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Casablanca
Réconcilier le Marocain avec son ancrage historique
Publié dans Albayane le 19 - 03 - 2013

L'exposé en cinq points distincts sur plusieurs plans se place plutôt sur la thématique du creuset de frustration qu'inflige le développement effréné et incontrôlé de Casablanca à ses habitants au quotidien. Il s'oriente vers les préceptes de l'analyse inventive du renouvellement urbain de Casablanca à l'échelle locale et nationale.
Casablanca, une ville de naissance contre nature
Le site de Casablanca est aussi celui du territoire de l'oued Bouskoura. De temps en temps, l'oued déborde de son lit et fait des ravages. Avec les dernières inondations, on comprend très bien le fait dévastateur du fleuve. Le site de Casablanca est inondable car il est posé sur des sources dites «Laayoun» (Aïn Sbaa, Aïn Diab, Aïn Borja, Aïn Chok, Aïn l'Hermitage, etc.), qu'on a seulement enterré ou canalisé vers la mer. Sachant que la nappe phréatique est superficielle, que la ville est bien bétonnée et qu'avec les changements climatiques en cours, un simple excédent d'eau de ruissèlement en continu peut causer des inondations à tout instant.
Il faut donc envisager des ralentisseurs comme des toitures végétalisées et des récupérateurs des eaux pluviales pour leur réutilisation. Il faut penser peut-être à l'agriculture urbaine sur les toits, ce qui commence à se mettre en place dans les pays avancés en ces temps de crise économique. La ville de demain doit se passer de la compagne et proposer ses propres besoins.
Par ailleurs, le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 est encore dans les mémoires. Il a engendré un tsunami qui a pénétré les terres sur 10 km de profondeur en détruisant tout sur son passage. Aujourd'hui, une vague de tsunami de seulement 8m emporterait tout jusqu'à l'avenue des FAR, mais celle de 30m ira au-delà de l'autoroute.
Casablanca, une ville de naissance sécuritaire
Son plan d'aménagement est le premier au monde, malheureusement son urbanisme est resté un urbanisme d'urgence militaire et sécuritaire. Tous les axes devraient donc converger vers la médina pour mater la rébellion des indigènes. On avait parsemé des casernes militaires autour de la médina et sur les axes structurants vers les routes de la campagne. A part celle transformée en Parc de la Ligue arabe, les stigmates de ces casernes sont encore là et occupent plus de 600ha.
Ce schéma de principe militaire a obligé après la décolonisation d'aller chercher ailleurs des terrains pour bâtir de nouveaux quartiers populaires comme Aïn Sbaa, Hay Mohammedi, El Bernoussi, etc. Cette œuvre a coûté cher, car dans une opération d'urbanisme, 45% de la somme allouée partent pour la réalisation des réseaux, mais les casernes sont toujours là.
L'objectif de Lyautey était bien défini. C'est celui de créer le département 99 du Maghreb qui allait de Rabat à Tunis, en passant par Alger. Mais il a échoué car il a rencontré une résistance farouche des habitants du Moyen Atlas et des obstacles physiques liés à l'escalade de la montagne.
Casablanca, une ville qui a perdu son système de parcs
A l'instar de Paris, de Bruxelles, de New York ou de Philadelphie, etc., Casablanca était bâtie autour d'un système de parcs. En effet, sous les directives du paysagiste Jean Claude Nicolas Forestier, lui-même influencé par le paysagiste américain Olmstead, celui-là même qui a réalisé le Central Park de New York, l'architecte-urbaniste Prost a réalisé son plan d'urbanisme suivant deux axes importants : le boulevard périphérique qui allait de la mer à la mer et qui est devenu aujourd'hui, le Boulevard Zerktouni, le Boulevard de la résistance et le Boulevard Emile Zola.
A l'instar de Barcelone ou Paris, imaginons un instant sous ce grand boulevard un tunnel à deux fois deux voies où on roule à 80km/h avec des bretelles pour résoudre le problème des bouchons d'aujourd'hui. Un tunnel qui couterait seulement 5 milliards de dirhams sur 5 ans, finançable par la mise en hauteur des bâtiments.
L'effet d'entonnoir de la ville de Prost créera des effets d'étranglement quel que soit le système multimodal mis en place. Il passe de 100.000 à 150.000 véhicules par jour sur la place des Twin. Et 50% des déplacements à Casablanca se font à pied, mais les trottoirs n'ont pas de statut juridique et ils sont impraticables pour les personnes à mobilité réduite.
Par ailleurs, on a densifié les quartiers Maarif, Racine et Gautier en transformant des villas en immeubles sans changer de voiries, ce qui a pour conséquence de multiplier par vingt le parc automobile.
L'autre boulevard, plus urbain cette fois, c'est le Boulevard Moulay Youssef. C'est un système de parcs qui allait de la mer à la mer et qui est formé de places, de placettes, de jardins et de parcs le long du boulevard.
