Le métier de médecin en passionne plus d'un. Celui de médecin du travail, par contre, n'attire pas grand monde... du moins au Maroc. Selon les statistiques, on compte un seul médecin du travail pour 10.000 salariés. Au total, parmi 10 millions de salariés, seuls 320.000 sont couverts par la médecine du travail, ce qui fait ressortir un taux national de couverture de 3%. Les raisons ? Elles ont été longuement débattues lors de la conférence organisée la semaine dernière autour de la candidature du Maroc pour abriter le 32e congrès mondial de l'ICOH à Marrakech. Et pourtant, la non-adhésion des entrepreneurs et des professionnels de la santé a un coût social et économique considérable. Un accident du travail coûterait trois fois les frais de sa prévention. Toutes les entreprises industrielles, commerciales et d'artisanat ainsi que toutes les exploitations agricoles et forestières occupant plus de 55 salariés, dans lesquelles sont effectuées des travaux exposant les salariés au risque de maladies professionnelles, telles que définies par la législation relative à la réparation des accidents du travail, sont tenues d'avoir un service médical du travail indépendant. En revanche, celles qui emploient moins de cinquante salariés ont le choix entre un service médical du travail indépendant ou un service médical du travail commun avec d'autres entreprises. Nous nous retrouvons avec 95% du tissu économique marocain, et composé dans sa majorité de PME, non couverts par la médecine du travail, et de ce fait, la législation ne contraint que les grandes entités. Plusieurs explications derrière ce constat. Parmi les plus importantes, selon les experts, figure le statut juridique de la «médecine du travail». Ce statut freinerait donc non seulement les médecins souhaitant pratiquer cette fonction, mais aussi les entreprises désireuses de s'aligner aux normes en la matière. Il est ainsi stipulé qu'un médecin de travail doit exercer exclusivement au sein de son entreprise. Il a donc un statut de salarié, ce qui n'est rend la fonction moins alléchante et les rétributions financières qui en écoulent aussi. Toute entreprise du secteur privé doit avoir accès à un médecin du travail, soit en créant son propre service de santé, c'est le service autonome, soit en adhérant à une association de santé appelée alors «service interentreprises». Entre les deux seuils, le choix du type de service est libre. Cela dit, des organismes comme l'Association des gestionnaires et des formateurs des ressources humaines (AGEF) travaillent pour la révision des textes, avec une proposition faite à la CGEM intégrant des amendements au Code du travail. Par ailleurs, l'attrait de la fonction en elle-même n'explique pas à elle seule le besoin en médecins du travail. Des institutions dédiées, d'abord, et du capital humain, ensuite, sont primordiaux. On compte au Maroc un seul établissement délivrant le certificat universitaire de santé au travail, en l'occurrence la faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca. L'objectif de cette formation est de fournir aux médecins les bases théoriques et pratiques pour acquérir les compétences nécessaires à l'exercice de la médecine du travail. Ce programme comprend 12 cours et 2 sessions pratiques, dirigés par le professeur Abdeljalil EL Kholti. Ce dernier, interrogé sur le rôle d'un organisme comme l'INCVT (Institut national de conditions de vie au travail ) dans le développement des métiers de la santé, montre du doigt la capitalisation des données et des informations relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles afin d'orienter ses efforts préventifs vers des cibles précises. Quant aux autres objectifs escomptés par l'INCVT, il s'agit d'accompagner les entreprises, d'apporter une assistance technique aux pouvoirs publics et aux employés afin de développer les compétences des cadres en SST. Ceci à condition que le budget soit débloqué. Points de vue Il n'y a pas réellement de culture de la médecine du travail au Maroc, ce qui explique sa rareté. On compte seulement 1.200 médecins du travail. En ce sens, le comité de l'AGEF tient à souligner l'importance du rôle de ces derniers, notamment par une révision du texte du code du travail, afin que la médecine du travail soit une obligation pour toutes les entreprises du tissu économique. En ce qui concerne la formation, l'AGEF a signé un partenariat avec l'Université internationale de Casablanca pour préparer plusieurs médecins agréés par l'Etat, dans le domaine de la santé et de la médecine du travail, ceci pour l'année à venir, et cela, en dehors des personnes-ressources telles que les infirmiers. Khalid Jebabdi, Directeur des ressources humaines à Uniforce et membre de l'Association des gestionnaires et formateurs des ressources humaines (AGEF). Il est clair que les grandes entités qui représentent 5% du tissu économique ont un rôle à jouer quant à la généralisation des mesures de la santé au travail. En ce sens, l'OCP mène une action citoyenne qui oblige ses sous-traitants (des PME en majorité) à respecter les mesures de sécurité et de santé dans l'entreprise, et ceci au niveau du cahier des charges. C'est en imposant ses exigences, que les grandes entités pouront contribuer à inculquer des mesures de sécurité et de santé dans tous les lieux et sur tous les chantiers. Aussi la candidature du Maroc pour l'organisation du 32e congrès de la commission internationale de la santé au travail (CIST) à Marrakech, permettra de réunir divers experts internationaux afin d'entamer des actions de benchmarking, et d'exercer ainsi une force de persuasion sur les professionnels, dans le but de hausser le niveau de santé et de sécurité au Maroc. Khalil Kinani, Chef du service de la médecine du travail et de la médecine préventive au sein de la DRH de l'OCP.