L'École marocaine, a montré ses nombreux dysfonctionnements, relevés dans un précédant rapport établi par l'Instance Nationale d'Evaluation (relatif à « la mise en œuvre de la Charte Nationale d'éducation, de formation et de recherche scientifique 2000 – 2013 : les acquis, les déficits et les défis »). Elle se trouve aujourd'hui « interpelée pour un examen de conscience objectif par la plus Haute Autorité de l'Etat et par la nation toute entière », relève le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSERS). Cette interpellation pose des questions majeures graves de savoir pourquoi les réformes successives n'ont-elles pas abouti aux résultats escomptés ? L'explication est-elle au niveau de la conception ou de l'application ? La vision était-elle juste ? Les moyens dévolus étaient-ils suffisants ? Le modèle pédagogique retenu était-il adéquat ? Avait-il été revu et corrigé en fonction de sa confrontation avec la réalité ? Est-ce que le système éducatif disposait d'instruments fiables de suivi, de mobilisation et d'évaluation ? Est-ce que le système éducatif disposait d'une gouvernance et d'un leadership à même de conduire le changement ? Dysfonctionnements Parmi les dysfonctionnements cités par le CSERS on retient : - Les limites du rendement interne de l'École qui se manifestent essentiellement par : - la faible maîtrise des langues, des connaissances, des compétences et des valeurs ; - l'efficacité restreinte des performances des acteurs pédagogiques ; - la persistance des déperditions qui affectent aussi bien les systèmes scolaire et universitaire, que la formation professionnelle ; - les hésitations dans le traitement des problématiques transversales, notamment la question de l'apprentissage des langues et des langues d'enseignement. Parmi les fondements méthodologiques de la « vision stratégique 2015-2030 » du CSERS figurent : - le « choix délibéré de ne pas faire de la vision stratégique un programme opérationnel et technique qui relève des attributions du pouvoir exécutif ; -la considération de la classe comme élément nodal de la réforme, centrant celle-ci sur l'apprenant, l'enseignant, les apprentissages et les conditions de scolarisation, dotant les établissements des moyens nécessaires pour un fonctionnement optimal, construisant une nouvelle relation pédagogique entre l'apprenant et l'enseignant et l'établissement d'un nouveau rapport de ces derniers avec les espaces d'apprentissage ; - la considération de cette vision comme étant progressive, flexible et ouverte aux adaptations et aux enrichissements possibles à la lumière des évaluations et des nouveautés. Réforme éducative stratégique La vision stratégique couvre la période 2015 - 2030. Selon les expériences nationales et internationales, la durée considérée est conforme au temps généralement requis pour une réforme éducative stratégique. L'un des changements projetés à travers la « vision stratégique est le passage d'une pédagogie fondée sur la transmission des connaissances à sens unique, sur le remplissage et sur la mémorisation, à une pédagogie : - qui cible plus l'intelligence en faisant participer l'apprenant à la construction de son apprentissage ; - qui développe l'interaction créative entre l'enseignant et l'apprenant ; - qui favorise le développement de compétences liées au savoir-faire et au savoir-être telles que l'observation, l'expression, la critique, la recherche et la synthèse ; -- qui encourage l'initiative de l'apprenant et développe son autonomie et sa perspicacité à l'ère du numérique et de la profusion des connaissances. Le changement consiste, aussi, en le développement des compétences des apprenants liées à chaque niveau scolaire et de formation. La problématique des langues dans l'école marocaine est abordée à travers le levier 13, intitulé « Maîtrise des langues enseignées et diversification des langues d'enseignement » du chapitre 2 du rapport « Pour une École de qualité pour tous » Rôle des langues dans la qualité de l'apprentissage Le levier 13 comporte des propositions étalées sur les court, moyen et long termes, et constate, au préalable, que les langues ont un rôle capital dans la qualité des apprentissages, dans la réussite scolaire de l‘apprenant et son insertion sociale et professionnelle, dans le rendement interne et externe de l'école et dans la promotion de la recherche. C'est pour mettre en relief ce rôle que la vision stratégique leur consacre un levier entier bien qu'elle les considère comme faisant partie intégrante du modèle pédagogique. Le Conseil considère que la détermination claire de la position et du statut de chaque langue à l'école est un facteur décisif pour améliorer l'apprentissage