Au fil des mois, les mass-média qui avaient montré tellement d'enthousiasme pour les vertus révolutionnaires du Web 2.0 sont passés à autre chose, tandis que cyberoptimistes et cyberpessimistes continuent à échanger des arguments à propos du rôle qu'il faut attribuer ou non aux réseaux sociaux dans les soulèvements arabes. Une façon d'échapper à ces débats, qui ne peuvent que s'éterniser faute de preuve décisive, est de déplacer l'interrogation pour la faire porter non pas sur la valeur intrinsèque des réseaux sociaux mais sur la place qu'ils ont pu prendre dans une période particulière. Au fil des mois, les mass-média qui avaient montré tellement d'enthousiasme pour les vertus révolutionnaires du Web 2.0 sont passés à autre chose, tandis que cyberoptimistes et cyberpessimistes continuent à échanger des arguments à propos du rôle qu'il faut attribuer ou non aux réseaux sociaux dans les soulèvements arabes. Une façon d'échapper à ces débats, qui ne peuvent que s'éterniser faute de preuve décisive, est de déplacer l'interrogation pour la faire porter non pas sur la valeur intrinsèque des réseaux sociaux mais sur la place qu'ils ont pu prendre dans une période particulière. Pour le dire autrement, on peut faire l'hypothèse que l'éventuel potentiel subversif des réseaux numériques a de toute façon disparu – pour le moment au moins – dans une région où les régimes politiques en place ont rapidement tiré les leçons de la chute de Ben Ali et de Moubarak. Il y a peut-être eu une «fenêtre d'opportunité» au début de l'année 2011, quand les potentialités du réseau étaient laissées aux opposants ou bien quand les appareils officiels prétendaient mobiliser les masses avec des méthodes datant, pour le moins, du Web 1 (à l'image des campagnes de participation citoyenne du type Sammi' sawtak ! «Fais entendre ta voix», lancées en 2005-2006 et commentées dans cet article de 2007). Mais depuis, le cyberespace a perdu son innocence ! A lire cet article publié dans le Global Post par Jennifer Koons, on se dit que les bonnes vieilles méthodes de censure (filtrage, blocage…) vont sans doute conserver toute leur actualité, mais qu'on est surtout déjà entré dans une nouvelle ère où les réseaux ne sont plus du tout laissés à la seule initiative des contestataires, qui ne peuvent plus se contenter de jouer en amateur s'ils veulent survivre et faire entendre leur voix. En effet, les pouvoirs investissent eux aussi les réseaux, afin d'y diffuser leurs messages de manière tellement massive que leur présence, à défaut de convaincre, serve au moins à «recouvrir» les propositions subversives, à l'image des bonnes vieilles affiches d'autrefois collées par-dessus celles du concurrent ! Au temps du «printemps arabe», c'est dès la mi-février 2011 que le SCAF (Conseil suprême des forces armées) a ouvert en Egypte sa page Facebook dédiée – on se pince pour y croire – «à la jeunesse d'Egypte, à ses fils et à ses martyrs qui ont lancé la révolution du 25 janvier» ! (article en anglais ici) Deux mois plus tard, Walid al-Moallem, le ministre des Affaires étrangères syrien, ouvrait son compte sur Twitter… Dans les deux pays qui voient se dérouler les protestations les plus importantes (il faut dire que la plupart des médias ne sont pas bavards sur l'Arabie saoudite, le Maroc ou la Jordanie), la présence des partisans du pouvoir sur Internet est très notable : à Bahreïn, des «Twitter trolls» interviennent en masse et de manière très agressive (article en anglais) auprès de ceux qui diffusent des opinions contraires à celles des autorités locales qui, officiellement, ne sont pas concernées. En Syrie, l'armée syrienne électronique, qui aurait été fondée par deux étudiants en informatique (article en arabe, multiplie les «exploits», avec par exemple le «hack» récent (article en arabe) de la page Facebook de la chaîne Al-Arabiya. On ne compte plus les exemples qui témoignent des agissements, de plus en plus sophistiqués, des appareils de répression ou seulement d'influence. Néanmoins, pour peu que l'on fouille dans l'histoire – pourtant très courte – d'internet, il est facile de voir que les cybermilitants ne sont plus depuis longtemps les seuls acteurs et que des puissances publiques, «avec les meilleures intentions du monde», leur ont apporté autant d'aide qu'elles ont pu. C'est plus que jamais le cas des USA depuis l'arrivée au pouvoir de Barack Obama et d'une équipe qui avait pu mesurer l'efficacité des réseaux sociaux numériques lors de sa campagne électorale. La «gouvernance du XXIe siècle» intègre désormais tous les outils numériques (lien vers la très belle page du Département d'Etat nord-américain qui a officiellement lancé, lors d'un discours d'Hilary Clinton à Marrakech en septembre 2009, une initiative du nom de «Société civile 2.0»)… Comme le relève François-Bernard Huyghe dans une synthèse aussi brève qu'efficace, on arrive aujourd'hui à un paradoxe : «ce qu'Internet confère aux simples citoyens d'un côté (possibilités d'expression ou d'organisation sans chefs, sans partis et presque sans idéologie sinon très vague), ils doivent le payer en termes d'expertise et de stratégie de lutte : la protestation comme la répression se professionnalise.» S'il a jamais existé, le temps de l'innocence du militantisme arabe en ligne est de toute manière désormais révolu. Visiter le site de l'auteur: http://cpa.hypotheses.org/