L'année 2019 s'achève avec son lot de procès et d'arrestations visant des journalistes, mais aussi des acteurs associatifs et des internautes. Un tour de vis sécuritaire qui réveille les inquiétudes sur un retour de poursuites visant l'expression d'opinions spécifiques, sur la base de valeurs morales ou du sacré. Si l'année se clôture sur des procès d'opinion, au moins trois parmi eux ayant connu un rebondissement la semaine dernière, 2019 a commencé tout autant sur des procès à caractère politique. Alors que la Cour d'appel de Casablanca a ouvert le dossier de recours des détenus du Hirak du Rif, 18 militants à Jerada ont été condamnés de deux à quatre ans de prison ferme chacun. Au total, 59 ans de réclusion ont été distribués sur ces détenus qui ont été séparés dans plusieurs centres de rétentions entre Jerada et Nador. Le procès est entaché par nombre d'éléments contestables, selon l'avocat Abdelhaq Benqada. «Mustapha Adinine, Amine M'qallech et Abdelaziz Boudchich, que le Parquet considère comme ''les meneurs du Hirak de Jerada'' et qui sont condamnés, chacun à trois ans de prison ferme, ont été arrêtés le 10 mars 2018, mais poursuivis pour les violences du 14 mars alors qu'ils étaient en prison à ce moment-là», nous a-t-il déclaré à l'époque. Un traitement sécuritaire des contestations sociales C'est sans compter les nombreux verdicts rendus également par le tribunal d'Al Hoceïma, à l'encontre cette fois-ci de militants du Hirak du Rif. Quelques mois plus tard, 60 parmi eux bénéficient d'une grâce royale et 47 ont pu retrouver la liberté à Jerada, en juin 2019. Mais l'initiative, à l'occasion de l'Aïd Al Fitr, n'a pas bénéficié de la même appréciation au sein des familles des détenus. En effet, ceux comparaissant devant le tribunal casablancais, notamment Nasser Zefzafi, Nabil Ahamjik et Mohamed Jelloul ne font pas partie des bénéficiaires. Plus que cela et tout juste en avril, avant cette décision, leurs lourdes peines ont été confirmées en appel, ce qui les a conduits à mener une nouvelle grève de la faim à la prison centrale d'Oukacha, parallèlement à la mobilisation de leurs proches et des associations. Moins d'une semaine après la confirmation des verdicts rendus initialement en juin 2018, les avocats sont pris de court en découvrant que leurs clients sont visés par une mesure de transfert. Alors que la Direction générale de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion (DGAPR) invoque des considérations humaines exigeant de rapprocher les détenus de leurs proches, ces derniers ainsi que les avocats y voient une mesure disciplinaire et une tentative de saper la coordination des grèves de la fin ou des contestations collectives en prison. En effet, l'on apprendra plus tard que Nasser Zefzafi est admis à la prison de Ras El Ma avec Mohamed Jelloul, tandis que les journalistes Mohamed El Asrihi et Rabiî El Ablak purgeront la suite de leurs peines dans l'établissement pénitentiaire de Tanger. D'autres encore ont été transférés à Guersif, Nador, Tétouan ou encore Taounate. Ce n'est pas pour autant que les grèves de la fin collectives ont pris fin, Rabiî El Ablak ayant frôlé la mort à plusieurs reprises, les déclarations de ses proches livrant une version singulièrement différente de celle de la DGAPR qui démentait tout refus du détenu de nourrir. Dans la foulée, la fuite d'un message audio de Nasser Zefzafi, condamné à 20 ans de réclusion, et où celui-ci réaffirme avoir été violé et torturé, aura coûté à la direction de la prison de Ras El Ma un changement d'équipes, notamment son directeur. Tour de vis politique et sécuritaire sur la liberté d'expression Parallèlement aux revendications qui se sont élevées de plus en plus pour la libération des détenus des contestations sociales, notamment ceux du Hirak du Rif et de Jerada, une association a été dans le viseur. Dans un procès inédit, l'ONG Racine est en effet tombée sous le coup de la dissolution, après une dizaine d'années d'action de terrain et de plaidoyer pour une politique culturelle. C'est également en avril 2019 que la Cour d'appel de Casablanca confirmera ainsi ce verdict, prononcé en première instance le 26 décembre 2018. La décision a été motivée par une «demande du ministère de l'Intérieur» de poursuivre la structure «pour avoir hébergé» le tournage de l'épisode en trois parties, intitulé «l'épopée des nihilistes», de la web-émission «1 dîner, deux