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L'empire Akhennouch
Publié dans Agadirnet le 08 - 07 - 2007

Il contrôle la politique énergétique du Maroc, possède le groupe de presse le plus riche du pays et a tissé son réseau dans les hautes sphères du pouvoir. Portrait d'un homme aussi puissant que discret.
Samedi 16 juin. Une procession de berlines défile devant une somptueuse villa du quartier Polo à Casablanca. Si Aziz, comme l'appellent ses familiers, marie en grande pompe sa belle-sœur. “Il a toujours eu le sens de la famille. Une qualité héritée de son père, Ahmed Oulhaj”, confie une relation d'affaires. Akhennouch, maître de
cérémonie, attend sur le perron d'éminents membres du gotha financier, politique et médiatique. Côté nomenklatura rbatie, Mohamed Boussaïd, ministre et ami de longue date, ainsi que Noureddine Bensouda, le directeur des impôts et accessoirement compagnon de ski à Courchevel.
“Le casting rbati aurait pu être plus prestigieux si Fouad Ali El Himma n'était pas pris par les négociations avec le Polisario aux Etats-Unis”, explique un habitué des soirées mondaines. Mais l'absence du numéro deux du régime a été compensée par la présence du monde des affaires casablancais. Moulay Hafid Elalamy, président de la CGEM, a répondu présent au rendez-vous, accompagné par une kyrielle de businessmen. “Il y avait tellement de décideurs qu'on aurait pu constituer une mission économique en bonne et due forme”, ajoute, avec un sourire, cet invité. On pouvait notamment y croiser des figures de l'amazighité économique, à l'instar de Miriem Bensaleh, du groupe Holmarcom et Mustapha Amhal, ex-patron de Somepi. Akhennouch avait aussi, pour l'occasion, convié les deux extrémités géographiques de son réseau : Mohammed Sajid, maire de Casablanca, fortune berbère qu'il avait accueillie d'une grande accolade chaleureuse lors de la dernière édition de Caftan. Et plus au sud, Tarik Kabbaj, maire d'Agadir, un partenaire stratégique dans la région Souss-Massa-Drâa, que Aziz Akhennouch préside depuis 2003. Les médias étaient également représentés, puisque l'on pouvait reconnaître Samira Sitaïl, directrice de l'information de 2M, ainsi que des plumes et décideurs du groupe de presse Caractères, un autre bijou de famille Akhennouch.
Le casting des invités au mariage est à l'image de son empire, bâti sur trois socles : les affaires, la politique et les médias. Cependant, sa participation active dans ces centres de décision est souvent masquée par la discrétion et la timidité qu'on lui prête. “Il a horreur d'être pris en photo”, signale à ce propos un ex-associé dans les médias. Il est aussi présenté comme un patron sans goût pour l'esbroufe, comme le montre le siège du holding qu'il dirige : sis en plein quartier industriel de Aïn Sebaâ, le QG d'Akwa est aux antipodes de celui de la BMCE et son panneau d'indicateurs boursiers très Wall Street local. Il n'a pas non plus, avec ses salariés et les médias, les attitudes princières d'un Othman Benjelloun, qui fait parfumer au bois de santal l'étage de la direction de sa banque. Mais malgré, ou peut-être grâce à son côté effacé, le protégeant comme une seconde peau, Akhennouch est devenu un des hommes avec lesquels il faut compter désormais. Retour sur son ascension de l'Everest Maroc.
La mue de l'héritier
Au milieu des années 90, Aziz Akhennouch revient au Maroc après des études de marketing au Canada. Héritier désigné du holding Akwa, groupe bâti au sortir de l'indépendance par son père Ahmed Oulhaj, le jeune impétrant d'une vingtaine d'années décide de faire bondir l'entreprise familiale dans le troisième millénaire. Il pioche pour cela ses collaborateurs directs parmi ses compagnons d'études à l'université de Sherbrooke à Montréal. “Il voue un culte aux compétences et aucune à l'origine des recrues”, signale l'une de ses relations d'affaires. Sous-entendu, il ne joue pas la carte berbère quand il s'agit de gérer les ressources humaines.
