«España - Marruecos : Heridas sin cicatrizar» (Espagne-Maroc : plaies non cicatrisées) est le titre d'un essai sociologique qui vient de paraître en espagnol à Madrid. Ecrit par le journaliste-sociologue marocain, Mohamed Boundi, l'ouvrage décortique le discours des médias espagnols sur le traitement de la question marocaine et explique les causes qui motivent la persistance dans le temps et dans l'imaginaire collectif espagnol d'un ensemble de préjugées, stéréotypes et images déformées de la société marocaine. 2.3.- La Realpolitik: à la recherche d‘un voisinage effectif (Pages 129-135) Les hauts et les bas des relations entre le Maroc et l'Espagne qui se sont succédés depuis 1956 ainsi que les séquelles des conflits territoriaux et de pêche vont mettre en évidence qu'il existe réellement de nombreux conflits encore en suspens et de permanents heurts entre les deux gouvernements. Ceci démontre que la fin du protectorat espagnol était intervenue comme conséquence d'engagements non dévoilés dans la Déclaration de l'Indépendance du Maroc, signée à Madrid le 7 avril 1956, et que le contentieux territorial infecte manifestement l'ensemble des relations bilatérales. En dépit des gestes de bonne volonté manifestée publiquement au niveau officiel, la tension et le climat de crispation dominent en permanence les rapports entre Rabat et Madrid. Il est utile de signaler, à ce titre, que le roi Hassan II refusait de dialoguer avec le président du gouvernement espagnol, alléguant que son interlocuteur valable en Espagne ne peut être autre que le roi Juan Carlos 1 er, eu égard aux affinités entre les deux familles royales et à son statut de Chef d'Etat. Dans l'objectif d'atténuer les dissensions, les espagnols ont opté, après la restauration de la démocratie, pour le développement des investissements et la coopération économique avec le Maroc. L'entente autour de questions d'intérêt commun, telle la pêche, a été le principal levier permettant d'améliorer ces relations. En juillet 1988, les deux gouvernements ont procédé à la conclusion du premier Accord Cadre pour la Coopération Economique et Financière par le biais duquel le Fonds d'Aide au Développement (FAD) espagnol a accordé au Maroc une ligne de crédit d'une valeur de 50 millions de dollars, à bas taux d'intérêt. La proximité géographique, le besoin de délocaliser une partie de l'activité industrielle et les énormes opportunités qu'offre le marché marocain sont considérés alors comme des facteurs objectifs favorisant l'investissement au royaume. Le gouvernement socialiste, alors dirigé par Felipe Gonzalez, a encouragé les Petites et Moyennes Entreprises (PME) à saisir l'opportunité offerte par les facilités prévues dans l'Accord Cadre de Coopération Economique et Financière en vue de faire fructifier leurs investissements au royaume. Les malentendus se sont accrus cependant durant le mandat de José Maria Aznar, alors président de gouvernement (1996-2004). Les deux capitales se sont entraînées dans une nouvelle spirale de tension, crispation et désaccords alors que les classiques conflits (pêche, immigration, Sahara et possessions espagnoles dans le nord du Maroc), se ranimèrent plaçant les deux Etats au bord de la rupture totale. Au plan social, la situation était totalement distincte puisque les marocains en Espagne ne furent victimes ni d'acte xénophobe ni d'attitude raciste, par exemple, lors de l'inculpation de plusieurs de leurs concitoyens dans les attentats du 11 Mars de 2004 (Attentas du 11-M) contre les trains de banlieue de Madrid. Le mécontentement du gouvernement marocain n'a cessé d'augmenter à cause surtout du traitement médiatique qui se faisait des questions relatives aux institutions nationales, la critique du rôle que devait jouer un « hypothétique lobby pro-français » contre les intérêts des entrepreneurs espagnols, et, l'accusation de hauts responsables de l'administration et des militaires de faire main basse sur la pêche et l'agro-industrie du pays. Par contre, dans la littérature diplomatique, usitée dans les relations bilatérales, les termes « collaboration » et « coopération » occupent néanmoins un espace symbolique dans le discours officiel quand il s'agit des concertations sur la lutte contre les flux irréguliers migratoires. De même, la position du gouvernement marocain à l'égard des possessions territoriales dans le nord se caractérise par le pragmatisme tout en restant attentive à l'évolution des négociations entre Madrid et Londres en rapport avec le futur de Gibraltar. Le Sahara, préoccupation récurrente dans la politique des deux parties, est aussi un axe d'intérêt pour la société civile espagnole qui exprime ouvertement sa solidarité á l'égard des populations sahraouies. La question du Sahara s'est convertie, en outre, en un conflit insoluble et un obstacle infranchissable dans les relations bilatérales à cause de l'échec de l'ONU dans l'application des résolutions du Conseil de Sécurité. Le rappel pour consultations des ambassadeurs du Maroc (Abdeslam Baraka le 27 octobre 2001 et Omar Azzimane le 2 novembre 2007) et le conflit de Toura/Leila (Persil pour les