des langues, établir leur complémentarité et contribuer à développer la cohérence entre les composantes du système éducatif. A propos des langues, le CSERS préconise, qu'il y a lieu de prendre en compte les considérations suivantes : - Langue officielle de l'Etat, la langue arabe constitue l'un des fondements de l'identité marocaine et la première langue de scolarisation. Son développement et la promotion de son utilisation (La Constitution, article 5) dans les différents domaines de la science, de la connaissance et de la vie a été, demeure et demeurera une aspiration nationale (La Charte nationale d'éducation et de formation, article 110). Il est nécessaire, par conséquent, de renforcer son statut, d'assurer son développement, sa modernisation, sa simplification et l'amélioration de son enseignement et de son apprentissage par la rénovation des approches et des méthodes pédagogiques. Développement des acquis en matière d'aménagement linguistique - De même, la langue amazighe est également une langue officielle de l'Etat. Elle constitue le patrimoine commun de tous les marocains et son enseignement à l'École a été introduit en 2003. Il est nécessaire, estime le CSERS, de faire évoluer sa position au sein du système éducatif, selon un plan d'action national clair et conforme aux dispositions de la Constitution. Ce plan devra concerner la consolidation et le développement des acquis en matière d'aménagement linguistique, de formation des ressources humaines et de préparation des ressources didactiques nécessaires à son enseignement. Il devra également prendre en compte la disposition constitutionnelle relative à l'élaboration d'une loi organique appelée à concrétiser le caractère officiel de cette langue ainsi que les modalités de son intégration dans l'enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique. Comme il convient de procéder à une évaluation globale de l'apprentissage de cette langue dans l'enseignement scolaire et des études amazighes à l'université. - Les langues étrangères les plus utilisées dans le monde sont des moyens de communication, d'intégration et d'interaction avec la société du savoir et d'ouverture sur les différentes cultures et les civilisations (La Constitution). Il convient de développer leur enseignement et leur apprentissage dans les différents cycles d'enseignement et de formation et de mettre en œuvre les approches pédagogiques favorisant leur apprentissage précoce. Le dispositif linguistique proposé Le dispositif linguistique proposé doit tendre à la réalisation des objectifs suivants, cités par le CSERS : - La réalisation de l'équité et de l'égalité des chances en matière de maîtrise des langues et de qualité des apprentissages. - La capacité de l'apprenant, à l'issue de l'enseignement secondaire qualifiant, de maîtriser la langue arabe, de communiquer en amazighe et de maîtriser deux langues étrangères au moins, dans le cadre d'une approche progressive qui passe du bilinguisme (arabe + une langue étrangère) au plurilinguisme (arabe + 2 langues étrangères ou plus). - La mise en avant des rôles fonctionnels des langues présentes dans le système éducatif, en matière d'ancrage de l'identité, d'ouverture sur le monde, d'acquisition des connaissances, des compétences et de la culture, de promotion de la recherche, d'insertion socioéconomique et d'intégration culturelle et dans le système des valeurs. - La langue arabe est la principale langue d'enseignement. L'alternance linguistique (*) est mise en œuvre progressivement. L'enseignement de certains contenus ou modules en langue française se fera, à court terme, dans l'enseignement secondaire qualifiant et à moyen terme dans l'enseignement collégial. L'enseignement de certains contenus ou modules en langue anglaise se fera, à moyen terme, dans le secondaire qualifiant. Maîtrise de deux langues par les enseignants - La maîtrise de deux langues par le personnel en charge de l'enseignement, de la formation et de la recherche. Ces derniers sont tenus d'observer le strict usage de la langue d'enseignement de leur discipline formellement prescrite en dehors de tout autre usage linguistique. - La refonte des programmes et curricula d'enseignement de la langue arabe et la rénovation des approches pédagogiques et des outils didactiques en place. L'aménagement de cette langue doit également être renforcé dans la perspective de sa modernisation, de son développement et de sa simplification. - La poursuite des efforts visant l'aménagement de la langue amazighe sur les plans linguistique et pédagogique. - La révision des programmes et curricula relatifs à l'enseignement des langues étrangères conformément aux approches et