Avec Internet, on assiste à une nouvelle forme de vigilance citoyenne. C'est bon, le Web est mûr. Ce sont plus de 10 millions de Marocains qui, tous les jours (mais principalement le soir), discutent, échangent, médisent, comparent, fustigent, critiquent, s'épanchent sur le canevas d'une Toile devenue un panachage souvent informe, parfois cohérent, rarement rationnel. Lundi 23 octobre, Transparency International publiait un classement accablant pour le Maroc. Sur une échelle de 1 à 10, nous avons écopé d'un triste 3,4 notant notre aptitude à lutter contre la corruption. Malgré les discours lénifiants et les quelques efforts poussifs censés nous purifier de ce fléau, le constat est alarmant. Classés huitièmes parmi les pays arabes, nous sommes moins bien lotis que la Tunisie et l'Egypte. Cette corruption indolore, invisible, dont nulle réforme administrative ne réussit à nous débarrasser, Internet lui donne consistance. Flashback. Le 8 juillet 2007, une vidéo est publiée sur Youtube. On y voit des gendarmes en poste sur une route campagnarde, aux abords d'une localité du nom de Targuist. L'enregistrement est flou, on distingue néanmoins un gendarme tendant la main à une foultitude de camionneurs et de chauffeurs. En surimpression sur l'écran, cette phrase : «Ceci est un flagrant délit de corruption qui encourage les criminels et les dealers de drogue». La vidéo collectionne des milliers de «vues». Humiliés, les pouvoirs publics se lancent aux trousses de celui qu'on appellera le sniper de Targuist. Quelques semaines plus tard, d'autres enregistrements font surface. Le sniper tient en haleine toute une communauté d'internautes marocains, friands de ce type de voyeurisme. L'affaire se clôturera sur l'arrestation des gendarmes véreux. Les snipers, quant à eux, feront valoir leurs témoignages-vidéo devant le barreau, obtenant par là que justice soit faite. Un précédent est créé. Youtube devient une arme, une sorte de tribunal populaire au travers duquel on exhibe une série d'actes criminels dans leur déroulement. L'épisode devient un cas d'école. Depuis, combien d'agents de l'ordre n'ont-ils réprimé leur envie de «toucher» de peur qu'un objectif ne soit pointé sur eux ? Beaucoup, présumera-t-on. La foire de la démocratie Internet a éradiqué toute notion d'arbitraire, d'impunité, de silence coupable. De plus en plus, les grandes marques en font les frais. Il n'y a pas si longtemps, au moment où la télévision régnait en maîtresse sur des esprits drogués par l'image, le marketing publicitaire, unique passerelle entre l'offre et la demande, conditionnait gentiment l'acte d'achat. La clientèle, désunie et diffuse, empruntait les travées des hypermarchés avec dans la tête le nom d'une marque. Depuis, le Web 2.0 a sévit. A partir de l'instant où, sous couvert d'anonymat, un internaute a pu réagir dans un forum, une première critique a fusée, puis une deuxième et une troisième, et très vite, le web s'est transformé en foire de la méfiance, voire parfois de l'acharnement. Le 30 mai dernier, s'ouvre une page d'apparence anodine sur Facebook. En quelques heures, celle-ci s'enrichit de plusieurs milliers de fans. Le buzz prend autour d'une doléance nationale : baisser le prix des communications téléphoniques. Plus de 50 000 facebookers emboîtent le pas à l'initiateur de l'action, Anas Filali, blogueur plus connu sous le nom de Big Brother. Se constitue alors une authentique class action visant les trois opérateurs nationaux. Plusieurs publications se feront l'écho de l'initiative, notamment la chaîne allemande Deutsch Welle qui loue l'originalité de la démarche marocaine. Le cri populaire a-t-il eu des retombées concrètes sur le portefeuille des citoyens ? Si l'on juge d'après la baisse des prix généralisés des forfaits téléphoniques, il y a des chances que oui ! Facebook, réseau social gigogne, véritable continent numérique peuplé de 600 millions d'autochtones, le bébé de Mark Zuckerberg, a bouleversé les modes d'interaction humaine. Balayez les controverses autour de la divulgation des données personnelles, l'internaute n'en a cure. Il veut s'afficher et s'estime légitimé dans sa quête voyeuriste de l'autre. Juger, fouiner, vérifier… la surveillance s'érige comme raison de naviguer. En 2008, une employée en assurance américaine est licenciée. Motif : ses employeurs tombent sur des clichés d'elle faisant la fête alors qu'on la croyait en dépression nerveuse. L'affaire choquera les puritains de l'ancien monde. Comment ose-t-on se baser sur des photos intimes pour châtier un comportement ? Rattrapé par le numérique, le réel se fait méfiant. En fait, le flicage généralisé débouche sur un