Les médecins du travail ont un rôle avant tout préventif. Leur importance est en effet capitale dans la prévention des accidents du travail, encore trop nombreux au Maroc faute d'une réglementation adaptée et appliquée. Il suffit de quelques recherches sur le Web pour constater combien la médecine du travail au Maroc intéresse si peu les médias marocains. Pas sûr qu'il en soit autant pour les lecteurs, en (potentiels) salariés qu'ils sont. Une première question s'impose : combien sont-ils à avoir bénéficié d'une visite médicale dans le cadre de leur travail ? Impossible de le savoir, aucune étude n'ayant été menée à ce sujet. Une absence de données qui invite à se pencher sur le cadre imposé par la législation marocaine du travail – en théorie très clair ; en pratique, moins. L'article 304 du code du travail énonce qu'«un service médical du travail indépendant doit être créé auprès : 1 - des entreprises industrielles, commerciales et d'artisanat ainsi que des exploitations agricoles et forestières et leurs dépendances lorsqu'elles occupent cinquante salariés au moins ; 2 - des entreprises industrielles, commerciales et d'artisanat ainsi que des exploitations agricoles et forestières et leurs dépendances et employeurs effectuant des travaux exposant les salariés au risque de maladies professionnelles, telles que définies par la législation relative à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles». Quant aux entreprises employant moins de cinquante salariés, elles doivent «constituer soit des services médicaux du travail indépendants ou communs», énonce l'article 305. L'article 306 stipule que c'est à «l'autorité gouvernementale chargée du travail» de faire la distinction entre les entreprises dans lesquelles les salariés ne sont exposés à aucun risque et celles qui doivent faire l'objet d'un «contrôle particulier». Voilà donc pour les textes. De plus, les entreprises soumises à l'obligation de disposer, au sein de leurs locaux, un service médical du travail indépendant, «doivent disposer d'un médecin du travail durant toutes les heures du travail». Des lois peu adaptées et peu appliquées Dans la pratique, la réglementation peine à être appliquée. Les structures médicales communes, dites «interentreprises», peuvent être formées à la demande de plusieurs entreprises. Dans ce cas, une structure médicale indépendante et autonome prend en charge les salariés de toutes les sociétés qui se sont concertées pour bénéficier de ce service commun. «En réalité, les services interentreprises n'existent pas dans la pratique. Il y a bien eu quelques tentatives mais toutes ont échoué», indique à Yabiladi Khadija Harourate, médecin chargé de l'inspection du travail dans la région Casablanca-Settat. Face à ce constat, ce sont surtout les PME et les TPE qui, contraintes de mettre en place leur propre structure médicale autonome au sein de leurs locaux pour se conformer à la loi, sont les plus en difficulté. «Par exemple, comment un garage de mécanique peut-il disposer de son propre service médical indépendant ? Où va-t-il l'installer ? Est-ce qu'il dispose des conditions et des locaux favorables à l'exercice de la médecine du travail ?», s'interroge, dubitative, Khadija Harourate. Dans l'idéal, les services médicaux interentreprises pourraient être implantés dans des zones industrielles ou dans des périmètres qui concentrent une forte activité professionnelle, «auxquels toutes les entreprises cotiseraient et dont les salariés pourraient ainsi bénéficier des consultations médicales», ajoute l'inspectrice du travail. La médecine du travail, un rôle avant tout préventif Selon les statistiques du Bureau international du travail (BIT), secrétariat permanent de l'Organisation internationale du travail (OIT), le Maroc affichait en 2006 un taux extrêmement élevé d'accidents du travail mortels, à hauteur de 47,8 pour 100 000 travailleurs. En Tunisie, ce chiffre était de 24,8 et en Turquie, de 19,1. De plus, selon des données publiées à l'occasion du séminaire EU-Afrique du Nord en 2015, seulement 25% d'entreprises de plus de 50 salariés avaient créé un service médical du travail autonome, et moins de 17% des entreprises s'étaient dotées d'un comité de sécurité et d'hygiène. Chaque année entre 2005 et 2014, l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) a déclaré une moyenne de 43 153 accidents de travail au Maroc, d'après des données rendues publiques en 2017. «Ce chiffre n'est pas exhaustif et serait en réalité plus élevé en raison de l'ampleur de l'informel dans certains secteurs à haut risque professionnel comme le bâtiment et travaux publics», précisait Les Eco. C'est dire l'importance de la médecine du travail, dont le rôle est avant tout préventif et se conçoit avec une double activité. «Le médecin du travail doit faire passer aux salariés les trois examens médicaux obligatoires : un à l'embauche, un avant l'expiration de la période d'essai, ainsi que des visites systématiques généralement annuelles, parfois semestrielles selon les risques encourus dans l'entreprise», explique à Yabiladi Moulay Hachem Mortaji, médecin du travail et président de l'Association marocaine de la santé au travail (AMSAT). Les médecins du travail sont également présents au sein même du milieu du travail. «Leur rôle est de détecter les risques professionnels. Dans une fiche d'entreprise renouvelée annuellement, ils doivent consigner l'ensemble des risques existants dans l'entreprise, des maladies professionnelles potentielles et le nombre de salariés qui sont exposés à ces risques et maladies», précise le président de l'AMSAT. «Du fait de son rôle avant tout préventif, le médecin du travail ne prescrit pas de traitement. Il peut consulter les responsables de l'entreprise sur les mesures de prévention ; les équipements de prévention individuels et le type de gants adapté pour la manipulation de certains produits chimiques par exemple. Il dispense également une fiche d'aptitude : après chaque visite médicale, il doit se prononcer sur l'aptitude d'un salarié à poursuivre son travail, que ce soit lors de la visite d'embauche ou des visites périodiques», complète Khadija Harourate. Leurs prérogatives pourraient être amenées à s'élargir si les risques psychosociaux intégraient la liste des maladies professionnelles. Une proposition avancée auprès du BIT, qui établit une liste de maladies professionnelles (la dernière révision date de 2010), mais qui n'a pas fait l'objet d'un consensus entre les autorités gouvernementales chargées du travail, le patronat et les syndicats représentant les salariés. «C'est à travers cette liste que les pays choisissent les maladies qu'ils veulent adopter en tant que liste interne. Or il n'y a pas eu d'accords interprofessionnels entre ces trois composantes au Maroc pour reconnaître les risques psychosociaux en tant que maladies professionnelles», souligne Moulay Hachem Mortaji.