D'origine marocaine, Rachid Zerrouki est enseignant SEGPA dans un collège à Marseille. Il a accompagné le débat actuellement en cours sur l'enseignement de l'arabe depuis le primaire dans les écoles publiques françaises Alors qu'un rapport de l'institut Montaigne recommande d'enseigner l'arabe à l'école publique pour éviter que les enfants apprennent la langue dans les mosquées, Rachid Zerrouki nous explique que beaucoup optent pour ce choix, essentiellement pour des raisons financières. Il nous donne son avis sur l'introduction plus large de cette langue dans les établissements français, qu'il considère comme un argument valable. L'enseignement de l'arabe ne date pas d'hier. Pourquoi c'est maintenant qu'il créé la polémique ? Il ne date pas d'hier, mais on lui a donné peu à peu sa place. Aujourd'hui, aucun concours de CAPES en arabe n'est ouvert, parce qu'il y a très peu d'établissements qui enseignent l'arabe. Il y a quelques années, ces derniers étaient de l'ordre de 200. Beaucoup de parents qui veulent que leurs enfants apprennent l'arabe ne trouvent pas ces écoles juste à côté de chez eux. La polémique a été créée par le fait que le ministère de tutelle a souligné l'importance de donner du prestige à cette langue et à son enseignement, ce qui veut dire qu'il sera présent dans plus d'établissements. La communication se passe mal également, d'autant plus que beaucoup de gens pensent que l'arabe deviendra obligatoire. Il existe énormément de fake news là-dessus et certains les répandent pour des raisons politiques. L'apprentissage ne sera certainement pas obligatoire et il sera même avantageux, puisqu'il permettra à des populations qui ne sont pas musulmanes de connaître cette langue. Plusieurs Français veulent apprendre l'arabe sans devenir obligatoirement des musulmans. Pourquoi l'introduction d'autres langues ne s'est pas accompagnée d'un débat aussi houleux ? Beaucoup d'établissements proposent l'apprentissage de l'anglais, de l'italien ou de l'allemand. Il faut dire qu'il y a une grande part de racisme dans la polémique qui a accompagné le débat sur l'enseignement de l'arabe. On rattache d'abord ce dernier à la religion, on fait l'amalgame entre islam et terrorisme et en diffusant notamment l'idée qu'arabe et islam vont de pair. Il existe en grande partie une culture commune entre les deux, mais elle n'est pas la seule. L'Indonésie est le pays comptant le plus de musulmans dans le monde, et pourtant, sa population parle peu arabe. Pensez-vous que la fin des ELCO décidée pour cette année et la mise en place des EILE contribuera justement à rendre l'enseignement de l'arabe plus accessible ? On le verra avec le temps. Il y a déjà eu des annonces qui n'ont pas été accompagnées par les actes. J'espère réellement que cette fois-ci, cette politique portera ses fruits. Le but est de rendre l'apprentissage plus accessible. Mais vu toutes les réactions hostiles que nous avons eues, on peut imaginer un retour en arrière. On a fait de la communication sur l'apprentissage de l'arabe, mais il y aura ensuite des pressions et il faudra alors voir comment les institutions réagiront. Je pense toutefois que l'argument d'enseigner l'arabe dans le public pour contrer le fondamentalisme est assez fort. Je peux dire que cette fois-ci, nous sommes sur la bonne voie. En tant qu'enseignant, quels sont les avantages pédagogiques que vous voyez au plurilinguisme, enseignement de l'arabe compris ? Je me fie à des recherches scientifiques démontrant que lorsqu'on apprend une nouvelle langue, on ne perd pas sa langue principale et cela n'agit pas négativement dessus. Même si on commence par apprendre une deuxième ou une troisième langue dès le primaire, cela ne va pas influencer sur l'apprentissage du français. Il existe cela dit un plurilinguisme additif, c'est-à-dire qu'apprendre une deuxième langue permet d'enrichir les deux que nous parlons. Pensez-vous que ce plurilinguisme est bien ancré en France, notamment dans les programmes scolaires ? Je crois que la France a un grand souci avec le plurilinguisme, parce que paradoxalement, on a tendance à parler de la francophonie et à utiliser la langue française partout dans le monde, notamment chez des auteurs arabes qui choisissent d'écrire en français. C'est le symbole d'une ouverture et d'une diversité culturelle, au même moment où nous, à l'intérieur de nos frontières, on donne très peu de place aux langues étrangères. Cela concerne même l'anglais. Je crois qu'en Europe, la France est parmi les pays où la population maîtrise le moins bien cette langue.