La stratégie d'Akhennouch s'avère vite payante. Dès 1999, le groupe jouit d'une notoriété qui lui faisait défaut à l'époque du père. Akhennouch multiplie les initiatives qui “font parler de vous” dans le monde des affaires et dans les médias à vocation économique : introduction en Bourse de filiales du groupe, participation dans Méditelecom, relooking des stations-service Afriquia et investissement dans les médias à travers la prise de contrôle du groupe Caractères. Cependant, sur le plan financier, Akwa reste modeste, comparé aux mastodontes de l'économie marocaine, puisque le cœur d'activité du holding repose sur la distribution des hydrocarbures, dont la marge bénéficiaire est réduite à 3%. Akwa subit, de plus, la concurrence d'autres opérateurs nationaux et internationaux.
Mais le gros lézard de Aïn Sebaâ va vite muer pour rejoindre la caste des Tyranosaurus Rex du capitalisme marocain. Ceci, par la grâce du hasard, en 2002, quand la raffinerie de la Samir, à Mohammedia, se retrouve KO technique suite à un incendie. Pour éviter la panne sèche en gaz et carburants, le gouvernement ouvre les vannes de l'importation, jusque-là chasse gardée de la Samir. Grâce à cette nouvelle distribution des cartes énergétiques, Akhennouch peut abattre son carré d'as : “Nous avions investi avec Total dans un centre de stockage à Jorf Lasfar. Cette unité devait fonctionner après la libéralisation du secteur en 2009, mais l'incendie de la Samir en a décidé autrement”, explique Aziz Akhennouch. L'importation d'hydrocarbures, qui permet à ce dernier de doubler ses marges bénéficiaires, sera son cheval de bataille dans la guerre qu'il entame pour contrecarrer le monopole de la Samir. Akhennouch fait du lobbying afin de poursuivre l'importation de carburants, malgré la reprise d'activité de la raffinerie de Mohammedia. “Nous ne faisions que défendre nos intérêts face à la Samir, qui voulait retarder l'échéance de la libéralisation. Nous avons tout simplement lancé le débat sur la place publique”, confie le boss d'Akwa Group. Et quelle place publique ! Chacun des combattants tirait à boulets rouges sur l'autre par médias interposés. Aziz Akhennouch déclare la guerre à la Samir, sachant bien que le débat sur la politique énergétique du Maroc a toutes les chances de tourner en sa faveur. En face, l'ennemi n'est plus vraiment en odeur de sainteté avec de l'Etat. Ça sentirait même plutôt le gaz pour la Samir, qui n'a pas respecté ses engagements d'investissement annoncés au moment de la privatisation de la raffinerie. D'autre part, les pressions des distributeurs internationaux pour se faire payer par le Maroc se font de plus en plus fortes, ces derniers allant même jusqu'à brandir la menace de couper les robinets de carburant.
Naissance d'un magnat du pétrole
Les conditions sont alors réunies pour qu'émerge un champion national du pétrole. L'Etat est même prêt à lui faire la courte échelle : “Les pouvoirs publics ont pris conscience, à l'époque, de l'importance d'être indépendant des autres pays dans le domaine de la distribution d'hydrocarbures. Il leur fallait un groupe aux reins solides pour assumer le rôle de leader du secteur”, explique un acteur du milieu pétrolier. Cela tombe bien, Aziz Akhennouch a le profil du gendre idéal, surtout aux yeux d'Attijariwafa bank, qui, par le pouvoir de ses lignes de crédit, peut redessiner le capitalisme marocain à sa guise. La banque de l'Ona va ainsi dérouler le tapis rouge à Akhennouch, en finançant l'acquisition d'un autre grand acteur des hydrocarbures, le groupe Somepi, propriété de Mustapha Amhal. Un deal d'un milliard de dirhams, financé en grande partie par Attijariwafa. “Amhal aurait tout à fait pu être ce champion national, mais il a péché aux yeux des décideurs en décidant de s'allier à la Samir et en n'honorant pas ses prêts contractés auprès d'Attijariwafa bank”, affirme un homme d'affaires qui a suivi de près le rachat de Somepi par Akwa Group.
