De Ouezzane à Rome, tout un riche parcours de vie a fait de Nour Eddine Fatty un virtuose mondialement connu pour sa musique, joignant jajouka aux rythmes arabo-andalous, siciliens et même à la dance. Ce travail de recherche, il l'a mené en autodidacte, après avoir roulé sa bosse en tant que musicien de rue en Italie. «A la base, je suis un musicien de rue et je le resterai toujours dans mon âme». C'est ainsi que Nour Eddine Fatty résume modestement ses vies multiples, où il a baigné dans la musique depuis l'âge de six ans, jusqu'à se distinguer par un style particulier fait d'influences culturelles diverses. Parti jeune en Italie en 1993, sans papiers, il est aujourd'hui une référence dans la musique de films d'auteurs dans son second pays, mais aussi un virtuose de la flûte distingué auprès du Vatican. Il jouit d'un succès international, particulièrement en Europe et au Moyen-Orient. Né dans le village de Zrizrat à 7 km de Ouezzane, c'est dans cette dernière qu'il a grandi jusqu'à décider de prendre son envol pour l'Italie. Il apprend à jouer la flûte dès ses six ans. «Mon grand-père mâalem Ahmed Ben Redouane, de la confrérie des aïssaoua, était un grand maître de ghaïta. Sans lui, le moussem de Cheikh El Kamel à Meknès ne commençait pas, car il est une référence de la la musique aïssaoua dans le nord du Maroc ; je suis issu d'une tribu ancestrale dans la culture aïssaoua et c'est donc inscrit dans mes gènes», nous explique-t-il. «Quand j'étais petit, mon grand-père me fabriquait des flutes. A huit ans, j'accompagnais le troupeau de moutons avec mon instrument. C'est le même que j'ai gardé avec moi jusqu'à mon départ pour l'Italie et qui m'a accompagné dans tous mes voyages, jusqu'à y jouer pendant des concerts à Florence, à Venise et dans les plus beaux sites touristiques de plusieurs pays.» Nour Eddine Fatty, musicien Une nouvelle vie à Rome Arrivé à Rome, le musicien est conquis «par la beauté du pays et la bonté de ses habitants». Il pense à s'imprégner de cette culture qu'il commence à découvrir, apprend l'italien et travaille comme ouvrier agricole dans les vignobles et les oliveraies. «Ce n'était pas toujours facile de subvenir aux besoins quotidiens et de payer le loyer», se rappelle-t-il. Une fois son travail dans les champs terminé, il enchaîne les heures de répétition et se produit sur les lignes du métro de la capitale italienne. Cependant, il constate que la flûte à elle seule n'a pas un grand impact musical sur les passants. Il achète une guitare dont il apprend seul à se servir en s'y attelant chaque soir, après avoir reçu d'une église un manuel pour connaître les notes de base. Ce nouvel instrument a été accompagné de chants arabes, aux sonorités andalouses, calabraises et siciliennes. «C'est un patrimoine méditerranéen commun qui nous unit», nous confie l'artiste. Quelque temps plus tard, Nour Eddine Fatty décide de se consacrer entièrement à parfaire son jeu de flûte, de guitare, mais aussi de luth et de percussion. Quotidiennement, il se produit sur les lignes du métro huit heures par jour, avec discipline et persévérance, développant par ailleurs des rapports amicaux avec les riverains. De la rue au grandes scènes musicales d'Europe Après trois ans de musique de rue à plein temps, Nour Eddine Fatty a amélioré la qualité de ses prestations. Il a pu travailler sa voix, l'harmonie entre son chant et son jeu musical, gagnant aussi un charisme artistique particulier. Près du métro, il est repéré par le musicien Tony Esposito qui l'a entendu chanter en arabe. Il lui propose alors de participer avec lui à la conception de la bande sonore du film «Storie d'amore con i crampi», tourné en Tunisie par le cinéaste et dramaturge italien Pino Quartullo. «Pour la première fois de ma vie j'entrais dans un studio. Il était tellement satisfait de mon travail que nous avons cosigné la bande-son de l'opus, où j'ai utilisé aussi un luth et des percussions. Ça a véritablement lancé ma carrière musicale.» Nour Eddine Fatty, musicien La bande-son est tellement originale que Nour Eddine Fatty est distingué par l'académie de l'Institut Luce, ancienne institution publique de diffusion de films éducatifs. Il reçoit plusieurs prix dans des festivals et commence à se faire connaître