Il semblerait que la période de "lune de miel" des huit dernières années dans les relations entre le Maroc et l'Espagne soit sur le point de toucher à sa fin. Tous les sondages menés dernièrement en Espagne montrent que le Parti conservateur, le Partido Popular (PP), est le favori pour gagner les prochaines élections générales, prévues, en principe, en mars 2012. La crise financière et économique mondiale a eu un impact délétère sur la popularité du gouvernement de José Luiz Rodriguez Zapatero, dont le parti socialiste se bat pour faire revivre ses chances de rester au pouvoir. Quel sera l'impact de ce changement politique sur les relations entre le Maroc et l'Espagne? Depuis l'avènement de la démocratie en Espagne avec l'intronisation du roi Juan Carlos en Novembre 1975, les relations entre le Maroc et l'Espagne ont toujours été soumises à des tensions fréquentes, en raison de problèmes épineux, comme le Sahara, la question de Sebta et Melillia, les négociations sur les accords de pêche, l'immigration et la concurrence économique. Toutefois, en dépit de cet agenda politique assez épineux entre les deux pays, le Maroc a réussi à maintenir de bonnes relations de voisinage avec l'Espagne, notamment pendant les périodes ou le gouvernement espagnol était présidé par la gauche. À partir de 1982, lorsque le "Partido Socialista Obrero Español" (PSOE) arriva au pouvoir, les relations entre le Maroc et l'Espagne connurent une amélioration sans précédents. Cela eut comme résultat immédiate le renforcement de la coopération économique et culturelle entre les deux voisins. En moins d'une décennie, l'Espagne a réussi à surpasser d'autres pays, comme l'Italie, l'Allemagne et le Royaume-Uni, pour devenir le deuxième partenaire économique du Maroc après la France. Ce bond dans les relations entre les deux pays était dû en partie à la clairvoyance de l'ancien Premier ministre espagnol, Felipe Gonzalez, et son ministre des Affaires Etrangères, Fernando Moran. Ceux-ci étaient conscients de la nécessité d'établir des relations stables avec leurs voisins du sud et firent montre de leur volonté de faire des compromis afin d'atteindre un tel objectif. Gonzales et Moran étaient intimement convaincus que la création de liens économiques et culturelles plus étroits entre les deux voisins et l'augmentation des réunions de haut niveau entre leurs responsables étaient susceptibles de jeter les bases d'une nouvelle ère dans les relations entre les deux pays, de créer plus de confiance entre leurs dirigeants et favoriser la convergence de leurs intérêts stratégiques. Ils étaient, également, convaincus que le renforcement des intérêts économiques des deux pays pourraient minimiser l'impact négatif des conflits territoriaux (Sebta, Melillia et le Sahara). Grace à cette vision, ainsi que à l'empressement des dirigeants marocains pour ouvrir un nouveau chapitre dans leurs relations avec leur voisin du nord, les relations entre les deux pays n'étaient plus analysées depuis le prisme de la confrontation et la méfiance, mais plutôt depuis celui de la coopération et la confiance. Cette amélioration dans les relations entre les deux pays fut couronnée par la signature du Traité d'Amitié, de Coopération de Bon Voisinage le 4 Juillet 1991 à Rabat. Le même scénario s'est reproduit lorsque le PSOE, dirigé par le Premier ministre Jose Luis Rodriguez Zapatero, est revenu au pouvoir en Mars 2004. Après une période de stagnation dans les relations entre le Maroc et l'Espagne pendant les deux mandats de l'ex-chef du Parti Populaire, José Maria Aznar, de 1996 à 2004, qui fut caractérisée par des tensions et des frictions récurrentes, on a assisté a un nouveau bond dans les relations entre les deux pays, ce qui a débouché sur l'approfondissement de la coopération entre les deux gouvernements sur la question de l'immigration et le renforcement de leurs liens économiques et culturels. Par ailleurs, en Octobre 2004, le Maroc et l'Espagne ont décidé d'envoyer une unité conjointe de maintien de la paix à Haïti sous l'égide des Nations Unies. Dans le même contexte, Madrid a également adopté une position plus neutre concernant la question du Sahara et exprimé son soutien tacite au plan d'autonomie présenté par le Maroc en avril 2007, comme une solution de compromis à ce conflit. Cette position a valu au gouvernement espagnol les critiques des organisations de la société civile en Espagne, lesquelles accusent leur gouvernement d'avoir pactisé avec le Maroc et sacrifié le "droit des Sahraouis de retrouver leur contrôle sur le Sahara." L'Espagne a également joué un rôle clé, avec la France, dans les négociations préalables à l'octroi par l'Union européenne du statut avancé au Maroc. Le sombre épisode pendant les deux mandats de José Maria Aznar La plupart des observateurs des