Les migrants mineurs ont difficilement accès aux soins et à la scolarisation. Le parcours du combattant commence parfois dès la naissance, lorsque leurs mères accouchent et ne disposent d'aucun document d'identité. A jeter un coup d'œil à la page Facebook de la section de Nador de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), les migrants subsahariens ont leur lot quotidien de souffrances : refoulements à chaud, arrestations arbitraires, naufrages des embarcations en mer, incendie des camps par les autorités locales… L'association dénonce quasi chaque jour les périls auxquels ils sont confrontés. Parmi la population migrante subsaharienne figurent également des mineurs, enfants et adolescents, exposés aux mêmes dangers et soumis aux mêmes traitements. Selon les données les plus récentes communiquées par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), 10% de la population migrante en situation irrégulière au Maroc est composée de jeunes entre 16 et 17 ans «et une partie importante d'entre eux est représentée par des enfants migrants non accompagnés et séparés». L'OIM précise que l'enfant non accompagné «est celui qui est séparé de ces deux parents et d'autres membres de sa famille et n'est pas pris en charge par un adulte investi de cette responsabilité par la loi ou la coutume», tandis que l'enfant séparé «est celui qui n'est pas accompagné par ses parents mais par un membre de sa famille ou un autre adulte». Alors que l'ONU a récemment fait part de ses inquiétudes sur les morts et disparitions des enfants migrants, principalement en mer Méditerranée, la migration infantile semble encore reléguée en marge des politiques migratoires de l'Union européenne, celles-là même auxquelles se conforme le Maroc, au détriment de la Convention internationale des droits de l'enfant que le royaume a pourtant ratifiée le 21 juin 1993. C'est en tout cas ce que dénonce Omar Naji, président de la section de Nador de l'AMDH, qui fait état d'un accès difficile aux soins, voire impossible, pour les migrants mineurs subsahariens. «Il n'y a pas de prise en charge, seulement pour les femmes, qui peuvent accoucher gratuitement à l'hôpital de Nador. Lorsque les migrants, en l'occurrence les mineurs, veulent sortir des campements pour consulter un médecin, ils sont arrêtés par les autorités puis refoulés vers le sud du Maroc, notamment Tiznit ou Azilal. C'est pour ça qu'ils ne descendent plus voir les médecins.» Omar Naji Un accès également difficile à la scolarité Ces arrestations, souligne Omar Naji, «sont en contradiction avec la loi 02-03 relative à la migration qui n'autorise pas l'arrestation et le refoulement des femmes enceintes et des mineurs». L'associatif estime que la loi «n'est pas appliquée car les autorités marocaines appliquent avant tout les politiques migratoires européennes». Le Maroc est depuis longtemps considéré comme le garde-frontière de l'Union européenne en matière d'immigration. Durant l'été 2018, alors que les migrants subsahariens faisaient l'objet de vastes campagnes de refoulement vers l'intérieur du pays, Omar Naji dénonçait le rôle du Maroc en tant que bouclier de l'immigration vers l'Europe. «Le Maroc ne fait que confirmer son rôle de gendarme des frontières sud de l'Europe, au grand dam des appels à cesser ces arrestations et ces violations des droits de l'homme», avait-il dénoncé auprès de notre rédaction. Quelques mois plus tard, en octobre 2018, le gouvernement espagnol de Pedro Sánchez pressait d'ailleurs Bruxelles de débloquer les fonds nécessaires pour que le Maroc puisse contenir les flux migratoires. S'il confie n'avoir pas eu connaissance de cas de mineurs refoulés des hôpitaux ou dispensaires marocains, Saïd Tbal, responsable de la commission centrale immigration et droit d'asile à l'AMDH, reconnaît de son côté que la prise en charge des mineurs migrants au Maroc demeure insuffisante, y compris sur le front de la scolarité. En octobre 2013, avant la première opération exceptionnelle de régularisation du séjour des étrangers en 2014, qui avait permis de régulariser 23 096 personnes, le ministère de l'Education nationale avait publié une circulaire relative à «l'intégration des élèves étrangers issus des pays du Sahel et subsahariens dans le système scolaire marocain». Le ministère avait ainsi décidé, à compter de la rentrée scolaire 2013-2014, d'«inscrire les élèves étrangers issus des pays du Sahel et des pays subsahariens dans les établissements de l'éducation et de l'enseignement public et privé et aussi de leur permettre de bénéficier des cours de l'éducation non formelle». «Reste que dans la pratique, seuls les mineurs régularisés ont été prioritaires dans la scolarisation», déplore Saïd Tbal, qui prône une approche singulière de la protection des migrants mineurs, c'est-à-dire du cas par cas. Le membre de l'AMDH dit également avoir vu des mineurs dans l'impossibilité de s'inscrire dans des établissements scolaires, faute de documents d'identité et d'extrait de naissance. Les réfugiés mieux pris en charge que les migrants Contactée par notre rédaction, Bettina Gambert, représentante au Maroc du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), confirme en effet que les réfugiés sont orientés, en fonction de leur niveau et de leur parcours, vers l'éducation informelle. «Ce sont des classes d'adaptation qui leur permettent d'effectuer une remise à niveau. C'est un cursus préalable à l'éducation formelle qui s'étale sur une à deux années durant lesquelles les élèves apprennent à lire et écrire l'arabe», précise-t-elle. En matière de santé également, Bettina Gambert fait remarquer que les réfugiés sont mieux pris en charge que les migrants. «On travaille en partenariat avec l'Association marocaine de planification familiale. On assure la couverture complète de tous les soins, y compris les consultations, l'accès aux médicaments et les opérations chirurgicales, seulement dans les hôpitaux publics et pour tous les réfugiés, qu'ils soient majeurs ou mineurs.» Et d'ajouter : «Notre plaidoyer, c'était que les réfugiés puissent être inclus dans le RAMED mais ça n'a jamais été concrétisé, donc c'est nous qui nous occupons de la couverture santé.» Reste que pour les mineurs migrants, le combat commence parfois dès la naissance, rappelle Bettina Gambert. «Les femmes migrantes sont exposées à deux problématiques: elles n'ont souvent pas de documents d'identité et, quand elles accouchent dans les forêts de Nador ou en cours de route, il est très difficile pour elles d'obtenir un acte de naissance, de prouver qu'il s'agit bien de son enfant.» Bettina Gambert D'après un rapport sur la protection des mineurs migrants au Maroc rédigé par l'association Al Khaima Maroc, «toutes les organisations interpellées signalent la probabilité que des mineurs demeurent ''cachés'' et n'accèdent à aucun recours, privé ou public».