espagnols), un rocher que personne dans les deux pays n'avait de sérieuse référence, révèlent l'inefficacité des mécanismes existants pour résoudre les incidents bilatéraux. Le Traité d'Amitié, de Bon Voisinage et de Coopération, conclu le 2 juillet 1991 à Rabat, n'a pas été non plus appliqué de manière efficace pour éliminer les éléments de tension dans les relations bilatérales. L'intervention d'une tierce partie dans la résolution des conflits bilatéraux, comme dans le cas de l'incident de Toura/Leila, s'est souvent avérée indispensable. L'analyse de l'actuelle phase des relations bilatérales, initiée depuis le retour des socialistes au pouvoir (2004-2011), permet de relever une manifeste disposition des deux parties d'asseoir de solides relations dont les protagonistes étaient le roi Mohamed VI et le président du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatéro. Ce changement d'attitude fut une réplique à la doctrine de belligérance impulsée durant le mandat d'Aznar, lequel avait parié sur un déséquilibre dans les relations de l'Espagne avec le Maghreb en faveur de l'Algérie. 2.3.1. Les tentativas d'entente Depuis la publication, le 31 mars 1976, par le roi Hassan II de son premier livre autobiographique « Le défi », les journalistes espagnols retiennent surtout l'expression « nous sommes condamnés à nous entendre », allusion faite à la situation géographique et au poids du legs historique commun. Le défunt souverain a développé cette idée, par la suite dans une réponse à une question en relation avec l'attitude de la gauche espagnole à l'égard du Maroc lors d'une conférence de presse au palais royal de Rabat el 11 novembre 1976, en soutenant: « la gauche espagnole doit être moins utopique, plus pratique et doit se rendre compte du futur de nos relations. En réalité, il n'existe pas de frontières entre le Maroc et l'Espagne. Le Détroit de Gibraltar n'est pas une frontière sinon un champ d'action commune ». Décrivant ses rapports avec le roi juan Carlos 1 er, le défunt souverain écrit dans la page 198 de son second ouvrage « Mémoires d'un roi » que « nous sommes très bien unis et nous nous tutoyons ». Le monarque espagnol avait d'ailleurs effectué le 14 juin 1979 sa première visite officielle au Maroc, quatre ans après son intronisation. Pour le roi Hassan II, son interlocuteur recevable en Espagne ne peut être autre personne que le roi, comme l'avait rappelé dans la page 9 du même ouvrage. Cette attitude fut qualifiée par les médias espagnols (Cambio 16, 19/12/1976; El País, 7/6/1978) comme une des causes qui empêchaient l'instauration de relations fluides et normales entre les deux pays. Réagissant avec désagrément face au traitement privilégié que réserve la monarchie marocaine à la famille royale espagnole, Aznar avait décidé d'écarter de l'agenda politique officiel tout type d'initiative qui pourrait provenir du roi Juan Carlos 1 er dans la solution de la crise de 2001/2002 entre les deux pays. Fernando Moran, alors ministre des affaires relations extérieurs du premier gouvernement socialiste de Gonzalez, avait eu, auparavant, l'idée de changer le cours de la diplomatie espagnole en rapport avec le Maroc. Il défendait une théorie selon laquelle son pays manquait de vision historique et de projet clair à l'égard de ses intérêts dans la région du Maghreb. Il était conscient de l'impérieuse nécessité d'abandonner la diplomatie postfranquiste basée sur une stratégie d'équilibre en Afrique du Nord à cause de la rivalité maroco-algérienne autour de la lutte pour l'hégémonie régionale. Cette stratégie avait échoué en 1975 à partir du moment où Rabat commençait en 1975 à exercer des pressions sur Madrid pour la question du Sahara. L'Algérie avait réagi en permettant de son côté au leader canarien, Antonio Cubillo, de proclamer à partir de son exil à Alger, l'indépendance de l'archipel des Iles Canaries, rapportaient l'hebdomadaire Cambio 16 du 19 décembre 1976 et le quotidien El Pais du 7 juin 1978. La « stratégie globale » que préconisait Moran, après la victoire des socialistes aux élections générales de 1982, avait comme but final le développement de bonnes relations dans l'égalité entre l'Espagne et l'ensemble des pays du Maghreb sans discrimination aucune. Pour le premier gouvernement socialité, la stratégie idoine de défendre les intérêts nationaux (dont le futur de Sebta, Melilla et la sécurité économique des Iles Canaries), serait de renforcer la coopération économique avec le Maroc et les autres Etats maghrébins au pied d'égalité, écrit Miguel Angel-Moratinos, l'ex-ministre socialiste des relations extérieures (14 mars 2004 – 20 octobre 2010) dans son ouvrage « Politique extérieure et de coopération au Maghreb » (MAEX, 1991). Les liens personnels qui unissaient les deux monarchies devraient agir comme soutien fondamental dans le renforcement des relations politiques entre les gouvernements des deux Etats. Le pragmatisme du PSOE, après son triomphe aux élections de 1982, a ainsi permis de dissiper les inquiétudes des responsables marocains à l'égard du futur gouvernement socialiste et des relations bilatérales. A suivre ...