Pour retrouver ce système, il faut revoir l'aménagement de ce boulevard et le relier de part et d'autre au parc de la ligue arabe, à l'esplanade de la Mosquée et à la corniche. Ce qui donnerait aux Casablancais un poumon vert de plus de 50 ha.
Or, on n'a plus construit aucun parc à Casablanca depuis plus de 70 ans.
Le ratio en m2 de surfaces de verdures par habitant est 0.5 m2 alors que la norme OMS exige 10 m2 en milieu urbain et 25 m2 en périphérie urbaine, ce qui est vingt fois moins que la norme. On n'a réalisé entre autres que 15% de surfaces vertes inscrites sur le plan d'aménagement de Pinceau. Et on est en train de refaire la même chose sur les futurs plans d'aménagement car ces surfaces sont inscrites sur des parcelles privatives.
Et tant qu'on n'a pas encore une loi qui régit le droit de préemption urbain, une DPU qui oblige la collectivité locale à acquérir un terrain en premier au nom de l'intérêt général pour y bâtir un équipement, on subira toujours la dictature de la promotion immobilière.
Aujourd'hui, la pollution à Casablanca dépasse au quotidien de 3 à 4 fois les alertes des normes CEE. Il y a aussi plus de 25% d'asthmatiques dans cette ville.
Et si on plantait alors des arbres ? Un arbre de 30 ans et de 10 m d'envergure, avec un feuillage épais, dépollue 2 tonnes de poussières par an et rejette 700 litres d'eau par jour sur une portée de 16 ha. C'est ce qui a été retenu pour définir la norme de l'OMS.
Casablanca, une ville qui a perdu sa trame semi radioconcentrique
Le plan d'urbanisme des années cinquante de l'architecte-urbaniste Ecochard a eu raison de cette trame. Pour faire face à la démographie galopante, il y a créé une nouvelle trame urbaine régulière, contradictoire avec la première et qui tirait Casablanca vers Mohammedia. Ce qui a créé un urbanisme lamellaire et des coupures de la mer par la voie ferrée et l''autoroute. Cette nouvelle trame, issue du zoning urbain de la séparation des fonctions entre l'habitat, le logement et les loisirs a vu naître de nouveaux quartiers populaires qui ont eu du mal à rivaliser avec les quartiers de Prost.
Peut-on imaginer qu'un jour on verra se promener et flâner les habitants d'Anfa sur Sidi Moumen ou de les voir habiter ce type de quartier ? Cette ségrégation spatiale aura du mal à s'estomper en fonction du temps. Il faut, sérieusement penser à inverser la tendance.
Aujourd'hui, les habitants de ces quartiers ne se disent pas Casablancais. On parle d'Oulad Lhay, et ceux qui habitent au-delà de l'autoroute ne savent pas qu'ils sont dans la ville de Casablanca.
Cette coupure est en cours de renforcement par le triplement des voies de l'autoroute. Au lieu de créer un éco-boulevard inter-quartiers qui supprime ces coupures et qui créerait des liaisons, on a préféré accentuer encore l'isolement de ces quartiers.
Par ailleurs, le nouveau tramway a multiplié par 3 les bouchons à l'intérieur de Casablanca. En effet, la ville subit à longueur de journée l'effet d'entonnoir vers son centre-ville contemporain de Maarif et du triangle d'or.
Car cette ligne du tramway est perpendiculaire aux principales artères comme au niveau de Zerktouni et Hassan II, Abdelmoumen et Ghandi, etc.
Avec de prime abord des stations non couplées aux stationnements et aux bus, etc., cette ligne a créé un effet pervers contre le système multimodal qu'elle est censé engendrer aves les autres moyens de déplacements.
Le tramway est par définition un facteur de développement. Il suppose la restructuration des quartiers traversés et leur mise en valeur. Mais on a préféré le réaliser de façade à façade tout en le laissant traverser des quartiers défavorisés et des bidonvilles.
Des études d'impacts auraient pu révéler que le fait de supprimer des voies comme celle du boulevard Mohammed V aurait un impact sur l'ensemble de la circulation et que le fait d'avoir conçu une seule voie montante et une voie descendante de part et d'autre de la ligne stoppe l'ensemble de la circulation automobile en cas d'accident...
Il faut un minimum de 5 lignes inscrites dans la trame urbaine pour être efficace.
Par ailleurs, cette trame urbaine semi radioconcentrique autour de la médina ne possède pas de centre-ville au sens géométrique du terme. Un axe comme le Boulevard Mohmmed V ne peut créer de centralité.
Donc Casablanca ne possède pas de centre-ville. Seul l'avènement des Twin et le triangle d'or (Zerktouni - Massira – Anfa) a créé fatalement une centralité matérielle qui représente plus de 30% de la richesse commerciale du Maroc et dont le boulevard Massira englobe à lui seul 30% de celle de la ville.
