Quel point commun entre les 10 plaies d'Egypte et les 10 plaies de Casablanca ? Si on écoute de nombreux Casablancais, la réponse est évidente : l'apocalypse. La ville ogresse n'a jamais laissé indifférente ses habitants, mais ces dernières années, beaucoup de voix appellent à un peu plus de douceur pour que Casa redevienne la Blanche. Cette série d'articles propose une plongée dans les méandres d'une cité partagée entre crimes et châtiments. Autrefois blanche, Casablanca s'est muée en une ville grisâtre, pour ne pas dire noirâtre, ironiquement rebaptisée «Casanegra». Quant à ses espaces de verdures, ils brillent de par leur quasi-absence, à l'exception du parc de la Ligue arabe, en pleine rénovation. Laquelle n'est pas sans déplaire à l'architecte, urbaniste et paysagiste Rachid Haouch, par ailleurs vice-président du Conseil national des architectes. Ce dernier estime en effet que le concept architectural de la division par quatre, sur la base duquel s'était appuyé l'architecte français Albert Laprade, concepteur du parc, n'a pas été pris en compte dans le cadre de cette rénovation. «Il y avait huit rangées de ficus le long du parc : quatre à droite et quatre à gauche. Résultat, aujourd'hui, deux ont été supprimées. Le concept architectural de la division par quatre n'a pas du tout été pris en compte, alors que c'est une référence historique universelle par le biais de laquelle les jardins et les parcs de formes régulières se conçoivent depuis plus de 12 000 ans», déplore Rachid Haouch. L'indépendance du Maroc sonne le début de la fin de l'épopée architecturale dont Casablanca fut l'objet, véritable laboratoire pour des architectes du monde entier – les tout premiers plans d'aménagements dans le monde y ont été réalisés. Il faudra attendre 1992 pour que sorte du circuit législatif une loi relative à l'urbanisme (loi 12-90), ainsi qu'une grille normative correspondante stipulant que le ratio d'espaces verts soit de 1,5 m² par habitant, alors qu'il n'est en réalité que «de 0,5 à 1 m² par habitant, quand l'Organisation mondiale de la santé préconise 12 m² d'espaces de verdure par habitant intramuros, contre 25 en périphérie.» «Volontairement et juridiquement, on a cassé le système de parcs et de jardins au Maroc. On a fait des tentacules de villes à n'en plus finir.» Rachid Haouch Casablanca livrée à la spéculation immobilière Le plan d'aménagement de l'architecte Michel Pinseau, concepteur de la mosquée Hassan II, «a renforcé le centre au profit des immeubles, faisant ainsi disparaître les villas». Rachid Haouch de s'épancher : «On a cédé à la pression de l'immigration rurale. Or quand on densifie une ville, quand on transforme les villas en immeubles, le corollaire de la perversité de ce système, c'est qu'on multiplie par vingt le parc automobile et qu'on se retrouve avec une densité de véhicules très importante. On va donc supprimer les parties des voies qui étaient jonchées de plantes et les terre-pleins centraux pour répondre à la densité de voierie.» Il faut dire aussi que Casablanca est jetée en pâture à la spéculation foncière. Contrairement à des villes comme Paris, l'arsenal législatif en vigueur au Maroc ne compte pas de droit de préemption urbain (DPU), qui stipule qu'«à chaque fois qu'un terrain se libère, c'est la collectivité qui le rachète en premier. Ici, c'est la spéculation foncière qui s'en charge.» Signe que les espaces verts manquent cruellement dans le poumon économique du royaume : «En vingt ans, on n'a réalisé que 15% des surfaces de verdures qui étaient comprises dans le cadre du plan Pinseau.» L'esplanade de la mosquée Hassan II peut-elle sauver les meubles ? L'architecte ne se montre pas plus enthousiaste : «Des palmiers dattiers et des ficus ont crevé parce qu'ils n'étaient pas adaptés aux embruns, parce qu'ils ne disposent pas d'un métabolisme qui leur permettent de dégrader le sel. De même que la première tempête a fait crever la plantation des araucarias sur le couloir de la houle. Toute la palette végétale mise en place est obsolète, non conforme et inadaptée au milieu marin... Un gâchis incompréhensible», tranche Rachid Haouch. Sans cette verdure essentielle pour le métabolisme d'une ville, ce poumon économique du royaume appelé Casablanca risque de finir asthmatique.