Inès soufflera ses 12 bougies à lorée du printemps 2010. Lannée prochaine, elle entre au collège. Dans son cur et son esprit de jeune ado bourgeonnante, Inès est déjà une «grande». Avec ses copines, tous les samedis, elles vont faire les boutiques pour dénicher la garde-robe parfaite de la petite Lolita, entre robes courtes, petits tops moulants, bottines montantes et sautoirs assortis. A lécole, quand elles sennuient en classe, elles échangent textos affectueux et MMS rigolos avec leurs camarades. Et le soir venu, à la maison, elles se retrouvent ensemble sur MSN, la discussion instantanée de Hotmail, ou partagent leurs photos et leurs impressions de la journée sur le réseau social Facebook, qui a relégué aux oubliettes les fameux blogs, ou journaux intimes en ligne, avec ses 400 millions dinscrits. Les plus «in & hype» sont également adeptes de Youtube, le site de partage vidéo et Twitter, pour suivre les croustillants potins et les dernières péripéties de leurs stars favorites. Les fans de webcam, comme Inès, ne se départissent plus quant à eux de Chatroulette, le dernier site de discussion vidéo en vogue (contraction de chat et roulette russe, un clic permettant de passer dun correspondant, parfaitement inconnu, à lautre). Aujourdhui, la jeune collégienne avoue ne plus pouvoir se passer de son téléphone mobile, et encore moins du web: «Grâce à Internet, je suis constamment en contact avec mes amis, de Casablanca et du monde entier. Je sais ce quils ont fait, où et avec qui ils sont sortis, leurs voyages et leurs derniers amoureux. Quand jai du chagrin, ou que je mennuie, je suis sûre dy trouver quelquun pour mécouter ou de quoi mamuser. Je peux aussi y confier tous mes secrets, et mes histoires avec les garçons que je ne pourrais jamais raconter à mes parents». Internet, cest en quelque sorte son «pote» virtuel, auprès duquel elle peut déverser son mal-être et ses émotions troubles dado, entre amours naissantes, petites embrouilles avec les frères et surs, conflits de génération avec les parents, soucis scolaires ou premières expériences sexuelles. En quelque sorte, un ami «sympa et pas saoulant» qui sintéresse à elle la comprend, laccompagne vers lâge adulte sans la juger, la sermonner ni la blâmer, et sait la divertir quand elle a le cafard. Et ils sont des millions de petits Marocains (sur un total denviron 12 millions dinternautes dans tout le Royaume à lhorizon 2012) comme Inès, filles et garçons, de 7 à 18 ans, à avoir peu à peu laissé le web tisser son inextricable toile dans leur vie réelle, supplantant les livres et magazines de jeunesse, jugés trop «out et nazes», envahissant peu à peu leur quotidien de futurs «grands» en devenir. Car au-delà de leur apparence physique, cest ce quils sont encore aux yeux de la loi des mineurs. Par conséquent pas encore totalement responsables de leurs actes. Ni conscients des innombrables dangers qui les entourent, encore moins sur Internet. Au grand dam aussi de leurs parents, qui, pour la plupart, sont très loin de se douter des menaces aux visages multiples pesant sur leurs chérubins à chaque connexion, au moindre clic : «Avec mon épouse, depuis que lon a introduit Internet à la maison, nous avons la paix. ça distrait les enfants, qui nous laissent regarder nos émissions préférées à la télévision pendant quils se connectent dans leur chambre. Vous savez, contrairement à notre époque, les jeunes ont de moins en moins de patience pour la lecture ou les activités artistiques, encore moins pour lengagement politique chez les plus grands parmi eux. En outre, aucun loisir nest prévu pour les adolescents au Maroc, à part le cinéma et les clubs de sport dignes de ce nom, et qui ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Internet, cest un peu une échappatoire à leur ennui, on ne peut pas les en priver. Ceci dit, ils ne sont pas autorisés à se connecter avant davoir terminé leurs devoirs et appris leurs leçons», défend Abdeljalil, 47 ans, commerçant, père de Ghalia, 13 ans, et Younès, 10 ans. Le cas de Najat Chez Najat, 34 ans, divorcée et hôtesse dans lévénementiel, lordinateur sest sournoisement, lentement mais sûrement substituée à son rôle de mère, souvent absente du foyer pour les besoins de son travail : «Depuis mon divorce, il marrive de travailler même les week-ends et les jours fériés, la pension versée par mon ex-mari ne suffisant pas à couvrir les dépenses du foyer et celles de léducation de notre fille de 12 ans dont jai la garde. Quand je travaille et que ma mère nest pas disponible pour la garder, je la laisse seule à la maison. Son ordinateur, quelle me réclamait depuis longtemps et que jai