changement conscient d'habitudes. Désormais, on mène une guerre préventive contre l'enregistrement Youtube qui accuse, le cliché Facebook qui dénonce, le Tweet qui confond. Twitter justement, parlons-en. Au début, ce n'est qu'un joujou communautaire au sein duquel une poignée de joyeux lurons bavardent à coups de mini-blogs limités à 160 caractères. La plateforme aurait dû s'enliser dans la médiocrité d'un échange 2.0 parfaitement stérile. Le destin en décidera autrement. Contexte : mars 2008, suite à la réélection controversée d'Ahmed Ahmadinejad à la présidence de la République islamique d'Iran, un mouvement d'électeurs en colère envahit la capitale Téhéran. La répression des manifestations sera violente. Le pouvoir s'évertue à couper le pays du reste du monde en désactivant l'usage du SMS, des téléphones portables et de Facebook. Mais c'était sans compter avec le dernier-né des réseaux sociaux : Twitter. Profitant de la viralité qu'assure le site communautaire, les jeunes manifestants en font un vecteur de transmission d'infos vers la planète entière. Le New-York Times titrera : «La révolution iranienne ne sera pas télévisée, elle sera twitterisée». Une vraie guerre d'alertes s'amorce entre des «hackers réformateurs» et des autorités usant de filtres et autres firewalls pour endiguer l'hémorragie informative. Malgré le caractère brut, mal dégrossi des dépêches en provenance de Téhéran, l'épisode a consacré Twitter en média légitime. Depuis, le site a remisé sa première vocation au placard. On lira désormais sur sa page de garde : «Twitter is the best way to keep informed» (Twitter est la meilleure voie pour rester bien informé). En quelques semaines, les twitterriens explosent, passant de 5 à 35 millions. Faute d'avoir réussi à évincer Ahmadinejad, les Iraniens auront au moins eu le mérite d'adouber un site devenu depuis, incontournable. Le Maroc à l'heure de la révolution numérique Wifi, 3G, ADSL, Iphone, etc. Jargon inexistant il y a de cela moins de cinq ans, il ne se passe plus une heure sans que l'un de ces vocables ne s'incruste dans une conversation. Nous sommes plus que jamais englués dans l'ère du jugement globalisé. Être connecté, tel est le sésame. Au 30 juin 2010 le parc Internet a atteint 1 499 505 contre 1 367 017 à fin mars dernier, en enregistrant une augmentation dans le parc global de 10,09 % au cours du deuxième trimestre 2010 et de 55,76 % par rapport à juin 2009. La répartition des abonnés par mode d'accès donne l'avantage à l'accès Internet 3G qui représente 67,72% du parc global Internet, suivi de l'ADSL avec 32,03%. En terme de parts de marché, IAM demeure le leader sur le marché de l'ADSL avec 99,32% des abonnements Internet ADSL, suivi de Wana Corporate avec 0,31% et les autres FSI avec 0,37%. Le parc Internet 3G a atteint 1 015 525 abonnés à fin juin 2010 en réalisant une croissance de 15,55% durant le deuxième trimestre 2010 et de 116,63% sur une année. La déferlante atteint les strates les plus élevées de la hiérarchie politique. Ahmed Réda Chami, ministre du Commerce, de l'Industrie et des Nouvelles technologies, ne se dépareille pas de son Blackberry à travers lequel il «tweete» ses impressions lors d'une conférence, d'un colloque, d'un voyage… La transparence, tel est le mot d'ordre. L'avènement du 2.0 a dopé les audaces. Puisque la parole est permise, on ne boude pas son plaisir. Ce sont les marques qui souffriront le plus de ce dédale de liberté. Courant ramadan, 2M décide d'inaugurer sa page officielle sur Facebook. Au même moment, sur sa version hertzienne, une série de navets cathodiques finissent d'exaspérer 30 millions de téléspectateurs. Conséquence : au bout de quelques heures, la page est littéralement inondée d'insultes. Le raz-de-marée est tel que la chaîne d'Aïn-Sebaâ, bousculée par tant de haine, s'empresse d'éliminer toute trace d'existence sur le réseau social. Un petit tour et puis s'en va. De nombreuses enseignes connaîtront le même sort. Celles qui s'entêtent à préserver leur page, Inwi en est l'exemple type, deviennent une sorte de point de ralliement pour détracteurs amers, maniant quolibets et jugements féroces ad nauseam. Mise en garde collective Malgré tout, lorsque la parole se déploie sur Facebook et Twitter, l'Internet-juge et le Web du flicage n'en sont qu'à leurs balbutiements. Wikileaks est un tout autre client. Défiant FBI, KGB et autres NSA, le site développé par un australien pulvérise les limites de l'indicible. Le portail a une mission : le Whiste-blowing (mise en garde collective). On s'est rarement autant donné les moyens de son audace. Luttant contre toute forme de secrets, militaire, administratif, le