En cette Journée des victimes de disparition forcée à travers le monde, célébrée par la communauté internationale chaque 30 août, des associations marocaines rappellent le destin resté méconnu d'opposants politiques depuis les années 1960 et 1970. Mais à ces derniers s'ajoutent une nouvelle génération ; celle des migrants dont les traces se perdent en cours de chemin. Le 30 août marque annuellement la Journée internationale des victimes de disparition forcée. Elle rappelle que le chemin reste encore long face aux défis actuels des disparitions, en dépit des mécanismes juridiques nationaux et onusiens pour le traitement de ce phénomène. Ces disparitions sont restées intimement liées à des raisons politiques, notamment au Maroc, comme l'ont rappelé ce vendredi l'Association marocaine des droits humains (AMDH) et le Forum vérité et justice. Dans ce sens, les deux ONG appellent à élucider plusieurs affaires de disparitions, non-élucidées depuis les années 1960 et 1970. Mais en plus de cette problématique, les disparitions forcées prennent désormais une nouvelle dimension, à savoir la migration. En effet, le Comité des Nations unies sur les disparitions forcées et le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires soulignent cette année que «les mouvements de plus en plus précaires des migrants qui entreprennent des voyages longs et périlleux – souvent en réaction aux politiques migratoires rigides des Etats – exposent beaucoup d'entre eux à des risques accrus de violations des droits de l'Homme, incluant les disparitions forcées». Ces constats se basent principalement sur le dernier rapport thématique du Groupe de travail. Ce vendredi, une déclaration commune signée par les deux instances onusiennes le reprend pour appeler à une intervention efficace des Etats dans le suivi des parcours des migrants victimes de disparition forcée et «à enquêter sur ce crime». Cette déclaration fait aussi écho aux nombreuses alertes de l'ONU, qui a précédemment averti sur le danger de reconduire ou de garder les migrants dans des zones de conflit, notamment en Libye où ils sont victimes d'attaques meurtrières, tandis que d'autres parmi eux font état de mauvais sévices, voire de torture dans le cadre d'une détention illégale. L'impératif de mettre en place des mécanismes transnationaux Contactée par Yabiladi, Houria Esslami qui est membre du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires souligne que «ce phénomène ne regarde pas uniquement le Maroc en tant que point de passage, mais plusieurs pays de la région, dont la Libye justement, la Tunisie, l'Algérie… Il doit donc bénéficier d'un traitement global où les mesures nécessaires doivent être prises par l'ensemble des Etats concernés». Quant au président du Comité sur les disparitions forcées, Mohammed Ayat, il fait part de l'urgence d'adapter les procédures de recherche pour répondre aux besoins spécifiques des migrants, dont les disparitions se comptent plus fréquemment lors de la traversée d'une frontière (maritime ou terrestre). Pour le spécialiste, cet impératif s'explique principalement par la vulnérabilité des «personnes qui franchissent les frontières internationales de manière occasionnelle ou régulière, notamment des enfants non-accompagnés». Dans la déclaration commune des experts de l'ONU, il souligne également que le respect de la dignité est censé constituer «le principe directeur à chaque étape de la recherche du migrant disparu». Dans ce sens, le président-rapporteur du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, Bernard Duhaime, préconise que les Etats mettent en œuvre une «coopération internationale, régionale et bilatérale» efficace, «en raison de la nature transnationale de la disparition forcée des migrants». Par ailleurs, cet expert recommande que ces mécanismes se consacrent à la recherche des migrants, mais aussi à la poursuite des éventuels responsables de cette disparition. En effet, l'absence des outils de recherche et de localisation des migrants disparus au niveau transnational reste un obstacle majeur, s'agissant de retracer le parcours de ces personnes. Maroc : Plus de 80% des migrants morts en mer ne sont pas identifiables C'est le cas notamment dans le pourtour méditerranéen, où les initiatives dans ce sens émanent principalement de la société civile et sont parfois individuelles. Au Maroc, un premier travail sur la difficile identification des migrants disparus a été mené par la Plateforme nationale de protection des migrants (PNPM). Particulièrement axé sur ceux morts en mer, un rapport de l'ONG a indiqué, en mars dernier, que plus de 80% des corps repêchés dans les eaux nationales restent non-identifiables, accentuant ainsi les souffrances des familles des disparus qui ne peuvent faire le deuil de leurs proches. Trois mois plus tard, c'est une enquête de l'ONG espagnole Caminando Frontera qui a fait écho à ces chiffres, confirmant une tendance similaire en Espagne. Dans ce document, la journaliste, chercheur et militante des droits humains Helena Maleno Garzón a démontré que sur un an, l'identité de plus de 75% des migrants morts en mer lors de leur traversée vers l'Europe n'a pas pu être retracée. «Certains corps ont été identifiés mais beaucoup sont restés dans les morgues algériennes, marocaines ou espagnoles ou ont été inhumés avec des épitaphes anonymes», a-t-elle expliqué. Maroc – Espagne : Ces migrants morts en mer sur lesquels les chiffres ne mettent pas de visage Replacer la coopération internationale au cœur du traitement des disparitions Auparavant présidente du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires dont elle fait toujours partie, Houria Esslami insiste auprès de Yabiladi sur une coopération internationale permettant de «retrouver plus efficacement et de retracer le parcours des migrants, et de restituer les dépouilles de ceux qui sont morts à leurs familles». «Plusieurs Etats manquent de respect au principe de non-refoulement, notamment dans les politiques migratoires actuelles entre les pays de l'Union européenne et leurs voisins du sud de la Méditerranée.» Houria Esslami, membre du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires Houria Esslami souligne enfin les cas de refoulements vers des zones de non-droit «où l'on perd souvent les traces de ces migrants». C'est pourquoi, elle rappelle les recommandations de l'ONU sur les politiques migratoires qui «ne doivent plus verser dans l'aggravation du phénomène de disparition forcée». De leur côté, les experts onusiens appellent ce vendredi l'ensemble des Etats à adhérer à la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et à «accepter la compétence du Comité des Nations unies sur les disparitions forcées pour recevoir et examiner des plaintes individuelles».