relations entre le Maroc et l'Espagne s'accordent à dire que ces relations sont mieux lotis quand le locataire de la Moncloa est du PSOE. En fait, les relations entre le Maroc et l'Espagne n'ont jamais été aussi tendues que durant l'administration de José Maria Aznar de 1996 à 2004. Au lieu de suivre les pas de son prédécesseur et l'approche conçue par Moran, Aznar a opté pour une politique musclée et de confrontation avec le Maroc. Ceci est devenu plus évident lorsque le 25 avril 2001, Aznar a déclaré sur ton menaçant que l'échec des négociations pour le renouvellement de l'accord de pêche entre le Maroc et l'UE aurait de graves conséquences sur les relations entre le Maroc et l'Espagne, en faisant allusion à la possibilité que celle-ci pourrait cesser son aide financière à celui-la et suspendre tous les programmes économiques et culturels entre les deux gouvernements. Pendant la présidence espagnole de l'UE entre janvier et juin 2002, Aznar est allé aussi loin, dans ses agissements inamicaux à l'encontre du Maroc, jusqu'a proposer un plan d'immigration visant à punir les pays tiers qui n'étaient pas considérés comme suffisamment coopératifs avec l'UE dans la lutte contre l'afflux de l'immigration clandestine vers les territoires européens. Parmi les mesures prévues dans cette proposition, on trouve la suspension des aides financières et les accords de coopération avec les pays perçus comme laxistes dans leurs efforts de lute contre l'immigration clandestine. A travers cette proposition, restée lettre morte, Aznar cherchait à faire payer au Maroc son refus de renouveler l'accord de pêche avec l'Union Européenne. Le malentendu entre les hauts responsables des deux voisins a atteint son apogée le 17 Juillet 2002, lors de la crise de Leila. Dans une démonstration de force critiquée par la plupart des médias étrangers, Madrid a envoyé des navires de guerre pour déloger sept gardes marocains qui avaient planté le drapeau marocain sur la minuscule île de Leila située à moins de 200 mètres de la cote marocaine. Durant ce sombre épisode dans les relations entre le Maroc et l'Espagne, les médias espagnols, à de rares exceptions près, n'ont pas ménager leurs efforts pour souligner “l'absence de volonté” de la part du gouvernement marocain de coopérer de bonne foi avec Madrid sur les questions les plus pressantes a l'ordre du jour des relations entre les deux pays. Il n'était pas rare de lire des éditoriaux et des articles d'opinion, notamment dans les journaux conservateurs, où le roi du Maroc, Mohammed VI, était dépeint d'une manière extrêmement indécente. Retour à la case départ? A travers la lecture des blogs et des journaux électroniques des conservateurs espagnols, on peut en conclure que les dirigeants du Parti Populaire, ainsi que sa base électorale, ont toujours la même perception surannée du Maroc. En effet, ceux-ci perçoivent encore le Maroc comme une menace pour la stabilité espagnole qui devrait être contenue, plutôt que comme un partenaire à part entière, digne de confiance. Le jeudi 7 Juillet, un journal électronique de tendance conservatrice, Region de Malaga, a publié un article d'opinion dans lequel son auteur met en avant une des théories les plus populaires parmi la base électorale du PP: «Le Maroc fut le commanditaire des attentats terroristes survenus à Madrid le 11 Mars 2004, qui causèrent, prétendument, la défaite du PP aux élections générales». Dans cet article d'opinion rempli de calomnies, intitulé «Estuvo Marruecos Detras del 11M?» (Est-ce que le Maroc était derrière le 11 Mars?), Victor Ros, accuse le Maroc d'être derrière les attentats terroristes qui frappèrent Madrid à la veille des élections générales de Mars 2004. Sans fournir aucune preuve qui pourrait étayer ses allégations, l'auteur affirme que le Maroc aurait «planifié ces attaques à l'avance afin d'atteindre deux objectifs: se venger de l'humiliation que Aznar lui a infligé lors de l'épisode Leila en Juillet 2002 et renvoyer le PP au rôle de l'opposition dans la vie politique espagnole, ouvrant la voie pour le Maroc pour réaliser ses intérêts stratégiques. Ros ajoute que ces attaques terroristes «furent planifiées au siège de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure» de la France, soulignant que M. Aznar avait fait allusion, devant la commission d'enquête sur les attaques, au rôle du Maroc dans ces événements tragiques. Par ailleurs, Victor Ros n'hésite pas à décrire le Roi Mohamed VI comme un «satrape et assassin», un écart de langage qui n'est pas rare parmi de nombreux médias conservateurs en Espagne. Aussi mensongères et sans fondement que ces allégations puissent paraître, il n'en reste pas moins qu'elles trouvent un grand écho parmi le noyau dure et les jusqu'au-boutistes du parti conservateur. Ce genre de publication