La visite qu'effectue, mercredi au Maroc, Mariano Rajoy, dans son premier déplacement à l'étranger en tant que président du gouvernement espagnol, suscite un intérêt singulier dans les milieux politiques et d'observateurs qui s'intéressent au suivi des relations maroco-espagnoles. Les raisons abondent. Toutefois, les intellectuels hispanophones marocains ont une vision particulière des rapports entre les deux Etats voisins eu égard à leur profonde connaissance des conflits bilatéraux et des regards croisés entre les sociétés civiles dans les deux pays. Leurs opinions sont marquées par un scepticisme mesuré et dégagent des attitudes prudentes quant aux objectifs auxquels aspirent les responsables dans les deux gouvernements. L'accumulation des différents entre l'Etat marocain et la coupole du Parti Populaire, alors dans l'opposition, pèse fortement dans l'expression des opinions de ces intellectuels. Voici un échantillon de ces points de vue : Abdellah Ennour, Président du Centre Marocain d'Etudes Hispaniques (C.M.E.H) : «Intensifier la coopération géostratégique et sécuritaire entre les deux pays» Logiquement, cette visite ne va pas apporter du nouveau. Elle s'inscrit dans une tradition instaurée depuis le premier gouvernement socialiste de Felipe Gonzales de 1982 et qui veut que le premier voyage officiel à l'étranger effectué par le nouveau président du gouvernement espagnol soit réservé au Maroc. Toutefois, cette visite du président Mariano Rajoy au Maroc porte un message selon lequel le gouvernement actuel de Madrid veut donner l'impression qu'il opte pour le statu quo pour ne pas aggraver la vision négative qu'ont les Marocains du Parti Populaire et de sa politique envers les intérêts du Maroc. Il paraît aussi et comme le montre le profil des membres du cabinet du Président Rajoy, notamment ceux chargés de la projection extérieure de l'Espagne et leurs déclarations, que le Maroc ne constitue plus une priorité de la politique extérieure de leur pays. D'abord, l'intérêt espagnol est accordé à l'environnement européen, seul espace géographique susceptible de résoudre les problèmes liés à la crise économique et financière que traverse le pays. Ensuite, il y a une considération géopolitique qui impose le retour à l'Amérique Latine qui compte les pays les plus intéressants au niveau de la dynamique économique mondiale. Face à cette situation, l'actuel gouvernement marocain doit adapter sa politique espagnole et s'assigner ainsi de nouveaux objectifs prioritaires. D'abord, il est indispensable d'intensifier la coopération géostratégique et sécuritaire entre les deux pays. Ensuite, les deux capitales sont appelées à redynamiser la coopération économique hispano-marocaine, notamment au niveau de ses aspects humain et technologique. Le Maroc est aussi invité à revoir, à travers des nouveaux accords bilatéraux, sa politique d'immigration en Espagne. La communauté marocaine installée dans ce pays et qui compte environ un million de personnes, et dont la constitution espagnole (articles 13-1 et 23) lui accorde actuellement un statut ainsi que la nouvelle constitution marocaine (article 30) qui lui prévoit une nouvelle fonction, qui est celle de participer activement à la vie politique espagnole locale à travers la participation aux élections. Dans cette nouvelle perspective de réciprocité, le vote des marocains résidents en Espagne va constituer un premier pas vers le basculement du Maroc d'un sujet d'enchères et de spéculation de politique intérieure à un thème de participation dans la préparation de l'avenir politique et économique. Cependant, les conditions de réussite de cette démarche exigent un nouvel encadrement associatif de l'émigration marocaine en Espagne. Aussi une nouvelle pratique consulaire marocaine plus communicative et plus compréhensive des aspirations des Marocains de la nouvelle constitution s'impose aussi. Par ailleurs, Rajoy ne manquera pas d'évoquer avec ses interlocuteurs marocains la question de la pêche dont le rejet du parlement européen de l'accord signé avec le Maroc a courroucé les marocains et les milieux de la pêche maritime espagnols. Il va sans dire que cette question est directement liée au conflit du Sahara sur lequel Rajoy devrait donner aux Marocains des précisions sur la position de son gouvernement à l'égard de ce dossier. Haddou Argaz Atta, activiste social et d'amazighité à Madrid: «Ce déplacement a une connotation économique» La visite de Rajoy entre dans le cadre des visites traditionnelles des chefs de gouvernements espagnols nouvellement élus depuis le premier mandat du socialiste Felipe Gonzalez. Toutefois, ce