Pour séduire un homme ou réussir un entretien d'embauche, inutile de se rendre chez une voyante ou un fqih et se procurer un talisman. Telle est la promesse de vidéos qui pullulent sur les réseaux sociaux, parfois détournés à des fins de sorcellerie. Analyses. De nos jours, les internautes marocains découvrent quotidiennement des vidéos qui choquent sur les réseaux sociaux. Aux côtés des canulars dangereux de certains YouTubeurs qui pullulent sur la plateforme américaine, l'apparition de tutoriels de tout genre étonne certains et en exacerbe d'autres. Hormis les routines de la vie quotidienne qui plaisent ou déplaisent, les tutoriels de sorcellerie et d'incantation marquent les esprits. Ces vidéos comprennent des conseils et des astuces pour fabriquer des talismans ou réussir une incantation destinée à séduire les hommes et les femmes. Leurs auteurs, toujours à visage couvert, les présentent souvent comme une manière d'«amplifier l'amour d'un homme envers son épouse» ou un moyen d'«obtenir plus de cadeaux de son petit ami». Des mots magiques qui parlent à une certaine catégorie de Marocains. De la longue liste d'ingrédients demandés par un fFqih afin de réaliser un sortilège ou fabriquer des talismans, ces charlatans 2.0 font désormais appel à la technologie. Certains promettent que seul le smartphone ou des applications comme WhatsApp suffisent. Le web marocain, une jungle sans garde-fous Pour le chercheur marocain en sociologie Zakaria Akdid, les nouvelles technologies sont détournées par ces personnes. «Dans des villes et des villages au Maroc, il y avait des endroits connus et fréquentés par certains pour la sorcellerie. Mais ces personnes étaient pointées du doigt et on leur reprochait des comportements immoraux», rappelle-t-il. De nos jours, avec les réseaux sociaux, «ces vidéos maintiennent un certain anonymat pour celles et ceux qui les regardent. Le client est alors dans une position confortable vis-à-vis de ses relations, sans être étiqueté», fait-il savoir. «Ces croyances peuvent influencer et même changer le comportement des individus car ils se voient proposer des "recettes" magiques pour réaliser des aspirations qu'on nous a enseignées.» Zakaria Akdid Dénonçant le fait que les Marocaines sont éduquées de façon à ce qu'elles soient «seulement des épouses et non pas des individus ayant des projet de vie», il dit s'attendre à ce que la demande concernant ce genre de contenu augmente. «Ces contenus sur les réseaux sociaux deviennent tellement crédibles auprès de certaines populations qu'elles ne prennent plus le temps de vérifier cette masse d'information. Nous consommons excessivement des informations, ce qui nuit à notre capacité d'analyses et de critique», déplore-t-il encore. Un constat fait également par le médecin, sociologue et anthropologue Chakib Guessous. «Ce contenu peut malheureusement être relayé par des personnes averties et instruites», regrette-t-il. Notre interlocuteur dit aussi ne pas comprendre pourquoi les autorités n'interviennent pas dans ce genre de cas. «Si la sorcellerie est punie par le code pénal, elle l'est de facto sur les plateformes et réseaux sociaux», ajoute-t-il. «Je pense que le web est devenu une jungle et qu'il a besoin d'être structuré et d'y mettre des garde-fous. N'importe qui peut venir et commencer à donner des conseils et des recommandations qui peuvent s'avérer dangereuses pour la santé des gens.» Chakib Guessous Un contenu qui reflète nos croyances et nos pratiques dans la vie réelle De son côté, le psycho-sociologue Mohssine Benzakour estime que «le problème de la sorcellerie et de ces croyances ne concerne pas les personnes qui les pratiquent mais plutôt celles qui en ont besoin et qui consomment ce genre de contenu». Il rappelle que la multiplication de ces vidéos sur les plateformes et les réseaux sociaux rappelle une autre époque. «Ce qui se passe actuellement avec Internet est similaire à ce qui se passait lorsque la télévision par satellite est arrivée au Maroc», se rappelle-t-il. Des charlatans avaient alors «envahi les chaînes de télévision avec des émissions et des programmes» en lien avec la sorcellerie, la chance et l'avenir. Pour le psycho-sociologue, «le web et le contenu publié sur les réseaux sociaux au Maroc reflètent les croyances et les pratiques des gens en général». «Tout ce qui change, c'est la manière dont ces idées et pratiques sont transmises au public», analyse-t-il. «La société marocaine s'appuie sur l'occultisme, se concentre beaucoup sur l'avenir et se retrouve ainsi à vivre dans l'imaginaire, contrairement aux sociétés dont la culture est basée sur la rationalité», complète de son côté le sociologue Abdeljabar Boucetta. «Au lieu de bien exploiter ces nouvelles technologies, la société marocaine en abuse dans des pratiques négatives, comme ces guides de sorcellerie», regrette-t-il. Des guides qui frôlent la réalité, car à la différence des chaînes satellitaires, Mohssine Benzakour rappelle que la plupart des auteurs de ces vidéos ne montrent pas leur visage. Une pratique qui intervient «non seulement car ils ont peur d'être identifiés mais parce qu'ils veulent également créer la même atmosphère que celle des charlatans traditionnels». «Ce qui reste très dangereux, c'est qu'avec le web, ces pratiques et croyances deviennent accessible à tous. Maintenant, n'importe qui, y compris les enfants, peuvent regarder et essayer ces recettes.» Mohssine Benzakour Il insiste aussi sur le fait que les créateurs de ces contenus doivent être soumis aux lois criminalisant la sorcellerie et poursuivis «de la même manière que lorsque nous voyons des personnes jugées pour diffamation et chantage sur Internet».