Casablanca, une ville qui est devenue un pays qui contient quatre villes
La ville d'aujourd'hui possède quatre trames urbaines contradictoires et qu'elle n'arrive pas à gérer et à assumer : La médina en tant que ville traditionnelle qui tombe en ruine, le port en tant que ville excentrique qu'il faut ouvrir et rattacher à la ville, la ville européenne New Haussmannienne de Prost en tant que cité-jardin d'antan dont il faut réhabiliter les boulevards, sauvegarder les tracés urbains et le patrimoine architectural, et la ville populaire moderne dont il faut développer l'urbanisme à l'îlot, l'équilibrer matériellement par rapport à celle de Prost et l'orienter vers la mer, avec obligation de mettre en place un ratio de 30% de l'habitat social contre 70% de l'habitat moyen et haut standing pour la mixité sociale.
Aussi, il faut savoir que la migration alternante domicile-travail entre ces quatre villes et entre les quartiers les composant ainsi que ceux en cours de réalisation ou à venir (Marina, Casa-city Center, Anfa Place, etc.) renforcera les difficultés de déplacement en ville et accentuera la pollution de l'air.
Cependant, l'ouverture de 3000 ha à l'urbanisation par le nouveau Schéma directeur d'aménagement urbain (SDAU), va créer une métropole maritime gigantesque, incontrôlable et écologiquement ingérable. Car au-delà de 100.000 habitants, une ville échappe à tout contrôle. Il faut donc recourir à des éco-quartiers autonomes et à taille humaine pour surmonter ce gigantisme métropolitain.
Il faut aussi penser à stopper d'urgence l'étalement de la ville et songer à recréer la ville sur elle-même par la microchirurgie urbaine, et aller par ailleurs dans le monde rural afin de stopper son exode tout en vidant Casablanca d'entreprises attractives de main-d'œuvre bon marché et les implanter à la campagne pour la développer.
On dénombre plus de 600 ha entre Aïn Sbaa et Roches noires consacrés aux friches industrielles, les voies de stockage de l'ONCF, les dépôts des carburants, etc.
Il faut donc tertialiser la ville à l'instar de ce qui a été fait pour Londres dans les années 60 et dans Paris dans les années 70.
Car, vu la cherté des terrains et l'absence du foncier, et vu qu'un emploi tertiaire est créé sur seulement 10 m2 contre 100 m2 pour celui issu de l'industrie, et vu aussi la pression des activités de bureau et la pollution qu'engendre l'industrie en milieu urbain dense, il faut donc penser à vider Casablanca de son industrie actuelle et en créer une ville nouvelle périphérique à proximité des grands axes autoroutiers et ferroviaires dédiés à cet effet.
La ville est devenue par conséquent un pays dans le pays. Et, quand Casablanca tousse, tout le Maroc tremble. Elle représente en effet plus de 20 à 30% du PIB national et ceci va s'accroitre à en croire ses évolutions futures. Elle finira un jour par s'effondrer sur le poids de son propre développement au détriment du reste du Maroc.
Elle est sur l'axe métropolitain du Schéma national de l'aménagement du territoire, le SNAT, qui allait de Tanger à Essaouira et où sont concentrés plus de 70% de Marocains et qui sera renforcé par l'autoroute et le TGV, et ce au détriment du reste du Maroc.
En conclusion, et pour le salut de Casablanca, il faut impérativement sortir le Maroc du schéma initial du 20e siècle de l'axe atlantique en édifiant l'épine dorsale montagnarde de Nador jusqu'à Massa, passant par les montagnes, en vue de les développer et de les désenclaver.
Et aux nœuds de cette nouvelle artère autoroutière et ferroviaire avec la trame nationale on en fait des villes nouvelles à vocations territoriales pour soulager et décongestionner l'axe atlantique et pour réduire la pression qui pèse sur Casablanca.
Ainsi, d'une part, on reliera la mer à la montagne en passant par les plaines et on réconciliera le Maroc utile avec le Maroc inutile par la création de richesses et le renforcement de l'unité national. D'autre part, le pays retrouvera son ancrage historique car le Marocain est descendu de la montagne pour créer la civilisation urbaine sur les plateaux comme Fès, Meknès, Marrakech, etc.
En effet, le Marocain n'a pas le pied marin, il n'a pas construit de ville en bord de mer à part Rabat qui était le fait des Almohades de l'autre côté de la Méditerranée. Toutes les villes côtières sont construites par les étrangers depuis les Phéniciens jusqu'aux Français, en passant par les Portugais et les Espagnols.
Le Maroc n'a construit que des Kasbats au bord des embouchures des fleuves pour protéger les sources et les villes de l'arrière-pays. Comme la Kasbah de Mehdia sur Sebou, les Oudayas sur le Bouregreg, Azemmour sur Oum Rbia, etc.
*Architecte dplg
Urbaniste DEA/DESS, paysagiste dplg, expert en Haute qualité environnementale HQE


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