dans le monde du cinéma, surtout auprès de producteurs musicaux et de professionnels travaillant sur des opus historiques ou tournés dans des pays d'Afrique du Nord. A son actif aujourd'hui, six bandes de films qui ont marqué l'histoire du cinéma italien dans les années 1990. Nour Eddine Fatty commence ensuite à composer de la musique indépendamment des productions cinématographiques. Il attire un public averti et suscite l'intérêt de musicologues, d'intellectuels de Rome et de chercheurs. Il est rapidement invité à tenir des concerts dans les plus belles salles de la capitale, comme l'Auditorium Parco della Musica (équivalent du Zénith de Paris en Italie), ainsi que des tournées ailleurs. La musique au service de la coexistence De 1997 à 2013, Nour Eddine Fatty aura enregistré treize disques, dont cinq de musique traditionnelle marocaine. Quant aux autres albums, ils sont faits de fusion entre la musique de son pays d'origine et le jazz, les tarentelles qui distinguent le sud d'Italie et dont les rythmes convergent avec des sonorités communes aux musique arabo-andalouses et nord-africaines, devenant ainsi «une référence dans la musique maghrébine en Italie». Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, il signe un album intitulé Coexist, mêlant la musique jajouka et les mélodies aïssaoua transmises par grand-père, fusionnée à des sonorités sépharades et même à des rythmes empruntés à la techno. Il réalise que ces morceaux sont en parfaite coexistence musicale. «Dans ce contexte, j'ai pensé la coexistence de ces musiques comme une représentation de la vie en commun en société, dans nos différences, car au lendemain du 11 Septembre beaucoup ont changé de perception sur les personnes de culture musulmane ou arabe. J'ai fait cet album en travaillant avec des juifs et des chrétiens.» Prenant une dimension philosophique, l'album attire l'attention des médias italiens. Son auteur est invité dans les radios et les télévisions du Vatican. «En 2005, le pape de l'époque, Jean-Paul II, organise un grand concert à l'auditorium du Vatican pour porter un message de paix et où j'étais l'invité principal. J'ai été reconnu pour mes efforts en faveur de la coexistence en société», se rappelle celui qui est aujourd'hui fier d'avoir «roulé [sa] bosse» en se faisant lui-même un nom. Distribué mondialement par Universal, Coexist est largement vendu en Italie, en France, en Espagne, en Allemagne, mais aussi à Abu Dhabi, à Dubaï, en Turquie. Morceau éponyme dans cet album, une piste est sélectionnée par Benoît XVI pour la playlist officielle du Vatican. Faire un pont avec le Maroc Loin d'être déconnecté de la vie artistique au Maroc, Nour Eddine Fatty considère qu'«il y a des jeunes aujourd'hui qui font des productions musicales très intéressantes, qui doivent être encouragées et accompagnées de manière professionnelle». Dans ce sens, il raconte avoir conçu en 2009 un film où il suit plusieurs talents de la nouvelle scène marocaine, notamment H-Kayne, Fnaïre, et de jeunes rappeurs et musiciens à leurs débuts. Montré dans plusieurs capitales européennes dans le cadre de festivals. Nour Eddine Fatty ambitionne aussi de se produire un jour sur scène dans son pays d'origine, car cela ne s'est encore jamais produit. En effet, son long parcours reste apprécié surtout par les fins connaisseurs de la recherche musicale au Maroc. Ph. Berdardo Baluganti «Je ne fais pas de show-bizz et de pop, je fais des fusions de dance mais avec une vision philosophique, donc les programmateurs que ça intéresse au Maroc ne sont pas ceux qui cherchent à ramener des chanteurs pour afficher complet ou remplir les gradins d'un festival pensé dans une vision de culture de masse.» Nour Eddine Fatty, musicien Aujourd'hui, le maestro se consacre également à l'écriture. Bientôt, il sort en Italie un roman inspiré de son vécu de migrant, co-signé avec une écrivaine sicilienne pour raconter l'histoire et l'expérience croisée de deux étrangers à l'environnement de Rome, et que la ville a vu évoluer en son sein au fil des décennies. Son rêve est de l'éditer au Maroc aussi, en français ou en arabe. «Ce sera l'idéal», lance celui qui veut donner l'espoir au jeunes en leur capacité à arriver seuls à être ceux qu'ils rêvent de devenir.