donne le ton de la couverture médiatique qui pourrait, encore une fois, cibler le Maroc durant la période préalable aux élections générales en Espagne, ainsi qu'après le retour des conservateurs au pouvoir. Dans le scénario le plus probable que le parti conservateur gagne les élections l'année prochaine, il y'a de fortes chances que les relations entre le Maroc et l'Espagne ne soient pas aussi cordiales que pendant les deux mandats de M. Zapatero. Il ne fait aucun doute, qu'en ce qui concerne les questions de politique étrangère, en particulier celles liées au Maroc, les dirigeants du Parti Populaire vont puiser dans le sentiment anti marocain qui prévaut parmi la plupart des Espagnols afin de parvenir à une victoire écrasante lors des élections générales et obtenir une majorité confortable au sein du parlement. Déjà le 9 juillet dernier, le chef du PP, Mariano Rajoy, a exprimé son opposition à la possibilité que les Marocains vivant aux enclaves de Sebta et Melillia, obtiennent le droit de voter lors des prochaines élections municipales qui auront lieu en 2015. Cette déclaration est intervenue après le vote positif sur la nouvelle constitution marocaine dont l'article 30 donnera aux Espagnols vivant sur le sol marocain le droit de voter aux élections municipales marocaines. Selon le principe de réciprocité, les Marocains vivant en Espagne auront le droit de voter aux élections municipales en Espagne. Pour justifier son opposition au vote des Marocains, le chef du PP met en avant l'argument selon lequel leur vote ferait pencher la balance en faveur des partis qui représentent les Marocains naturalisés vivant à Sebta et Melillia, considérées par le PP comme pro-marocains et favorables à la position du Maroc concernant le statut des deux enclaves. Le PP soutient également que ce droit de vote à Sebta et Melillia ne peut pas être accordé aux citoyens d'un pays qui conteste la légitimité de leur appartenance à l'Etat espagnol. Mais il semblerait que la principale préoccupation du PP soit que le vote des immigrés marocains diminue ou même menace sa confortable majorité absolue dans les deux enclaves, confirmée pendant les élections municipales tenues en mai dernier. Eu égards au fait que le PP est un ardent défenseur de la «Espanolidad» de Sebta et Melillia, il est fort probable que les deux enclaves soient exclues de tout accord signé entre le Maroc et l'Espagne concernant la réciprocité des votes dans les élections municipales. Il est même possible que, sous un gouvernement du PP, un tel accord entre les deux pays ne voie pas le jour. On pourrait, encore une fois, assister à une couverture médiatique où les faiseurs d'opinion espagnols connus pour leurs penchants anti-marocaine, mettraient en avant l'argument selon lequel l'octroi du droit de vote aux Marocains serait susceptible de perturber l'équilibre politique en Espagne. Un des arguments qui pourrait être utilisé par les conservateurs est le fait que les différences culturelles et religieuses entre les immigrés marocains et le pays d'accueil les rendraient non-intégrable dans la société espagnole et, par conséquent, non aptes à participer dans sa vie politique. Compte tenu de la méfiance séculaire des Espagnols envers leurs voisins du sud, nous pourrions assister à un débat houleux à propos de la pertinence d'accorder aux Marocains le droit de vote aux élections municipales, tant en Espagne continentale que dans les enclaves de Sebta et Melillia. En ce qui concerne la question du Sahara, il ne serait pas surprenant de voir le gouvernement espagnol passer, à nouveau, d'une position neutre à une politique qui pourrait être perçue par le Maroc comme contraire à ses intérêts en ce qui concerne ce conflit. A la lumière de ce qui précède, il serait plus approprié et plus judicieux pour le Maroc de se préparer à tous les scénarios concernant la question du Sahara. Par ailleurs, les responsables marocains, au même titre que les médias devraient être proactifs et prêt à gérer de la meilleure façon possible la manière dont un nouveau gouvernement espagnol va aborder ces relations avec le Maroc. *Samir Bennis est un analyste politique. Il est titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Université de Provence (France), un Master en sciences politiques, un Master en études diplomatiques et stratégique, un Master en études ibériques et une Maîtrise en littérature espagnole. Il a publié de nombreux articles dans de nombreuses langues et est l'auteur du livre: “Maroc-Espagne : les relations politiques, économiques et culturelles: 1956-2005 “, publié en 2008. Il vit à New York. La version originale de cet article fut publiée le 14 juillet 2011 dans le journal électronique Morocco World News (www.moroccoworldnews.com) dont l'auteur et le co-fondateur et éditeur en chef.