Pourtant, si l'on s'en tient à la logique bancaire, Akhennouch n'était pas mieux loti qu'Amhal. Encore plus endetté que ce dernier, Akhennouch est même contraint de revendre à la CDG ses parts dans Méditel pour renflouer ses caisses. Malgré cela, Attijari met le couteau sous la gorge d'Amhal pour récupérer l'argent qu'elle lui a prêté. Et de l'autre, ouvre grandes les portes de ses caisses à Akhennouch qui, sans cette manne providentielle, n'aurait jamais pu prendre des épaules de champion national. “Les cabinets d'études chargés de la fusion n'en revenaient pas. Par quel miracle, le moins fort sur le plan opérationnel, avait-il pu se payer plus puissant que lui ?”, s'interroge un banquier d'affaires ayant participé aux négociations. Aziz Akhennouch a une réponse à cette question intrigante : “Nous voulions atteindre une taille critique. Au même moment, Amhal négociait le rachat de son entreprise par des groupes étrangers. Je l'ai contacté pour lui proposer un rapprochement de nos activités. Au fil des négociations, ce rapprochement s'est transformé en rachat”.
Bien lancé sur une ligne droite, sans obstacles sur sa route, Aziz Akhennouch actionne le turbo. Quelques semaines plus tard, il acquiert Tissir gaz. Résultat de cette poussée de croissante subite : Akwa contrôle un réseau de 400 stations-service, 24% du marché des hydrocarbures et 34 % du marché gazier. C'est enfin un géant, d'une taille suffisamment respectable pour arriver à se faufiler, en 2004, dans le tour de table d'un Gulliver international, le groupe Maersk, soumissionnaire pour l'exploitation du premier quai à conteneurs du port Tanger-Med. “Nous nous sommes associés à Maersk car c'était un client potentiel de taille, dans la perspective de la concession du quai pétrolier de Tanger-Med que nous voulions décrocher”, explique Akhennouch. Son vœu est exaucé quelques mois plus tard, quand il obtient l'adjudication de cette station-service pour cargos et gros bateaux en tout genre aux portes de la Méditerranée. Plus rien n'arrête Akhennouch, adoubé champion national, qui a bientôt droit à la botte secrète des athlètes bien de chez nous : le dopage étatique. Akwa se voit ainsi confier l'approvisionnement en gaz du Maroc. Pour l'occasion, un consortium est créé en partenariat avec l'ONE et la Samir, l'ennemi d'hier. Coût du projet : 10 milliards de dirhams. “Nous avons décroché tous ces marchés suite à des appels d'offres transparents”, assure Aziz Akhennouch, comme pour balayer d'un revers de la main l'ombre de sa proximité avec les nouveaux hommes du sérail.
La paire Akhennouch - El Himma
Le plus grand exploit d'Akhennouch n'a jamais fait la Une de la presse économique. Nature du tour de force ? Avoir réussi à faire oublier (et se faire pardonner) sa proximité avec l'ex-ministre de l'Intérieur Driss Basri. C'est en effet à l'ancien vizir de Hassan II que Akhennouch doit sa nomination au G14, un think-thank créé par le roi défunt au milieu des années 90. Basri aurait même tenté de faire de son poulain un crack de l'économie (avant l'heure) en soutenant sa proposition de rachat de la Samir lors de sa privatisation. Ceci, pour deux fois moins que la valeur fixée de la raffinerie. Basri renvoyé à ses études, Akhennouch ne veut pas payer les dommages collatéraux de la chute de l'ancien homme fort du régime : “Il a tout fait pour dissocier son nom de celui de Basri”, se souvient un proche du magnat des hydrocarbures.
La formule secrète d'Akhennouch est efficace puisque, pris d'amnésie, le sérail lui renouvelle son visa royal. Dans le rôle du préposé au cachet, Fouad Ali El Himma, le nouveau numéro 2 du régime et proche d'Akhennouch. “Je ne mélange jamais amitié et affaires. Je n'ai d'ailleurs jamais profité d'un quelconque avantage ni d'un terrain”, se défend le président d'Akwa. Et des amis, Akhennouch en a beaucoup, dont certains très inattendus : “Aziz, ami de longue date, m'a appelé un jour pour nous proposer, à Mohammed Sassi (ndlr : dirigeant du PSU, parti d'extrême gauche) et à moi-même de rencontrer El Himma”, raconte Mohamed Hafid, membre du bureau politique du parti. “Hafid est un ami au même titre qu'El Himma. Ils sont différents, certes, mais ils ont en commun le bon sens”, explique Akhennouch. Ce dernier héberge dans sa villa de Bouznika, en juillet dernier, le round au sommet où El Himma chantera toute la nuit, aux représentants de l'extrême gauche, “Times they are changing” de Bob Dylan, dans sa version nouvelle ère. “Akhennouch est resté présent pendant toute la durée de la rencontre comme le ferait n'importe quel hôte avec ses invités”, raconte Hafid.
