Elles produisent la fameuse huile précieuse écoulée à prix d'or sur le marché international, mais leurs conditions de vie restent encore déplorables. Elles, ce sont ces femmes marocaines dans le rural, qui peinent à profiter de la floraison de l'industrie de l'arganier. Reportage à Anezi, au cœur des montagnes de l'Anti-Atlas. Il est environ 11h30 à Anezi, petite commune rurale berbère, logée au milieu des montagnes de l'Anti-Atlas, à une quarantaine de kilomètres de Tiznit, et à plus de 130 km au Sud d'Agadir. En ce vendredi, jour de la grande prière hebdomadaire, les hommes commencent à se diriger vers la mosquée dès l'approche de la mi-journée. Sur les hauteurs de cette petite cité où l'on respire de l'air pur, le visiteur peut voir, non sans fascination, ces villages nichés sur les montagnes. Des demeures de paysans, probablement sans électricité, où le liquide précieux a toute sa valeur. Ici, pas de pollution industrielle ni sonore. C'est presque le calme totale, sauf dans les lieux d'activités, comme à la Coopérative agricole féminine «Aloumas». Situé à quelques centaines de mètres de la route principale, au bout d'une ruelle cahoteuse, le siège de la Coopérative «Aloumas» vibre au rythme du concassage et de la transformation des graines de l'arganier. Six femmes âgées, entièrement couvertes de la robe noire traditionnelle berbère et d'un très grand voile qui cache leur visage s'activent dans une véranda, à séparer la noix de l'arganier de son fruit. L'ambiance est joviale, l'accueil chaleureux. 30 euros vs 1000 dhs Chaque jour, ces femmes, une soixantaine au totale, passent au moins une demi journée à travailler pour la coopérative d'extraction de l'huile d'argan. Créée en 2004, «Aloumas» s'est lancée deux ans plus tard dans la production de l'huile d'argan, explique sa présidente Fatim Aït Kneyn, âgée seulement de 22 ans. La coopérative produit annuellement quelques 500 litres de cette huile extrêmement rare et prisée dans le monde entier pour ses vertus culinaires, cosmétiques et médicinales. Un véritable business pour ces femmes rurales, du moins dans les apparences. Car si le quart du litre de l'huile d'argan est vendu à 30 euros (plus de 300 dirhams) dans les pays occidentaux, les femmes membres d' «Aloumas» elles, gagnent à peine plus de 1000 dirhams (moins de 100 euros) par mois. Il en est de même pour les membres des 22 autres coopératives de la région Souss-Massa-Draâ regroupées au sein de l'UFCA, (Union des Coopératives des Femmes pour la production et la commercialisation de l'huile d'Argan). «Chaque femmes gagne entre 700 à 1000 dirhams le mois. Elles sont payées en fonction du nombre de kilos qu'elles concassent», explique Fatim la présidente. A Anezi, cette modique somme est probablement le seul revenu de ces braves dames dans leur activité, sachant que depuis quelques années «les bénéfices de la coopérative sont affectés à la construction d'un deuxième local, et ne sont plus partagés entre les membres» poursuit Fatim la jeune. On peut mieux faire Une autre Fatim, veuve et âgée de 70 ans, est elle occupée dans la véranda, à réunir le plus grand nombre de kilos. A la question de savoir si l'activité leur permet de se mettre à l'abri du besoin, la vieille dame encore énergique malgré son visage ridé, répond «qu'en tout cas, on règle avec cet argent des besoins familiaux et cela nous empêche de dépendre entièrement des hommes». Jamila Idbourrous, présidente de l'UFCA est plus explicite: «l'exploitation des produits de l'arganier a permis à ces familles d'améliorer leur niveau de vie, mais on peut mieux faire». L'UFCA commercialise les produits de ses coopératives membres et mutualise les charges. Créée en 1995, elle compte aujourd'hui plus de 1000 femmes adhérentes. «Les femmes rurales sont les oubliées de l'industrie de l'huile d'argan» répète sa présidente. Elle pointe du doigt «l'enclavement des zones de production et les difficultés d'accès au marché» mais surtout «les sociétés et les particuliers qui viennent exploiter les femmes en achetant les fruits à l'état bruit». Ce qui empêche aux ménages d'en consommer et de réserver leurs collectes (de fruits) aux coopératives. Renforcer la production marocaine «Il faut donc s'organiser, se structurer pour renforcer les unités de production marocaines» poursuit Jamila. A l'UFCA, on regrette que le business de l'argan profite «surtout aux revendeurs sur le marché international». Il faut arrêter l'exportation des produits en vrac, insiste la présidente de l'UFCA, et renforcer les équipements des coopératives qui ne sont pas toujours bien outillées. En plus du problème logistique, les femmes sont également stressées par la collecte des fruits de l'arganier. «Elle se fait en été [mai-septembre, ndlr], indique Fatim la présidente. C'est très dur. Nous nous exposons à beaucoup de menaces dans la forêt, notamment aux morsures de serpents». La dégradation de l'arganeraie, accompagnée de la raréfaction continue de la bonne graine, vient à son tour assombrir l'horizon. Chaque année, quelques 600 hectares d'arbres sont perdus. La sécheresse, le surpâturage et l'urbanisation en sont les principales causes.