Les sages-femmes ne peuvent pas prendre en charge correctement les dames qui accouchent, encore moins sur le plan psychologique. Les accouchements se font parfois à l'aide de la femme de ménage parce qu'il n'y a pas d'aides-soignantes ni d'auxiliaires de puériculture dans les maternités publiques. Fatima a accouché dans un hôpital public d'une grande ville, qui fait une quarantaine d'accouchements par jour dans des conditions lamentables. Les accouchements et les urgences sont assurées par trois voire deux sages-femmes par équipe de 12 heures et un seul médecin gynécologue obstétricien – les congés et absences maladies ne sont pas remplacés. Avec ce nombre d'accouchements, les sages-femmes ne peuvent pas prendre en charge correctement les dames qui accouchent, encore moins sur le plan psychologique. Les accouchements se font à l'aide de la femme de ménage parce qu'il n'y a pas d'aides-soignantes ni d'auxiliaires de puériculture dans les maternités publiques. La sage-femme devrait se débrouiller toute seule. Ce qui engendre des dégâts incontestables, faute de moyens et de volonté politique. Et parmi ces dégâts obstétricaux, les déchirures du périnée des femmes. Mal aidée, ou souvent non aidée, elle doit se débrouiller dans des conditions d'hygiène douteuses pour suturer les plaies occasionnées. Des conditions de travail particulièrement difficiles pour le personnel Fatima est une victime ordinaire de ce dégât quotidien. Depuis son accouchement il y a trois mois, elle n'arrive plus à retenir les gaz et les selles liquides. Une collègue gynécologue lui a conseillé de venir me voir après avoir constaté l'énormité des dégâts occasionnés par le passage du fœtus. Il s'agissait d'une déchirure du sphincter anal et des muscles du périnée non suturés. Et il fallait reprendre tous les plans musculaires et muqueux sous anesthésie générale dans une clinique. La réparation des périnées à distance est toujours plus délicate et douloureuse pour les femmes, c'est pour cela que j'anime depuis des années des ateliers sutures pour que les sages-femmes puissent faire du bon travail après les déchirures. Il y va de la santé physique et sexuelle des femmes. J'en formé presque 600 sages-femmes, mais je suis encore loin du compte. La preuve par Fatima. Rentrant juste du Yémen, si je vous dis que les conditions de travail dans la clinique d'une petite ville sont en-deçà des conditions que je viens de laisser dans un pays en guerre ! C'est juste ahurissant. Des structures ciblées sur le gain, oubliant ainsi l'essentiel : le patient. Formation défectueuse du personnel et matériel désuet… J'ai souffert lors de cette intervention, sans parler du manque de chauffage. Quant à la chaleur humaine, elle n'est qu'un vieux souvenir. L'intervention s'est quand même bien passée. Et quand je suis repassé voir la dame l'après-midi, elle n'avait pas été nettoyée faute d'eau chaude. J'ai demandé qu'on chauffe l'eau à l'ancienne et qu'on puisse laver ses jambes pour qu'elle ne reparte pas chez elle souillée de sang. Bien évidemment, je ne mettrai plus les pieds dans cette structure, qui représente comme tant d'autres une violence supplémentaire pour les jeunes mamans. Après, on se demande pourquoi les Marocains n'ont aucune confiance dans le système de santé, quel que soit les endroits et les acteurs. Et quand ils sont obligés d'y aller, c'est avec une énorme appréhension que je comprends et que je ne pourrais que sentir et partager parce que je me suis toujours mis de l'autre côté de la barrière. Ça a un nom je crois : ça s'appelle l'empathie. Dommage que ça ne puisse pas s'enseigner dans les instituts et universités, mais dans la société.