Main secourable d'El Himma dans la diplomatie avec l'extrême gauche, Aziz Akhennouch est aussi considéré comme l'œil du numéro 2 de la Maison Maroc dans le monde des affaires. Le magnat du pétrole a joué notamment un rôle crucial dans la fronde organisée en 2003 contre Hassan Chami, alors président de la CGEM. Trois ans plus tard, il est même encouragé par ses compagnons à se présenter comme candidat à la présidence de la Confédération. Cela aurait fait de lui le premier non Fassi à la tête de la centrale patronale. “Il a gentiment décliné l'offre pour des raisons de disponibilité”, signale un homme d'affaires. “Heureusement que nous avons toute latitude pour le joindre au téléphone. Vu son emploi du temps de folie, c'est le seul moyen pour que les affaires continuent de tourner. Un coup, il est à Rabat, un autre à Agadir”, explique un membre du staff d'Akwa. Des allers-retours incessants depuis 2003, année ou Akhennouch est élu à la tête de la région de Souss-Massa-Draâ.
Akhennouch, roi du Souss
En charge de la deuxième région la plus riche du Maroc, Akhennouch est entré dans l'arène politique avec sa retenue légendaire : “Sans étiquette politique, il fait l'unanimité dans l'instance. Les séances du Conseil démarrent à 9 heures, et tout est bouclé à 13 heures. Il était d'ailleurs candidat unique à sa propre réélection en 2006”, rapporte un membre local du Mouvement Populaire. Un parti dont serait très proche Akhennouch par héritage familial. “Nos pères respectifs sont des amis depuis l'époque de la résistance”, explique Saïd Ameskane du MP, un ponte du parti comme, avant lui, son père Mohamed Ameskane. “Approché par l'Istiqlal, l'USFP et le RNI, Akhennouch a décliné toutes les offres. Il reste attaché au MP par fidélité à l'amitié qui unissait son père et Mohamed Ameskane”, confirme un connaisseur des arcanes politiques du Souss. Des affinités électorales bien utiles, selon un autre observateur : “Son statut très particulier de sympathisant du MP, sans en être membre, lui permet de profiter de la position dominante du parti dans la région. Et de ne pas subir les inconvénients d'une image partisane qui pourrait lui nuire dans ses affaires”.
Cette possible nuisance serait minime dans la région, Akhennouch étant très peu présent dans les secteurs-phares du Souss : la pêche, l'agriculture et le tourisme. Ce qui ne l'empêche pas de retrousser ses manches pour vendre la région aux touristes. C'est ainsi que, grillant sur le fil Essaouira, Akhennouch accueille à Agadir le “concert de la tolérance” en 2006, manifestation sponsorisée par TF1. Le concert, retransmis par la chaîne française, sera un énorme coup de pub pour Agadir. Et par ricochet pour Akhennouch. Ainsi, le concert s'est déroulé, avec pour toile de fond, la Marina d'Agadir, l'un des rares investissements directs dans la région du patron d'Akwa. Et le lendemain, DM (Du Maroc), magazine lancé par ce dernier en France, a eu droit aux honneurs du journal dominical de 13 heures de TF1.
Pour séduire les investisseurs, il n'hésite pas non plus à convier la CGEM à tenir son conseil d'administration à Agadir, afin de présenter les atouts de la région. Et pour joindre l'utile à l'agréable, cette réunion s'est déroulée pendant le défilé de mode Caftan, organisé par le magazine Femmes du Maroc, propriété d'Akhennouch. Un défilé déplacé fort opportunément de Marrakech à Agadir depuis cette année. “Il était contre ce déménagement, c'est nous qui avons insisté pour des questions de logistique”, justifie Aïcha Sakhri, directrice de publication de Femmes du Maroc. Bien évidemment, une fois à Agadir, toute la machine Akhennouch s'est mise en branle pour débloquer les chambres d'hôtel nécessaires à l'organisation, aux mannequins et aux journalistes.
