Le Maroc et de nombreux pays arabes arrivent dans le peloton de tête des plus gros consommateurs de contenus pornographiques sur Internet. Au-delà du stigmate facile portée par les médias sur les internautes marocains adeptes des recherches "porno" sur Google, Yabiladi a contacté le psycho-sociologue Mohssine Benzakour et la sexologue Amal Chabach, pour mieux comprendre le phénomène. De nombreux Marocains font appel à Google pour rechercher des adresses, des recettes de cuisine, des cours, des renseignements sur des démarches ou des contacts. Même le porno, avec ses différents mots clés associés, n'échappe pas à cette quête de l'information. Ainsi, selon Google Trends, ce mot clé est fortement recherché tout au long de l'année, exception faite de la période de Ramadan, où un net reflux se dessine. Cet «engouement pour la pornographie peut être expliqué par plusieurs facteurs», déclare le psycho-sociologue et universitaire Mohssine Benzakour, contacté par Yabiladi. «Il y a une tendance sociale à ne pas accepter le sexe avant le mariage. La consommation de vidéos pornographiques intervient-elle pour des fins de masturbation ? Peut-être. Est-ce une voie vers la satisfaction sexuelle à travers le sexe virtuel ? Peut-être. Ou bien est-ce parce que nous interdisons d'accéder à son corps, à l'accepter et à le gérer... Mais nous manquons de statistiques qui puissent l'affirmer ou l'infirmer», reconnait-il. «Psychologiquement, il y a un rapport mal compris entre le Marocain et son corps. Un rapport de hchouma, basé sur l'ignorance à part quelque cours sur la "procréation" à l'école. Cette découverte peut être un facteur poussant le Marocain vers les films pornographiques. Mais cela n'explique pas l'addiction à la pornographie, qui est un autre niveau. L'autre facteur social est celui de l'interdit, car toute chose interdite pousse un individu normal à la curiosité.» Mohssine Benzakour Pour le psycho-sociologue, «tous les facteurs sont réunis chez un Marocain normal -quel que soit son niveau culturel- d'aller vers ces sites pornographiques». Tout en pointant du doigt la position «passive» du spectateur qui se réduit en un «observateur» au lieu d'être acteur, Mohssine Benzakour déplore que chez l'adolescent, la sexualité et l'amour se réduisent à de simples «marchandises où le nombre de vues qui vont au bénéfice» des producteurs de ces contenus. «L'adolescent trouve donc du "plaisir" en pensant qu'il s'agit d'une "satisfaction", car il n'a jamais découvert ce qu'est un attouchement, le rapport à l'autre ou l'amour. Il découvre donc le coït, mais rarement l'amour et la sexualité», déplore-t-il. La pornographie, ce vrai danger qui guette surtout nos adolescents En développant un fantasme en déphasage avec la réalité, «la porte vers l'addiction est ouverte et malheureusement cela crée beaucoup de problèmes au niveau de la vie de couple», enchaîne-t-il. Et Mohssine Benzakour de citer plusieurs exemples, comme «l'insatisfaction, les fantasmes qui commencent à devenir un handicap, ou même les tentatives d'imiter ou demander des choses déjà vécues derrière un écran en croyant que c'est cela la vraie sexualité». De son côté, la sexologue marocaine Amal Chabach affirme que «la pornographie est un danger, dans le sens où elle réduit la femme et l'homme en des objets sexuels, en leur ôtant leur humanité». «Le problème, c'est que les réalisateurs et les producteurs connaissent très bien les fantasmes psychologiques des gens. Dans le monde entier, on retrouve les mêmes films pornos, car il y a des scénarios basés sur les fantasmes liés à l'inconscient de la personne et addictifs, comme le Harem, fantasme le plus fréquent chez l'homme», nous explique-t-elle. Selon les explications de la praticienne, «l'inconscient devient accro à ces films pour ressentir une excitation». «Cela peut se terminer par une addiction car les gens ne savent pas qu'il s'agit d'un piège», met-elle en garde. Mais Amal Chabach affirme être «contre l'avis selon lequel les Marocains sont des accros au porno, car il faut comparer avec d'autres pays». La spécialiste modère en rappelant que «nous sommes tous des êtres humains et nous fonctionnons de la même manière». «Il n'y a pas de prévention ou d'information destinée aux gens pour leur expliquer que ces films porno, même s'ils permettent d'atteindre du "plaisir", sont déconseillés. Mais j'ai vu des cas de couples où l'homme ne peut plus toucher sa femme sans visionner des films pornographiques.» Amal Chabach Porno et mois de Ramadan, différentes explications Rappelons que «l'addiction ne commence généralement pas à 50 ans», la sexologue déplore le fait de «dire aux adolescents de ne pas faire une chose, sans les orienter vers les autres choix dont ils disposent». Elle fustige l'absence de dialogue et d'explications entre les jeunes et leurs parents. «Vous allez beau punir des adolescents, il faut leur expliquer, les prévenir, les outiller et leur apprendre à s'aimer et à dire non aux choses qui peuvent nuire à leur santé physique et mentale», recommande-t-elle. Amal Chabach suggère aussi de mettre en avant le fait que «la sexualité n'est pas la procréation». «C'est une pulsion que nous devons contrôler», note-t-elle. Quant à la question sur les tendances sur les moteurs de recherches en rapport avec la pornographie durant le mois de Ramadan, la praticienne explique la baisse par différents facteurs comme «le manque du temps et le fait que les gens sont souvent en famille durant le mois sacré. Cela peut impacter le chat, les connexions à certaines plateformes et pas uniquement la sexualité. Ramadan étant un mois particulier, même les rapports sexuels baissent de 60 à 70% selon mes patients qui évoquent le manque de temps.» De son côté, Mohssine Benzakour estime que pour les Marocains, «jeuner va de pair avec s'interdire de visionner le contenu pornographique». «La preuve : dès qu'il y a rupture du jeune, il peut y avoir un retour vers les sites pornographiques car cela ne relève que de l'interdit sans que ce soit une question de valeurs religieuses», nous explique-t-il. «Une valeur religieuse doit être omniprésente tout au long de l'année et pas uniquement durant le mois de Ramadan. Le mois sacré et Aid Al Adha sont plutôt des fêtes sociales ; ce n'est pas de la religion au vrai sens du terme pour les Marocains», conclut-il.