial. La réponse négative de Madrid à cette initiative fut exprimée à travers deux canaux : le gouvernement et la presse. Quatorze ans plus tard, Aznar a ravivé le contentieux en décidant d'entamer à Melilla et Sebta les campagnes pour les élections législatives de mars 2000 et février 2004. Toutefois, José Luis Rodriguez Zapatero est le premier président du gouvernement espagnol, qui s'était rendu en visite officielle dans les deux villes (31 janvier - 1 er février 2006). Avant lui, Adolfo Suarez y avait effectué un déplacement discret en décembre 1980. Pour sa part, la presse madrilène soutient dans ses colonnes que « les deux villes sont espagnoles bien avant l'existence du Maroc en tant qu'Etat et qu'il y a rien à négocier » à propos de leur situation, écrivaient par exemple les quotidiens Diario 16 (13 août 1999) et La Vanguardia (17 août 1999). Lors de la crise diplomatique de 2002, les revendications territoriales du Maroc étaient devenues persistantes et intenses, reconnaissaient de leur côté El Pais (20/10/2002) et ABC (28/10/2002). La crise diplomatique en 2002 prendra par la suite le caractère de crise territoriale comme conséquence d'un fortuit incident qui devait passer inaperçu si les deux capitales l'auraient traité discrètement et à travers les instruments prévus au Traité d'Amitié, de Bon Voisinage et de Coopération. En réaction au débarquement d'une douzaine de gendarmes marocains, le 11 juillet 2002, sur Toura/Leila (Persil), Aznar avait mobilisé les principales pièces de l'armada, dont des frégates, et ordonné l'envoi, six jours plus tard, d'une unité spéciale pour déloger le rocher. La préoccupation d'éviter une éventuelle confrontation militaire entre les deux pays voisins, avait nécessité une intervention de la part des Etats – Unis. L'Espagne a finalement retiré son contingent et les deux Etats se sont engagés à respecter le statu quo de l'îlot, rapportaient les agences de presse officielles MAP et Efe, le 22 juillet 2002. Cet épisode n'est jamais mentionné dans les conversations pour favoriser la reprise du processus de normalisation des relations bilatérales. Seule l'agence Efe informe souvent de la relève des patrouilleurs de l'armada espagnole dans le cadre du dispositif de vigilance mis en marche dans le Détroit de Gibraltar depuis l'incident de Toura/Leila. Toutefois, le Maroc avait réussi de manière indirecte à attirer l'attention de la communauté internationale sur le contentieux territorial, particulièrement celle des anglo-saxons qui suivaient avec grand intérêt les négociations hispano-britanniques en relation avec le futur de Gibraltar. Au sommet hispano-marocain à Séville les 28/29 septembre 2005, lors duquel la question de Sebta et Melilla n'a pas formellement été inscrite à l'ordre du jour, Zapatero a évité subtilement de répondre à une question d'un journaliste qui s'interrogeait sur une éventuelle «co-souveraineté» dans les deux villes. Il s'est limité à reprendre un traditionnel leitmotiv selon lequel «le caractère espagnol de Sebta et Melilla n'est pas et ne fera pas l'objet de discussion » (Efe, 6/10/2005), une position qui a été par la suite appuyée par l'UE (Efe, 30/11/2005). En novembre 2007, le contentieux territorial s'est brusquement ravivé et fut à l'origine d'une nouvelle crise diplomatique entre les deux gouvernements. En peu de jours, la crispation s'est substituée à la sérénité diplomatique à cause d'une visite institutionnelle des souverains d'Espagne à Sebta et Melilla. Dans un premier acte, Rabat décide, le 1 er novembre, de rappeler sine die pour consultation son ambassadeur Omar Azzimane à Madrid, en réaction à «l'annonce officielle de la déplorable visite de sa majesté le roi Juan Carlos 1 er, les 5 et 6 novembre dans les deux villes occupées de Sebta et Melilla», écrivait le correspondant d'ABC, le 3 novembre, dans une chronique intitulée «Mohamed VI aggrave la crise en rappelant pour consultation son ambassadeur à Madrid». Dans un dur ton, le roi Mohamed VI, dont une étroite amitié l'unit à la monarchie espagnole, a en effet exprimé dans un communiqué, «sa désapprobation et le rejet de la déplorable visite du monarque espagnol dans les deux villes», rapportait l'agence Reuters, dans une dépêche datée du 6 novembre. Le monarque a qualifié cette visite de «contre-productive» qui «attente aux sentiments patriotiques