Longeant une route cahoteuse, dans les contreforts des montagnes du Rif marocain et à 50 Km de Larache, le village Jajouka, oublié des infrastructures les plus courantes, recèle dans ses entrailles les derniers vestiges d'une musique sacrée. Il est détenteur d'un héritage ancestral de 4.000 ans, un héritage que seule la famille Attar, gardienne de la musique sacrée, préserve depuis des siècles. Bachir Attar, membre de cette famille unique de musiciens, jadis placée sous la protection des rois et des sultans marocains, s'acharne à préserver et à présenter la musique Jajouka dans les différentes contrées du monde. En effet, le descendant de la lignée Attar (famille fondatrice du village) se ressource, après les diverses tournées réalisées à New York et à Hong Kong, dans son village natal où le temps s'est arrêté et où seules les visites des pèlerins au saint homme Sidi Ahmed Sheikh ponctuent les journées. La musique Jajouka se compose essentiellement de notes d'instruments traditionnels, dont la Ghaîta (le hautbois arabe), la nire (une flûte de bambou), le gambri (luth à trois cordes), ainsi que le double tambour marocain. Cette composition instrumentale subjugue l'ouïe occidentale. Consécration internationale La séduction musicale qu'inspire l'écoute de la musique Jajouka, Brian Jones (des Rolling Stones) l'a profondément ressentie en 1968, lorsqu'il a accompagné son ami, le peintre et inventeur Brion Gysin, à Jajouka. Le musicien des Rolling Stones enregistra alors sept heures de sonorités complexes et captivantes. Il se noiera un mois après son retour du Maroc et son album, «Brian Jones presents the pipes of pan Jajuka», ne sortira que deux ans plus tard, en 1971. Dès lors, la musique Jajouka se fait connaître à l'échelle internationale et la crue des touristes à Jajouka au cours des années qui suivent en est la preuve. En 1973, le saxophoniste texan Ornette Colman déclarait : «j'ai compris, en écoutant les musiciens de ce village, que pour une fois, j'allais pouvoir jouer ce qui me passait à travers la tête et dans le cœur, sans me soucier de savoir si c'est juste ou non». La fascination qu'opèrent les cycles répétitifs des flûtes et des percussions traditionnelles a notamment séduit Mick Jaegger, Lee Ronaldo, guitariste de Sonic Youth et Talvin Singh, percussioniste anglo-indien. La musique Jajouka, qui relève du patrimoine artistique et culturel marocain,reconnue à l'échelle internationale, semble destinée à l'oubli du public marocain. D'ailleurs Bachir Attar le déclare : «la musique Jajouka a été sauvée par des Occidentaux». En effet Bachir Attar se devait de perpétuer la tradition et c'est en grande partie grâce à des artistes américains et européens qu'il a pu préserver l'héritage de sa famille. En 1988, l'écrivain Paul Bowles, qui appréciait cette musique, encourage Bachir Attar à partir à New York où il s'épanouit et renoue avec les nouvelles compositions occidentales. Il donne plusieurs concerts en Europe avec le saxophoniste jazz Ornette Colman qui, en 1973, a joué avec son père à Jajouka. La musique Jajouka se conjugue subtilement avec les différents genres musicaux : au rock'n roll avec les Rolling Stones, au jazz avec Ornette Colman, à la musique classique avec le London Philarmonic Orchestra (arrangée par Howard Shore pour la musique d'un film), à la musique électronique avec Talvin Singh, sans oublier que Bachir Attar s'est produit avec Arto Lindsay, Bill Laswell, Elliott Sharp, Sonic Youth... Par ailleurs, le Hong Kong Arts Festival qui s'est tenu du 21 février au 17 mars dernier, a connu une collaboration exceptionnelle entre Bachir Attar et la voix féminine de Nabila Baraka, actrice marocaine qui a récemment joué dans le film «Loin» d'André Téchiné. Cette collaboration «extraordinaire» (puisque la musique Jajouka est réservée aux voix masculines) est le fruit d'une grande amitié entre la famille Attar et la famille Baraka, qui organise annuellement le moussem du Sheikh Moulay Abdessalam. Woodstock à la marocaine D'ailleurs Ghizlane Ouazzani, tour-manager du «Master Musicians of Jajouka» et qui a organisé auparavant «Kaftan 2000», supervise les projets de Bachir Attar depuis huit mois. Sa connaissance de la musique Jajouka et son amour pour l'art lui ont permis d'accompagner le travail de la troupe, constituée de 10 personnes. Lors d'un entretien avec la tour-manager marocaine, elle nous a révélé l'intensité de la musique Jajouka et le projet de Festival de musique Jajouka qui aura lieu les 27 et 28 avril prochains dans ce petit village isolé du monde. L'objectif est d'institutionnaliser cette festivité annuelle et d'offrir à un public d'artistes une plate-forme musicale d'échange et de création. “Musique non-stop” est la devise de ce rendez-vous où le public est convié à apporter sacs de couchage et strict minimum au niveau vestimentaire. Ce festival à la belle étoile célèbrera la fête de la musique dans une ambiance conviviale où l'art culinaire marocain sera au menu. L'enthousiasme de Ghizlane Ouazzani est fort contagieux et elle compte, avec «les Maîtres de la musique Jajouka», mener ce projet à terme, bien que l'infrastructure la plus élémentaire (eau potable, électricité, routes...), nécessaire à son organisation, manque cruellement.