acheté à crédit, lui tient compagnie. Je sais quelle y discute avec ses copines, cest tout. Je ne pourrais pas en dire plus, moi qui ignore même comment utiliser un clavier». Ennui des enfants, vide idéologique dune époque blasée, parents dépassés par le tout-numérique, parents surbookés par une vie professionnelle et/ou sociale chargée... Parents démissionnaires en tout cas. Et qui sen mordraient les doigts sils savaient tout ce que la tentaculaire toile comporte de périls. Sil est indéniable en effet quInternet constitue un outil précieux dapprentissage, de communication, douverture au monde et de renforcement des connaissances générales et particulières, ou encore daide scolaire, il nen demeure pas moins que le web pullule de «contenus pour adultes» et de «mauvaises fréquentations». Vidéos X, photographies (pédo)pornographiques, chat lubrique, invitations explicites à des rencontres réelles ou à des rapports sexuels par webcam interposée, embrigadement religieux ou sectaire, apologie de la violence, de lanorexie, de la drogue Pédophiles, déviants, proxénètes, trafiquants denfants, mafias et autres cybercriminels trouvent dans le web, repère anonyme et incontrôlable, un refuge, un défouloir à toutes leurs perversités, voire un terrain de chasse idéal de leurs jeunes proies. Cyberprotection dites-vous ? Age, sexe, frontières aucune barrière ne résiste au déferlement de la vague des nouvelles technologies, les IT comme les appellent les initiés. Dautant plus que ces dernières années, et malgré toutes les mesures mises en place par les autorités des pays concepteurs des nouveaux produits IT, le champ des libertés sur Internet va en grandissant, le web devenant le lieu privilégié pour les gens ordinaires en mal (in)conscient de reconnaissance sociale ou en quête de leur petit «quart dheure de célébrité», détaler leur intimité, entre photos personnelles, opinions politiques ou vidéos privées. On imagine aisément la tentation représentée par cet espace virtuel dénué de garde-fous pour les adolescents, êtres vulnérables en pleine quête didentité, daffirmation de soi et de socialisation. Alors, où en est-on aujourdhui en matière de cyberprotection des mineurs ? En Europe, les pays membres de lUnion sapprêtent à renforcer cette dernière, avec notamment lempêchement de lachat de contenus pédopornographiques par carte de crédit ou tout autre moyen de paiement électronique et partant, lidentification des cybercriminels demandeurs. En France, il existe même un site institutionnel permettant de signaler aux autorités judiciaires les sites ou autres services en ligne à caractère pédophile ou pornographique. Au Maroc, en dehors du guide publié voilà plus dun an, début février 2009, par lObservatoire national marocain des droits de lenfant (ONDE), le Bureau de lUNESCO à Rabat et Microsoft Maroc («P@RENTS! La parentalité à lère du numérique»), on ne peut pas affirmer quil existe des efforts véritables et continus de la part des autorités publiques. Que ce soit en matière de campagnes de sensibilisation à destination des enfants et de leur entourage (institution familiale et scolaire), ou de partenariat avec les opérateurs privés dans les nouvelles technologies de linformation et de la communication. A lheure de la stratégie «Maroc numérique 2013», la législation dans le domaine en est ainsi encore à ses balbutiements, seule une loi sur la protection des données personnelles (et donc de la vie privée), adoptée en décembre 2008 par le Parlement et entrée en vigueur en avril 2009, existe à lheure actuelle. En attendant la mise en place de la Commission inhérente de contrôle des données personnelles (CCDP) par la Primature (une dépendance fortement contestée par ailleurs par les défenseurs des libertés individuelles) et dautres réglementations concrètes et pointues, les parents et les éducateurs doivent se contenter des logiciels de filtrage de contenus proposés par les fournisseurs daccès. Ces mêmes filtres qui, dans lHexagone voisin, sont installés par seulement 25% des parents, car jugés «trop chers», «difficiles à installer et à configurer» ou «difficiles à se procurer» (source : www.generation-nt.com). Quoi quil en soit, et quel que ce soit leur niveau de sophistication, ces logiciels ne peuvent en aucun cas se substituer à la supervision de l'utilisation infantile et juvénile d'internet par les parents et autres tuteurs. Doù les recommandations des associations de défense des enfants et celles des pédopsychiatres (voir encadré) aux parents, appelant à une surveillance constante et rapprochée des activités et fréquentations de leurs chérubins sur le web. A bon entendeur