solidement enracinés chez toutes les composantes catégories sociales et sensibilités politiques du peuple marocain ». En condamnant cette visite, le souverain avait voulu également manifesté son mécontentement et rappelé que Zapatero avait promis, dans différentes occasions, de résoudre tous les écueils qui empêchent l'instauration d'un bon climat d'entente entre les deux pays. Le Premier ministre marocain, Abbas el Fassi, a pour sa part qualifié de «provocation» ce voyage. «L'Espagne doit comprendre que le temps du colonialisme est révolu», a-t-il dit. Des centaines de marocains ont manifesté devant l'Institut culturel espagnol Cervantès à Rabat, mais également au poste frontalier Bab Sebta, et à Casablanca devant le consulat d'Espagne. Onze parlementaires, qui ont protesté en remettant une lettre à l'ambassadeur d'Espagne à Rabat, se sont en outre déclarés favorables à l'ouverture d'un dialogue. Le porte-parole du gouvernement, ministre de la Communication, Khalid Naciri, a exprimé «son vif rejet et sa nette réprobation» de la visite que le roi d'Espagne Juan Carlos avait effectuée dans les deux « villes marocaines spoliées». «Le gouvernement de Sa Majesté ne peut qu'exprimer son vif rejet et sa nette réprobation de cette initiative regrettable, quels qu'en soient les motivations et les objectifs, aux villes marocaines spoliées de Sebta et Melilla", a-t-il déclaré. Naciri a notamment souligné que «la coopération maroco-espagnole qui s'est renforcée ces dernières années et que nous considérons comme un choix stratégique ne doit pas nous faire oublier qu'il existe encore entre nous un différend essentiel concernant ces deux villes». Il a suggéré que «cette coopération implique de s'engager dans un règlement intelligent de ce différend territorial qui prenne en considération les intérêts légitimes des deux pays dans le cadre du dialogue et de la concertation». Du côté espagnol, le ministre des affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, a déclaré, à Lisbonne, où il participait à une réunion ministérielle avec l'Union du Maghreb Arabe (UMA), que son pays «veut entretenir les meilleures relations possibles avec le Maroc. Nous espérons pouvoir continuer à travailler ensemble. Les liens entre le Maroc et l'Espagne sont solides et nous espérons que cela nous permettra de maintenir une relation normale». Moratinos s'était entretenu en effet avec son homologue marocain, Fassi Fihri, lequel lui avait manifesté sa «préoccupation» au sujet de la même visite. Les «divergences» entre Madrid et Rabat sur le dossier ne doivent pas affecter «l'ensemble de la relation» entre les deux pays, a estimé, de son côté, Bernardino León, alors secrétaire d'Etat espagnol aux affaires étrangères. A cause de cette circonstance, les relations bilatérales ont tardé deux mois avant de reprendre leur cours normal, el 8 janvier 2008, suite au retour de l'ambassadeur du Maroc à son poste. Le dernier épisode de tension en rapport avec le contentieux territorial est survenu le 15 septembre 2010 à l'origine d'un fort échange de réactions entre le Parti Populaire (alors dans l'opposition) et le gouvernement de Rabat, à l'origine de la visite de Mariano Rajoy dans les deux villes. Cette fois, le premier ministre, en sa qualité de secrétaire général du comité exécutif de l'Istiqlal, a qualifié de «provocation» ce déplacement. Dans une lettre adressée à Rajoy, et reprise dans la presse marocaine, El Fassi a considéré au nom de son parti politique que cette visite supposait «une attaque manifeste contre la dignité et le sentiment national». El Fassi a également réitéré son appel à «un dialogue serein et responsable en vue de mettre fin à l'occupation de Sebta, Melilla et des Iles Jaâfarines», appel qu'il avait déjà proclamé dans une intervention devant le parlement le 17 mai 2010. Dans un message, à la suite du triomphe du parti populaire aux élections législatives du 20 novembre 2011, le roi Mohamed VI a adressé un message de félicitations à Rajoy dans lequel il souligne également la détermination du royaume à atteindre une solution des conflits de manière pacifique respectant l'unité territoriale des Etats et de leurs constantes nationales et contribuera activement à garantir la sécurité, la paix, la stabilité ainsi que le développement et la prospérité dans la zone de la Méditerranée. A suivre...