Et comme il n'y a plus de grand homme sans son festival, Akhennouch investit la vie culturelle en finançant le Festival Timitar, consacré à la culture amazighe. Akhennouch y reproduit sa méthode de gestion préférée : la délégation et l'exécution rapide. “Il m'a demandé de lui présenter un projet de festival dans les deux jours suivant notre premier entretien. Quarante-huit heures plus tard, il validait l'idée en me déclarant 'Tu fonces, tu as ma confiance'”, confie Brahim El Mazned, directeur de Timitar. “Il n'a qu'une exigence chaque année : avoir des têtes d'affiche pour convaincre les sponsors”, ajoute-t-il. Intervenant peu interventionniste dans l'organisation du festival, il n'est pas rare cependant de le croiser dans les coulisses, talkie-walkie à la main pour être informé du déroulement des opérations. “Il est d'un calme absolu, s'énervant rarement. Mais quand ça lui arrive, il a des colères terribles”, confie un membre de l'organisation de Timitar.
Malgré ce soutien à la culture amazighe, Akhennouch ne jouit pas d'une excellente image auprès des organisations militantes, qui lui reprochent de ne pas s'engager de manière plus ferme pour la cause amazighe. Encore une fois, pour ne pas faire de vagues malencontreuses. Pourtant, l'homme, même s'il parle très mal le berbère, semble être au fait des derniers débats sur l'amazighité. “Lors d'une rencontre, il m'a parlé avec précision de tous mes écrits”, confie Ahmed Assid, membre de l'IRCAM. Akhennouch a d'ailleurs failli intégrer le Conseil d'administration de cette instance. “Il faisait partie des noms que nous avons proposés au Palais royal en 2005. Mais c'est Ahizoune qui a été choisi”, se souvient Assid. Raïs d'ahwach de son état, ce dernier est aussi une bonne connaissance d'Akhennouch, pour qui il a animé une soirée, l'été dernier, à Aguerd Oudad, fief originel du patron d'Akwa. “Je reste attaché à ma région natale comme n'importe quel amazigh”, confie Akhennouch. Et comme tout berbère ayant fait fortune ailleurs, il ne manque pas d'en faire profiter son village au travers de projets de développement locaux. S'il reste discret sur les activités de ce type, ce n'est pas faute de journaux pour en parler.
Akhennouch, patron de médias
Aujourd'hui, Akhennouch est à la tête du groupe Caractères, éditeur de la Vie éco, de Femmes du Maroc, Nissae Min Al Maghrib et Maisons du Maroc. Un joli bouquet médiatique où il communique peu, mais qu'il sait mettre à profit pour les “grandes causes”. Explication de texte : “Je reçois un jour un coup de fil de Samira Sitaïl (ndlr : directrice de l'information de 2M) me demandant des informations sur nos supports féminins”, raconte Aïcha Sakhri, étonnée par ce coup de fil. Elle n'est pas au bout de sa surprise quand elle découvre la raison de cet appel téléphonique. Le roi veut qu'on organise une photo de famille à l'occasion de la naissance de la princesse Lalla Khadija. Quelques jours plus tard, l'affaire est dans le sac, la petite princesse pose avec Papa et Maman lors d'une séance photo, qui sera publiée dans le magazine Nissae Min Al Maghrib. Une contre-attaque sur papier glacé pour contrer le syndrome Paris Match, de plus en plus reproché par la presse marocaine à Mohammed VI. Dans la foulée, Aziz Akhennouch est invité par Femmes du Maroc à assister au montage de l'article royal. Il ne se fait pas prier, arrive ponctuel au rendez-vous, mais se fait arrêter à la porte par le vigile de service. “Il ne me connaissait pas. Quelqu'un de la rédaction de Femmes du Maroc a dû lui signaler que j'étais attendu”, en rit Aziz Akhennouch, qui n'avait jamais mis les pieds au siège de son pôle média féminin à Sidi Maârouf, à Casablanca.