méthodes nouvelles. - La diversification des langues d'enseignement, notamment par le biais de l'alternance linguistique, pour consolider la maîtrise des compétences linguistiques chez les apprenants et favoriser la cohérence des langues d'enseignement entre les différents cycles scolaires et de formation. Le dispositif linguistique proposé, dont la mise en œuvre devra démarrer à court terme, se décline, selon les différents cycles du système d'éducation et de formation, comme suit : Familiarisation avec la langue arabe et la langue française - Le préscolaire Mise en valeur et utilisation des premiers acquis linguistiques et culturels de l'enfant et familiarisation avec la langue arabe et la langue française. Focalisation sur la communication orale compte tenu de la nature de ce cycle d'enseignement. - L'enseignement primaire La langue arabe : obligatoire à tous les niveaux de ce cycle, en tant que langue enseignée et langue d'enseignement de toutes les matières. La langue amazighe : obligatoire à tous les niveaux de ce cycle, en tant que langue enseignée. Les deux premières années d'apprentissage de cette langue seront axées sur les compétences de communication, avant d'entamer, durant les années suivantes, l'intégration de l'écrit. La langue française : langue obligatoire à tous les niveaux de ce cycle, en tant que langue enseignée. La langue anglaise : intégration en tant que langue enseignée à la 4ème année du cycle primaire. La mise en œuvre de cette orientation devra se réaliser à la fin des dix prochaines années. Ce délai permettra de réunir les préalables nécessaires en matière de ressources humaines et d'outils pédagogiques. Réunir les pré-requis nécessaires - L'enseignement collégial La langue arabe : obligatoire à tous les niveaux de ce cycle, langue enseignée et langue principale d'enseignement. Généralisation progressive de l'enseignement de la langue amazighe. La langue française : langue obligatoire à tous les niveaux de ce cycle en tant que langue enseignée, et, à moyen terme, en tant que langue d'enseignement de certains contenus ou modules. La langue anglaise : langue obligatoire à tous les niveaux de ce cycle en tant que langue enseignée. La mise en œuvre démarrera à court terme et sera généralisée à moyen terme. Ce délai permettra de réunir les pré-requis nécessaires en matière de ressources humaines et d'outils pédagogiques. - L'enseignement secondaire qualifiant La langue arabe : langue obligatoire, langue enseignée et langue principale d'enseignement. Généralisation progressive de l'enseignement de la langue amazighe. La langue française : langue obligatoire en tant que langue enseignée et en tant que langue d'enseignement de quelques contenus ou modules à court terme. La langue anglaise : langue obligatoire en tant que langue enseignée et en tant que langue d'enseignement de quelques contenus ou modules à moyen terme. Création de branches spécialisées dans les langues (littérature, culture et civilisation). Introduction d'une troisième langue étrangère obligatoire, au choix, notamment l'espagnol, en veillant à tenir compte des spécificités et besoins régionaux en matière de langues. Diversification des choix linguistiques offerts - L'enseignement supérieur Diversification des choix linguistiques offerts dans les différentes filières, spécialités, structures de recherche et formations. Ouverture de filières d'études en arabe, français, anglais, et espagnol dans le cadre de l'autonomie des universités, en tenant compte des besoins en formation et recherche et des besoins liés à la régionalisation. Promotion de la recherche scientifique et technique toutes spécialités confondues en langue anglaise. Création de filières de formation et de structures de recherche spécialisées dans les langues arabe et amazighe et dans les langues étrangères. Apprentissage des compétences de communication en arabe et en amazighe dans les instituts de formation des cadres. Intégration d'un module en langue arabe dans les filières utilisant les langues étrangères comme langues d'enseignement et ce, au profit des étudiants marocains. Au niveau de la formation professionnelle Intégration de la langue anglaise en tant que langue de formation dans les spécialités et modules de formation professionnelle, aux côtés des autres langues en place. Adaptation du dispositif linguistique proposé au cours de sa mise en œuvre Le dispositif linguistique proposé reste ouvert à tout enrichissement requis par sa mise en œuvre et à la lumière des évaluations dont il fera l'objet. Les mesures d'accompagnement préconisées Selon le CSERS, l'implantation du dispositif linguistique requiert des mesures d'accompagnement, dont en