Modèle régional et même international en matière de lutte contre le terrorisme, le Maroc doit cependant faire face au rapatriement de plusieurs de ses citoyens partis rejoindre les rangs de Daech. Bien qu'efficace, l'approche marocaine reste limitée à quelques champs d'actions et ne devrait pas détourner l'attention sur la nécessité de répondre à des préoccupations plus larges. Une étude du centre d'Egmont et de la fondation Konrad-Adenauer-Stiftung, publiée ce mercredi, analyse les approches politiques au Maroc, en Tunisie et en Egypte en matière de rapatriement des djihadistes maghrébins partis rejoindre les rangs du groupe terroriste «Etat islamique», rapporte le quotidien espagnol El Pais. Les chercheurs et auteurs de ce rapport, d'une soixantaine de pages, affirment que «le Maroc est de loin le pays le plus avancé dans le traitement des rapatriés (…) En revanche, la Tunisie et l'Egypte sont beaucoup moins transparentes et systématiques dans leurs approches». Le cas du Maroc, bien qu'il soit derrière la Tunisie, qui a été le plus grand fournisseur de combattants étrangers dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), a largement été mis en avant dans le rapport. En effet, le royaume est le seul de la région à avoir «pris des mesures juridiques et renforcé son action et ses services de sécurité en conséquence. Il a également développé des programmes de déradicalisation en prison et travaille sur d'autres initiatives avec d'anciens radicaux», souligne-t-on. Ayant déjà fait face à une mobilisation pour le djihad durant les années 1980 et 2000, le Maroc a depuis créé des institutions pour affronter ce phénomène. De plus, il est l'un des rares dans la région à participer aux «forums internationaux tels que le Forum mondial de lutte contre le terrorisme (GCTF), partageant des expériences avec d'autres pays européens, africains et asiatiques». Le Maroc, un modèle régional et international A son apogée, entre 2013 et 2017, le groupe terroriste «Etat islamique» comptait pas moins de 1 664 Marocains, selon le rapport, qui cite un document interne du Bureau central d'investigation judiciaire (BCIJ). Les responsables marocains estiment que seulement trois ressortissants occupaient des postes de haut rang au sein du groupe terroriste, «notamment le poste de juge dans la ville de Mossoul, de responsable du département de communication et de gouverneur des montagnes turkmènes». En réalité, la plupart d'entre eux était des soldats à pied. Les chiffres avancés englobent également les femmes, au nombre de 285, ainsi que 378 enfants. Les frappes et affrontements en Irak et en Syrie ont tué 596 Marocains sur les 1 664 à la fin 2017. Ces violences en ont incité plusieurs à envisager de rentrer au Maroc, explique Kathya Kenza Berrada, chercheuse associée au Centre arabe de la recherche scientifique et des études humaines de Rabat, l'une des auteurs du rapport. Le Maroc, «contrairement à la plupart des pays, y compris européens, semble avoir suffisamment confiance en ses propres institutions pour rapatrier certains de ses combattants étrangers arrêtés par les forces kurdes en Syrie», souligne le rapport. Les autorités marocaines ont arrêté et traduit en justice plus de 200 djihadistes, qui purgent des peines allant de 10 à 15 ans de prison. Il est à noter que ces actions ont été complétées par d'autres mesures, notamment la réforme du cadre juridique, la réforme de la sphère religieuse, mais aussi via la mise en place de programmes de déradicalisation dans les centres pénitenciers. Déploiement de dispositifs sécuritaires et préventifs Sur le plan interne, le rapport met en avant le fait que le Maroc n'a été visé par aucune attaque terroriste depuis l'attentat de Marrakech en 2011, qui avait coûté la vie à 17 personnes et fait 20 blessés, exception faite de l'attaque terroriste visant deux touristes scandinaves en décembre 2018. Ceci s'explique par le fait que la lutte contre le terrorisme est présentée dans le discours officiel marocain comme une priorité de la sécurité, note le rapport, en plus de la création de la BCIJ et du dispositif de sécurité «Hadar», présenté comme un instrument «pour lutter contre les différentes menaces qui guettent le royaume». Ce dispositif est renforcé par un réseau de «50 000 mqadmin (agents auxiliaires) mandatés par le ministère marocain de l'Intérieur, qui sont déployés dans tout le pays et jouent le rôle d'informateurs qui rendent compte de toute situation ou comportement inhabituel». Ces informations précieuses se traduisent par les multiples démantèlements de cellules terroristes effectuées par les autorités marocaines au cours des dernières années. Performants, les services de renseignement marocains «ont également constitué une source d'informations précieuse sur les réseaux transnationaux de djihadistes pour plusieurs pays occidentaux, notamment l'Espagne et la France». Il est à noter que parmi les Marocains ayant rejoint les rangs de Daech, plusieurs d'entre eux étaient des binationaux. Leur rapatriement pose lui aussi un défi pour le Maroc, étant donné que plusieurs d'entre eux sont déchus de leur seconde nationalité. Nécessité de répondre à des préoccupations plus larges Bien qu'efficace, l'approche marocaine serait néanmoins «très axée sur la sécurité et laisse peu de place à la prévention», souligne le rapport dans la section sur les préoccupations et critiques sur le Maroc. En effet, à l'exception du programme baptisé «Moussalaha», qui entend assurer la réinsertion dans les meilleures conditions des prisonniers, aucun autre programme de ce type n'a été mis en place, pointe du doigt le rapport. De plus, aucun programme ne s'attèle à la problématique du rapatriement de ces Marocains, qui «sont traités comme tous les autres terroristes», souligne le rapport, notant que ceux qui sont rapatriés se trouvaient dans des zones de guerre, étaient formés au maniement d'armes et font partie d'un plus vaste réseau. Autres failles : les femmes et enfants venus d'Irak et de Syrie ne font l'objet d'aucun dispositif. De même, les binationaux qui pourraient être déchus de leur nationalité européenne sont également mis de côté, déplore le rapport. Cet aspect nécessite «une coopération forte entre l'Union européenne et le Maroc», estiment les auteurs. La lutte contre le terrorisme «ne devrait pas détourner l'attention sur la nécessité de répondre à des préoccupations plus larges», affirment les spécialistes, ajoutant que «les autorités marocaines devraient poursuivre des réformes socio-économiques et répondre à des problèmes de gouvernance beaucoup plus vastes». L'autre préoccupation est liée à cette approche antiterroriste qui pourrait «restreindre différentes formes de libertés civiles au nom de la lutte contre le terrorisme». A ceci s'ajoutent les allégations persistantes d'ONG quant aux mauvais traitements, y compris les cas de tortures envers des personnes soupçonnées de terrorisme.