Il y a près de dix ans, l'expropriation des terres collectives sans rembourser les femmes était monnaie courante. Mais cette situation a changé, depuis que les soulaliyates, victimes de cette inégalité basée sur un droit coutumier, se sont organisées pour faire avancer le débat et les pratiques. Onze ans après s'être constitué pour défendre leur droit aux propriétés terriennes de leurs tribus, un «privilège» alors exclusif aux hommes, le Mouvement des femmes soulaliyates au Maroc peut faire un bilan positif de son action initiée dans la région de Kénitra. En marge de la 21e édition du Festival Gnaoua et Musiques du monde, le Forum des droits de l'Homme axé sur «l'impératif d'égalité» est revenu sur ce sujet, en invitant Rkia Bellout, porte-parole du Mouvement. L'expérience de cette militante est celle des femmes cheffes de famille qui, malgré le fait d'avoir vécu sur les terres collectives, n'ont pas bénéficié de remboursements sur l'expropriation. Ainsi et au cours du Forum, elle est revenue sur ce parcours de combattante, lors de la conférence intitulée «Sociétés en mouvement initiatives en faveur des droits des femmes». Son intervention permet de retracer l'historique du combat des soulaliyates pour bénéficier d'une reconnaissance, au même titre que les hommes. L'expropriation en toile de fond Tout a commencé en 2007, au sein de la tribu Lahdada. Les hommes y ont été remboursés contre l'expropriation de leurs terres collectives, dans le cadre d'un projet routier. Dans le temps, le quotidien Le Matin a alerté que «les délégués de l'assemblée générale de la tribu Lahdada, sous la tutelle du ministère de l'Intérieur, [avaient] recensé tous les chefs de famille qui exploitaient la terre collective appartenant à la tribu et [avaient] procédé à la division de la terre en lots». Et d'ajouter que «dans la distribution des lots, les familles dont les chefs sont des femmes et qui ne [disposaient] pas d'hommes ou de garçons âgés de 16 ans au moins, n'[avaient] pas bénéficié des lots ou de l'argent, malgré leur appartenance à la jamaâ». C'est autour de Rkia Bellout que les cheffes de familles lésées se sont alors réunies en lançant une pétition, soutenue par 1 100 femmes et 390 hommes. L'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) s'est saisie du dossier, qualifiant d'«inadmissible» une telle éviction «des femmes qui ont toujours vécu sur ces terres». Dans la foulée, une lettre ouverte a été adressée au ministère de l'Intérieur, appelant notamment à annuler les inégalités basées sur le droit coutumier de la tribu. Justement, ce dernier prévoit que «seuls les hommes chefs de famille ont droit aux indemnités ou aux lots». Depuis, «les choses ont beaucoup changé» Titulaire d'une licence en droit et fonctionnaire retraitée du ministère des Finances, Rkia Bellout se remémore ses dix ans de combat avec satisfaction. Elle en fait part à Yabiladi : «De 2007 à aujourd'hui, les choses ont beaucoup changé. Avant cette date-là, nous avons été complètement exclues. Par la suite, nous avons essayé de faire bouger les choses, mais il faut dire que nous nous sommes confrontées à de grandes difficultés. Nous avons frappé à plusieurs portes, notamment du côté des associations. Certaines nous ont dit que cette question ne rentrait pas dans leur champ d'actions. D'autres nous ont confié que nous nous attaquions à un sujet très épineux. C'est auprès de l'ADFM que nous avons trouvé un réel soutien.» Pour la militante, «la presse a tout autant été derrière ces femmes, car c'est grâce à elle que la situation des soulaliyates a été rendue publique». A travers cette dynamique encadrée par l'ADFM, des formations ont été organisées pour faire connaître à ces cheffes de familles le cadre juridique national et international qui garantit leurs droits. Dans ce sens, notre interlocutrice nous rappelle que «le droit coutumier n'en est pas un». Elle le considère comme étant «un système qui permet à l'homme de conserver ses privilèges, sans obligations sur ses responsabilités». Depuis, les femmes concernées «n'ont plus peur de dénoncer l'exclusion dont elles ont longtemps fait l'objet», nous confie encore Rkia Bellot. «Le fait que nous ayons été écoutées par toutes les membres de l'ADFM, depuis le premier jour, nous a été d'un véritable soulagement et a constitué un dénouement pour la situation des soulaliyates, car le changement de notre situation a commencé à partir de là», souligne-t-elle. Grâce à l'ONG, le Mouvement des femmes soulaliyates a pu trouver un répondant auprès des autorités compétentes, dont le ministère de l'Intérieur «qui a réagi positivement à ces revendications, avant la réforme constitutionnelle de 2011 (consacrant l'égalité dans son article 19, ndlr)». L'égalité n'est pas un droit entièrement acquis Pour Rkia Bellot, cette première reconnaissance a été concrétisée à travers la 'circulaire 60' dans la région de Kénitra, appelant à reconnaître à ces femmes-là leur droit de remboursement sur les propriétés collectives. Une étape charnière sur laquelle elle revient : «L'ADFM a ensuite mené plusieurs actions pour que cette circulaire soit généralisée sur tout le territoire du Maroc. Au lendemain des manifestations du Mouvement du 20 février et après la réforme qui a constitutionnalisé l'égalité, le ministère de tutelle a donc émis la 'circulaire 17' en mars 2012 qui a confirmé ce principe pour les soulaliyates.» Au cour de la même période, une jurisprudence a tranché en faveur de l'indemnisation de ces femmes. La décision est devenue une référence historique en matière de lecture égalitaire de l'arsenal juridique marocain. Si Rkia Bellot s'en félicite, elle insiste sur le fait que rien n'est encore acquis. En effet, ni cette jurisprudence, ni le principe de l'égalité ne sont forts d'un cadre juridique garantissant leur applicabilité. La militante nous le rappelle : «Ce travail n'est pas encore accompli dans sa totalité. Un projet de loi arrivé actuellement au Secrétariat général du gouvernement, relatif à l'égalité totale entre hommes et femmes dans leurs droits, doit être bientôt publié. Ceci renforcera davantage ce principe constitutionnel, afin qu'il ne reste plus uniquement un étendard, mais qu'il devienne une pratique concrète et quotidienne.»