Par contre, même s'il s'en défend, il surveille d'un œil plus affûté la Vie éco, compte tenu de l'influence de l'hebdomadaire dans le monde des affaires. Ainsi, lors de sa guerre contre la Samir, l'hebdomadaire économique sera l'un des principaux relais des thèses de son actionnaire principal. Ce sont également les intérêts économiques d'Akwa qui lui imposent parfois de passer sous silence des évènements d'envergure. Exemple : lors de la démission de Khalid Oudghiri, PDG de la plus grande banque du royaume, la Vie éco ne publiera pas un mot sur l'évènement, qui pourtant défraie la chronique. “L'information est tombée un mercredi. Se borner à dire que M. Oudghiri a démissionné pour des raisons personnelles est une information qui est périmée vendredi. C'est pour cela que nous n'avons pas traité ce sujet”, justifie Fadel Agoumi, directeur de publication de La Vie économique. Pour les initiés de la politique médiatique d'Akhennouch, la véritable raison est ailleurs. “Un article sur Oudghiri dans cette conjoncture n'aurait pu se faire sans une prise de position. D'un côté, Akhennouch n'a aucun grief contre Oudghiri, patron de la banque qui l'a aidé à racheter Somepi. De l'autre côté, il n'a pas voulu non plus courir le risque de s'attirer les foudres des patrons des holdings royaux”, contredit un connaisseur des arcanes du groupe. Sans oublier qu'Attijariwafa est actionnaire à hauteur de 10% dans le groupe Caractères.
Cette stratégie de black-out n'est pas nouvelle chez Akhennouch. La Vie éco ne parlera jamais du cas Basri, alors que ce dernier faisait les choux gras de la grande majorité de la presse nationale, depuis son exil parisien. Parler de Basri, c'est risquer de déterrer les vieux liens qui l'unissaient à Akhennouch. Au moment du rachat de La Vie éco, Akhennouch s'est retrouvé affublé d'un rédacteur en chef, Fouad Nejjar,dont la mission est de tenir la maison Basri en ordre. “Il est clair que Nejjar prenait ses instructions ailleurs”, affirme de manière faussement mystérieuse un ancien membre du groupe Caractères. “La rédaction était en arrêt technique pour protester contre son rédacteur en chef. J'ai dû intervenir personnellement pour leur expliquer la situation”, raconte Akhennouch. Teneur du discours : impossible pour le magnat d'évincer le “représentant” de Basri, encore au pouvoir. Le rapport de forces s'est inversé aujourd'hui, avec la montée en puissance d'Akhennouch, si bien que certains annoncent déjà le magnat des hydrocarbures comme ministrable. À la question, Si Aziz sort son joker : “Je passe !”. C'est tout lui : peu loquace, fuyant les projecteurs. Un empereur aussi puissant que discret.
[Voir le schèma]
Ahmed Oulhaj Akhennouch. Tel père, tel fils
Ahmed Oulhaj Akhennouch, le père de Aziz, le patron d'Akwa Group, est originaire de Aguerd Oudad, un douar proche de Tafraout, dont les forces vives ont émigré dès les années vingt à Casablanca. “Beaucoup de familles originaires de ce village ont fait fortune dans la métropole”, confie à ce propos Ahmed Assid, de l'IRCAM. Mais aucune d'entre elles n'a connu une réussite comparable à celle de la famille Akhennouch. Arrivé à Casablanca en 1932, Ahmed Oulhaj Akhennouch ouvre une échoppe où il revend du pétrole au litre. Doué d'un remarquable sens commercial, il développe rapidement un réseau de distribution comptant sept échoppes, dont certaines sont confiées en gérance. Une sorte de franchise avant l'heure. Une dizaine d'années plus tard, il retourne à Agadir pour y ouvrir une conserverie et une taillerie de marbre. Parallèlement à ses activités de commerçant, Oulhaj soutient les nationalistes marocains dans leur combat pour l'indépendance du Maroc. Ce qui lui vaut deux séjours en prison dans un bagne proche de son village natal, ainsi que la destruction de sa marbrerie par les autorités du protectorat. À sa libération, Oulhaj est ruiné, ses affaires ayant périclité pendant son emprisonnement. Homme déterminé, il rebondit dans les hydrocarbures en créant Afriquia SMDC, en association avec Mohamed Wakrim, un homme auquel il est lié par les affaires, une origine géographique commune et un passé identique de résistant. Bien décidé à se faire une place au soleil, Oulhaj s'attaque aux géants internationaux des hydrocarbures qui ont pignon sur rue au Maroc. Son premier coup d'éclat : 200 