La problématique n'est pas nouvelle, mais faute de coordination administrative entre les pays du pourtour méditerranéen, surtout le Maroc et l'Espagne, des ONG des deux rives s'y attellent. Il s'agit de la difficile identifications des migrants morts en mer ou disparus durant leur traversée vers l'Europe. C'est une ONG espagnole qui a dernièrement consacré son travail à la question. Depuis un an, seuls 25% des migrants morts en mer lors de la traversée vers l'Europe ont été identifiés. C'est ce que révèle un rapport de l'ONG espagnole Caminando Fronteras, présenté mardi dernier au Conseil de l'Ordre des avocats à Madrid. Dans ce document, la journaliste, chercheur et militante des droits humains Helena Maleno Garzón a en effet répertorié les cas de 70 naufrages au cours des 16 derniers mois. Il en ressort que sur les 1 020 victimes de ces drames, le parcours, l'identité et les conditions de décès de 816 parmi elles restent inconnus. Intitulé «Vida en la Necrofrontera», ce rapport cherche ainsi à redonner leur dignité aux migrants morts et disparus en mer, tout en montrant la souffrance de leurs familles qui n'arrivent pas à faire le deuil et reste très peu évoquée dans les débats publics sur la migration. Citée par Ceuta Actualidad, Helena Maleno Garzón explique ainsi avoir concentré son travail sur les failles administratives et juridiques qui ne permettent pas de retracer les parcours de ces personnes, faisant de leurs proches les otages d'une infinie incertitude. Reconnaître les migrants morts et disparus En mars dernier, la Plateforme nationale de protection des migrants (PNPM) a publié un premier rapport sur les dysfonctionnements de l'identification des migrants morts en mer, recueillis cette fois-ci par les hôpitaux, les morgues et les services de police ou de la protection civile relevant des autorités marocaines dans le nord et le nord-est du pays. Les statistiques sont proches des données de Caminando Fronteras, puisque l'ONG marocaine indique que plus de 80% des migrants morts en mer et disparus pendant leur traversée vers l'Europe depuis les côtes du pays restent non-identifiables. De ce fait, le rapport de la Plateforme a tenté de dresser une première pour mieux comprendre «comment les personnes migrantes mortes aux frontières maritimes marocaines sont identifiées», vu l'importance de cette question au regard du droit international et du respect des personnes décédées, qui passe en premier lieu par leur reconnaissance. Dans ce sens, Helena Maleno explique que le rapport de Caminando Fronteras préconise une «reconstruction de la mémoire collective, la recherche des personnes décédées et disparues et le soutien aux familles dans les recherches et l'identification». «Certains corps ont été identifiés mais beaucoup sont restés dans les morgues algériennes, marocaines ou espagnoles ou ont été inhumés avec des épitaphes anonymes», explique-t-elle en mettant en avant l'absence d'informations officielles sur ces personnes. L'identification reléguée à la case du bénévolat Faute de procédures de reconnaissance des migrants morts ou disparus rigoureusement institutionnalisées entre les deux rives, cette lourde tâche relève surtout de l'engagement des ONG ou des particuliers qui se portent volontaires pour permettre aux familles des concernés de faire leur deuil, souvent à des milliers de kilomètres de la Méditerranée. C'est d'ailleurs ce travail qu'effectue le croque-mort espagnol Martin Zamora, depuis plus de vingt ans qu'il travaille dans les pompes funèbres près d'Algésiras. En effet, Zamora s'attelle à l'identification et au rapatriement des corps de ces migrants morts, ou encore à la tenue de funérailles non-anonymes en Espagne, qui soient respectueuses du rite des morts concernés. Ayant commencé cette action sur un terrain vierge, contre vents et marrées, il est aujourd'hui connu pour avoir permis à nombre de familles de retrouver les leurs, de rapatrier les dépouilles ou d'assister par téléphone à l'enterrement. Si l'initiative de Martin Zamora est désormais coordonnée avec les autorités policières et judiciaires locales, mais aussi de manière directe avec les familles des migrants, elle reste personnelle et individuelle, illustrant principalement l'inexistence d'un protocole spécial pour identifier les morts ou disparus en mer. Dans ce sens, Helena Maleno critique la politique migratoire européenne «suivie depuis au moins l'été dernier» et qui, rappelle-t-elle, «laisse mourir davantage de personnes, bafouant leur droit à la vie». Ajouté à cela, le sauvetage des migrants en mer par les ONG est de plus en plus mis à mal par des pays du sud de l'Europe, comme l'Italie ou même l'Espagne, alors que le dispositif des institutions européennes de contrôle des migrants censé assurer cette fonction a prouvé ses dysfonctionnements et même ses irrégularités. Caminando Fronteras s'est concentrée sur 1 020 cas au cours des 16 derniers mois, mais Helena Maleno souligne qu'il existe bien plus de morts en mer. Son ONG mène actuellement des recherches pour retrouver les familles des disparus. Pour elle, il s'agit notamment de lutter contre «un racisme institutionnel envers les migrants qui est en train d'être normalisé» à travers un traitement sécuritaire de la question. Dans ce sens, elle dénonce que la politique migratoire des pays du Sud, notamment le Maroc, suive les grandes lignes «imposée par l'Europe» et «dictées par l'Etat espagnol». Article modifié le 2019/06/28 à 23h03