cons» (1D2C). Le Parquet a requis cette confirmation et a reproché à Racines d'avoir «failli à ses actions telles que prévues dans ses statuts», même si la version la plus récente de ces derniers inclut «la défense de la liberté d'expression». Alors président de l'Association marocaine des droits humains (AMDH), Ahmed El Haij a expliqué à Yabiladi que jamais une structure ne s'est confrontée à une telle situation pour avoir prêté son local à une activité externe. «En matière de libertés publiques, il faut dire que notre législation est minée de contradictions, d'abord dans son arsenal juridique, puis avec les traités internationaux», a fait remarquer le militant. La presse a tout autant été dans le viseur, notamment avec les poursuites à l'encontre des journalistes Rabiî El Ablak et Mohamed El Asrihi, qui ont couvert le Hirak du Rif de l'intérieur des manifestations et en temps réel. S'y ajoutent une confirmation en appel de la peine de Hamid El Mahdaoui et une augmentation de 12 à 15 ans de réclusion à l'encontre de Taoufik Bouachrine, ex-directeur de publication du quotidien arabophone Akhbar Al Yaoum. Par ailleurs, le procès de Hajar Raïssouni, journaliste au même support, a défrayé la chronique. Condamnée à un an de réclusion pour «débauche et avortement illégal», elle est considérée par les associations comme ayant fait les frais d'un procès politique où entrent en jeu des figures familiales politisées, notamment Ahmed Raïssouni ou encore le journaliste Soulaymane Raïssouni. Hajar est finalement graciée avant son recours en appel, ce qui ne fait pas oublier que le combat après sa remise en liberté doit se pencher sur les usages politiques de lois moralisatrices inscrites dans le Code pénal. La liberté d'expression des internautes entre en jeu Dans le sillage de ces procès ayant visé surtout des militants, des journalistes et des citoyens engagés dans des dynamiques sociales, un autre élément a marqué cette année 2019. Celui des procès contre des internautes et des artistes, s'étant exprimés sur leurs propres réseaux sociaux. Il s'agit notamment des procès à l'encontre de Gnawi, après sa participation avec les rappeurs Lz3er et Weld L'Griya au tube «3acha cha3b». Le concerné a été condamné à un an de prison ferme, en novembre dernier, pour «insulte contre un corps constitué». Le procès d'un lycéen ayant repris les paroles écrites de la chanson sur sa page Facebook s'y est greffé, le jeune ayant écopé de trois ans de réclusion. Dans les mêmes jours, le youtubeur «Moul Kaskita» est jugé par le tribunal de Settat à quatre ans de prison pour «injures à l'encontre des citoyens marocains et des propos touchant à leur dignité et à leurs institutions constitutionnelles» et «insultes à la personne du roi». C'est dans la même journée, jeudi dernier, que le journaliste Omar Radi a été déféré devant le tribunal de première instance de Casablanca pour «outrage à magistrat», sur la base d'une série de tweets où il a dénoncé, en avril dernier, la confirmation en appel des peines des militants du Hirak du Rif. Ces procès sont désormais élargis aux utilisateurs des réseaux sociaux de manière globale, qu'ils soient journalistes, acteurs de la société civile ou simples citoyens. Un Comité national de soutien à Omar Radi et aux détenus d'opinion au Maroc a vu le jour, vendredi dernier. «Le fait le plus marquant de l'année 2019 aura été pour nous la fermeture de l'espace numérique au Maroc, ce qui a représenté un tour de vis de plus sur la liberté d'expression dans notre pays», nous explique Aziz Rhali, actuel président de l'AMDH. «Le nombre de poursuites sur la base de tweets, de statuts Facebook et des vidéos sur YouTube a considérablement augmenté, ce qui est un indicateur : après l'année 2018 où l'Etat marocain a fini de visser l'espace public comme lieu d'expression et de contestation, les médias publics et les milieux associatifs comme agora de débats politiques forts, il s'est attaqué en 2019 à Internet», nous explique le militant. Pour l'AMDH, à travers son président, «l'année 2020 sera donc celle de ce combat prioritaire qu'est la liberté d'Internet en tant qu'espace d'expression». Nous avions déjà travaillé dessus dans le cadre de l'initiative ''Octets sans frontières'' avec la proposition d'une loi sur l'utilisation de l'espace numérique et nous allons relancer ce travail en élargissant le débat sur ces droits», prévoit-il.