site vient de publier 450 000 dossiers relatifs aux guerres d'Irak et d'Afghanistan. Il s'agit de la plus grande fuite de l'histoire de la documentation militaire. «Ils m'appellent le James Bond du journalisme» se vante Julian Assange, 39 ans, fondateur du portail. Officiellement, Assange ne se rend coupable d'aucun délit. Reste que ses publications dénotent un acharnement contre les puissances occidentales avec comme souffre-douleur attitré : les USA. On accuse Assange d'avoir perdu la raison. Porté aux nues par les médias, ses décisions se révèlent approximatives. D'ingénieur brillantissime, il se transforme en inquiétant monomaniaque. N'empêche, Wikileaks convertit la délation en phénomène planétaire. Grâce à l'impressionnante viralité qu'assure le web, plus de 80 millions de visiteurs uniques peuvent désormais accéder à de l'information classée secret défense. Tant de popularité dérange en haut lieu. De fait, Assange ne compte plus les tentatives d'intimidations. Pour autant, les adeptes de Wikileaks se délectent des scoops distillés par le site. Entre autres pépites, le contenu de la boîte Yahoo mail de Sarah Palin, ex-colistière du candidat John McCain , la publication de documents décrivant les conditions de détention à Guantanamo, l'infâme vidéo d'hélicoptères américains Apache massacrant 10 civils irakiens et deux journalistes appartenant à l'agence Reuters. En 1996, lorsque l'université Al Akhawayne d'Ifrane est la première à exploiter une connexion Internet au Maroc, le temps est à l'euphorie. Entre ouverture sur une multitude de cultures et accès à un trésor de savoirs, la toile, outil d'abord didactique, suscitait l'unanimité. Depuis, le web a connu de nombreuses métamorphoses. La dernière en date, le 2.0, a donné la parole aux internautes. En leur permettant de commenter vidéos, billets de blogs et profils sociaux, le net interactif a déclenché une course à la petite phrase, aux jugements à l'emporte-pièce, à la sublimation de l'ego par la critique et surtout, surtout à un flicage collectif ! Dix millions de flics, ça en fait au moins dix de trop ! Réda Dalil 1962 L'idée révolutionnaire L'US Air force, voulant contrer le communisme alors en pleine expansion, demande à un petit groupe de chercheurs de créer un réseau de communication militaire capable de résister à une attaque nucléaire. Le concept de ce réseau reposait sur un système décentralisé, permettant au réseau de fonctionner malgré la destruction d'une ou plusieurs machines. 2006 Démocratie.com Selon plusieurs spécialistes, le président américain Barack Obama doit sa victoire aux présidentielles de 2006 en grande partie à Internet. Les internautes de gauche ont aidé à l'élection d'Obama par effet d'amplification et en contribuant aux levées de fonds. Dans un livre intitulé «Republic.com», le juriste américain Cass Sunstein posait la question de savoir si Internet était nécessairement une bénédiction pour les vieilles démocraties. Explosion L'extraordinaire évolution du marché marocain Le marché Internet est toujours en progression en enregistrant une augmentation dans le parc global de 10,09% au cours du deuxième trimestre 2010 et de 55,76% par rapport à juin 2009. Le parc Internet 3G a atteint 1 015 525 abonnés à fin juin 2010 en réalisant une croissance de 15,55% durant le deuxième trimestre 2010 et de 116,63% sur une année, selon un rapport de l'ANRT. Fronde Le défouloir des mécontents Du sniper de Targuist aux frondeurs contre les opérateurs télécoms en passant par les cyber-militants, l'Internet a permis d'exorciser la colère, de s'élever contre l'injustice, de bousculer l'ordre établi mais aussi de commettre tous genres de dérapage (hacktivisme, cyber-diffamation). Internet Eyes, délation rémunérée Quand Internet rime avec délation, cela donne lieu à une invention contre-nature. Les Britanniques, toujours prompts à défrayer la chronique, ont inventé un système de contrôle détonnant. En effet, une société de vidéosurveillance «Internet Eyes» propose aux internautes (britanniques ou d'ailleurs) de se connecter à quatre caméras IP installées dans des lieux publics. A partir de leur ordinateur, ils doivent alors épier leurs écrans jusqu'à surprendre un crime ou autre larcin. Plus on repère de délinquants, plus on a de chances de décrocher la timbale. En effet, l'internaute espion augmente ses chances de remporter une tombola de 1000 livres sterling en épinglant un maximum de délits. Le jeu, actuellement en test, a déjà recueilli des milliers de candidatures. Avec les 4,2 de caméras de surveillance que compte la Grande-Bretagne, nul doute que «Internet Eyes» a déniché le modèle économique parfait.