000 litres de pétrole brut importés d'Union soviétique. Pour les stocker, Oulhaj fait construire des bacs hermétiques à base de simple ferraille. Un bricolage qui se révèle payant quelques années plus tard. En 1974, le Maroc connaît de fortes intempéries qui empêchent les pétroliers de décharger leur cargaison. Afin d'éviter une rupture de stock de carburant, l'Etat fait appel à Oulhaj pour qu'il mette à sa disposition ses citernes de stockage. C'est presque la même aubaine que saisit son fils, Aziz, au moment de l'incendie de la Samir en 2002, comme si le rejeton avait hérité de la baraka du père. Fidèle à sa fibre nationaliste et royaliste, Oulhaj paie son écot à la Marche verte en fournissant aux volontaires 350 000 bonbonnes de gaz. À la fin des années 70, il décide d'entrer en politique en créant le Parti de l'Action. “Le parti était clairement anti-Istiqlal, formation politique accusée de favoriser les Fassis au détriment des Berbères”, explique l'historien Mustapha Bouaziz. Composé d'amazighs anciens résistants, le parti se prend une tôle aux élections législatives de 1984, n'arrivant à placer au Parlement qu'un seul député. Aziz Akhennouch réalisera le rêve politique de son père, en 2003, en se faisant élire à la tête de la région du Souss. Il le fera encore plus en soutenant officiellement la culture amazighe au travers du Festival Timitar. Un soutien qui était interdit à son père, à l'époque de Hassan II, comme l'explique Mustapha Bouaziz : «Beaucoup d'hommes d'affaires berbères soutenaient financièrement les associations amazighes dans les années 70, mais de manière anonyme pour ne pas subir les foudres du défunt roi». Ce n'est pas le seul point commun entre le fils et le père. Aziz Akhennouch a organisé à son domicile le brief d'El Himma à destination de Mohamed Hafid et Mohamed Sassi, membres éminents du PSU, parti d'extrême gauche. À son époque, Ahmed Oulhadj, le père, avait soutenu l'OADP de Mohamed Bensaïd, ancêtre du PSU. “C'est moins par communion d'idées que par solidarité soussie, origine commune d'Oulhaj et Bensaïd, et au nom du passé commun de résistant des deux hommes”, conclut Mustapha Bouaziz. Ahmed Oulhaj Akhennouch décède à la fin des années 80, laissant derrière lui un groupe florissant, que son héritier allait transformer en “champion national”.
Reproduction des élites. Berbères ou Fassis, même combat !
Dans la famille Akhennouch, je demande la femme ! Et immédiatement, se déroule un écheveau d'alliances familiales dont la principale fonction est de servir de ciment à la reproduction des élites. Salwa Idrissi, alias Madame Aziz Akhennouch, est la petite fille maternelle de Haj Hmad Belfqih, un richissime homme d'affaires berbère, qui a fait fortune dans le commerce du thé, grâce à ses partenariats d'affaires avec la famille de Hassan Raji, le fameux propriétaire des thés Sultan aux spots télé d'un autre temps. Cette alliance Akhennouch-Idrissi, qui n'aurait pas fait tache dans l'ouvrage de référence de Ali Benhaddou, Les Elites du royaume, est le pendant berbère des mariages endogamiques entre grandes dynasties familiales d'origine fassie. Ce principe du “restons entre nous pour vivre riches” n'est pas spécifique à une origine régionale au Maroc. Il est inscrit dans les gènes de toutes les bourgeoisies marocaines, qu'elles soient originaires de Fès ou d'ailleurs. Cependant, dans le cas de Aziz Akhennouch, le fils s'est révélé plus conformiste que son père, Ahmed Oulhaj, qui avait épousé une Slaouie, à une époque où les mariages en dehors du cercle tribal étaient rarissimes. Aziz Akhennouch cite d'ailleurs le cas de sa mère pour prouver l'ouverture d'esprit de sa famille et son désir de ne pas tomber dans le jeu des anciennes alliances tribales et du communautarisme. Son désir de grand large est sans doute réel, mais il se restreint à un timbre-poste rétréci au lavage, où, pour être oblitéré, il vaut mieux avoir un pedigree bien sous tous rapports. C'est ainsi que le neveu du patron d'Akwa Group, Mohamed Akhennouch, a épousé la fille de Moulay Taïeb Cherkaoui, l'omnipotent secrétaire général du ministère de la Justice. Et pas plus tard que samedi dernier, sa belle sœur s'est liée à un important armateur de pêche du sud, en la personne de Jawad Hilali. Tout baigne.


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