déplacement a une connotation économique qui profite aux intérêts de l'Espagne. Ce qui est certain est que le peuple marocain n'en tirera aucun profit. D'autant plus, depuis la non rénovation de l'accord de pêche entre le Maroc et l'Union Européenne, affectant particulièrement la flotte halieutique d'Espagne, le gouvernement de Madrid et son président ne cessent de multiplier les démarches en vue de permettre le retour des chalutiers espagnols dans les eaux marocaines dans l'objectif de combattre le chômage qui touche l'ensemble des secteurs du pays. De même, les autorités espagnoles s'appuient sur le Maroc dans le contrôle des flux migratoires et la lutte contre le terrorisme international. A travers cette visite, Rajoy compte transmettre son soutien au nouveau gouvernement du Maroc, récemment nommé, ainsi qu'aux nouvelles réformes mises en marche depuis le début des mouvements sociaux et des manifestations du Mouvement 20 Février. Grosso modo, il s'agit d'une visite à caractère économique et commercial. El Hassane Arabi, président de l'Association de Solidarité pour l'Intégration socioprofessionnelle de l'Immigré (ASISI) et universitaire: «La décision de Rajoy de se rendre au Maroc doit être appréciée» Se rendre en visite au Maroc après son investiture comme président de gouvernement est une tradition inaugurée par Felipe Gonzalez, y compris José Maria Aznar l'avait effectuée en dépit des difficultés qu'ont connues les relations bilatérales durant son mandat. Le Maroc se considère pour l'Espagne un voisin incontournable et les hommes politiques espagnols sont parfaitement conscients que sa stabilité est primordiale. La décision de Rajoy de se rendre au Maroc doit être appréciée et nous devons par conséquent la qualifier comme un geste de courtoisie de la part de nos voisins espagnols qui pourraient bien choisir autres destinations tels l'Allemagne ou les Etats Unis, pour ne citer que ces deux pays qui nous surclassent quant aux intérêts que l'Espagne partagent avec eux. Les gestes comptent aussi dans les relations internationales parce que c'est à partir d'eux que nous pouvons connaître le degré d'appréciation que nous méritons de la part de nos voisins. Il suffit seulement de nous demander comment vont-ils accueillir nos voisins de l'est ce geste qui fait du Maroc la Mecque des dirigeants espagnols. En tout cas, ce type de visites devient nécessaire pour renforcer les relations bilatérales dans les domaines. Mohamed El Medkouri, professeur à l'Université Autonome de Madrid : «Le Maroc demeure un pays important pour l'Espagne» La visite revêt une grande importance dans les relations bilatérales et intervient particulièrement pour éliminer les craintes qu'a suscitées le nouveau gouvernement d'Espagne. Il existe de nombreux problèmes épineux qui influent sur le cours normal de ces relations. Il est certain que la remise en marche des canaux d'une communication fluide contribuera à gérer ce type de problèmes. En tout cas, le Maroc demeure un pays important pour l'Espagne en témoigne la place qu'il occupe souvent beaucoup plus dans son agenda intérieur que celui de sa politique extérieure. Comme l'Espagne assume un grand rôle dans les politiques du Sud de la Méditerranée, le voisinage et le complexe réseau d'intérêts invitent expressément à raffermir les relations d'entente et les canaux de dialogue. L'échange de visites, durant les deux dernières semaines, démontre ainsi que les deux pays sont en permanent contact entre eux. Nous souhaitons que cet intérêt politique ait une répercussion sur le rapprochement entre les sociétés et acteurs civils, qui paraissent de plus en plus éloignés les uns des autres. Mohamed Lemrini Ouahhabi, professeur à l'Université Européenne de Madrid : «Rajoy a pris une sage décision en se rendant au Maroc» Les relations maroco-espagnoles ont toujours été difficiles et compliquées et ceci varie selon les périodes. Rajoy a pris une sage décision en se rendant au Maroc dans sa première visite officielle à l'extérieur. Toutefois l'absence totale de l'expérience des chefs de la diplomatie des deux pays inquiète tout observateur. Au Maroc, c'est le numéro deux du Parti Justice et Développement (PJD) qui est le chef de diplomatie alors qu'en Espagne, Rajoy a opté pour un ami qui est compétent mais dans les domaines législatif et économico-financier. Néanmoins, il faut prendre en considération le fait que Rajoy se rend au Maroc deux jours seulement après avoir accueilli à Madrid le président français Sarkozy, et que les écueils des relations ne pourront être résolus, comme toujours, que par les souverains Mohammed VI et Juan Carlos 1 er roi.