particulier : L'élaboration d'un cadre national de référence linguistique commun aux langues nationales et étrangères présentes à l'École, permettant notamment de : - Définir des niveaux de référence pour la maîtrise des langues, autour d'indicateurs spécifiques, pour déterminer de manière précise les compétences à atteindre par l'apprenant à la fin de chaque niveau scolaire, universitaire et de formation ; - Faciliter la mobilité des apprenants à l'échelle nationale ou internationale, pour qu'ils puissent poursuivre leurs études dans la langue de leur choix. - Mettre en place un système de certification qui va au-delà du système éducatif, et permet d'apprendre les langues et d'évaluer le degré de leur maîtrise tout au long de la vie. La poursuite de l'aménagement1 des langues arabe et amazighe, à travers : - Le déploiement d'efforts qualitatifs soutenus visant le développement de la langue arabe et la modernisation des curricula, des programmes et des contenus de son enseignement, ainsi que des instruments d'évaluation de sa maîtrise, à travers un aménagement scientifique, pédagogique, culturel, et numérique. - La poursuite du processus d'aménagement de la langue amazighe, initié par l'Institut Royal de la Culture Amazighe. Conseil national des langues et de la culture marocaine - La mise en place de l'Académie Mohammed VI de la langue arabe. - La mise en place du Conseil national des langues et de la culture marocaine, prévu par l'article 5 de la Constitution, en sa qualité d'espace adéquat pour prendre en charge « notamment la protection et le développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines ». L'amélioration de l'enseignement et de l'encadrement pédagogique : le renforcement de la formation initiale et continue des enseignants de langues revêt un caractère capital pour l'amélioration de la maîtrise des langues enseignées et des langues d'enseignement. Cela requiert notamment de : - Combler les déficits en effectifs d'enseignants des langues et de cadres pédagogiques (cadres de la planification et de l'orientation, de l'inspection pédagogique...) ; - Renforcer les capacités linguistiques et professionnelles des enseignants et des acteurs pédagogiques, par la rénovation de la formation initiale et continue, notamment en ce qui a trait aux approches et méthodes pédagogiques nouvelles dans le domaine de l'enseignement des langues et de l'usage des technologies pédagogiques appliquées aux langues ; - Doter les établissements éducatifs de médiathèques offrant des fonds documentaires sur supports papier et numérique, pour consolider la maîtrise de la lecture, de l'écriture et de l'expression, compétences incontournables pour atteindre une bonne maîtrise des langues. Statut des langues dans le système d'éducation Selon le CSE, le statut des langues dans le système d'éducation, formation et recherche scientifique se présente comme suit : - Langue arabe . Langue obligatoire enseignée et langue d'enseignement à tous les niveaux des cycles scolaires . Diversification des choix linguistiques offerts dans les différentes filières, spécialités, structures de recherche et formations dan l'enseignement supérieur et création de filières de formation et de structures de recherche spécialisées - Langue amazigh : . Langue obligatoire dans l'enseignement primaire, en attendant la généralisation dans tout l'enseignement scolaire - Langue française : . Langue obligatoire enseignée dans l'enseignement scolaire . Langue d'enseignement de certains contenus ou modules à partir du collège - Langue anglaise . Langue obligatoire à partir du collège dans un premier temps; puis à partir de la quatrième année primaire . Langue d'enseignement de certains contenus ou modules progressivement à partir du lycée et dans l'enseignement supérieur et la formation professionnelle - Troisième langue étrangère au choix : . Introduction dans le cycle secondaire qualifiant (*) : L'alternance linguistique est définie par le CSERS comme « un outil pédagogique que l'on choisit, dans un enseignement bilingue ou plurilingue, pour perfectionner l'acquisition d'une ou de plusieurs langues en les utilisant partiellement dans l'enseignement de certaines matières. L'alternance linguistique est surtout pratiquée pour la maîtrise des langues étrangères. Encadré Le dispositif linguistique préconisé + L'arabe et le français, langues d'enseignement dans le collégial et le secondaire + L'amazighe, enseigné dans le primaire et généralisé dans le collégial et le secondaire + L'anglais enseigné à la 4ème année du primaire, dans le collégial et langue enseignée et d'enseignement dans le secondaire + L'espagnol, troisième langue dans le secondaire