La nouvelle constitution marocaine consacre l'officialisation de la langue amazighe. Un nouvel acquis que les militants amazighophones, encore sceptiques, attendent de voir traduit dans la pratique. Officialiser la langue amazighe suppose de grands changements au sein de la société marocaine et pour les ressortissants marocains à l'étranger. C'est l'une des plus grandes nouveautés apportées par la nouvelle constitution : l'officialisation de la langue amazighe. Dès l'article 5 du préambule de la loi fondamentale largement approuvée le 1er juillet, il est inscrit que «l'amazighe constitue une langue officielle de l'Etat, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception». La langue amazighe rejoint ainsi l'arabe au rang de langue officielle du royaume. Une officialisation synonyme de consécration pour les militants amazighs qui, depuis les années 1960, luttent pour la reconnaissance de l'amazighité du Maroc. «Sur le plan psychologique, l'officialisation signifie la reconnaissance de jure de l'amazighité ; ceci génère un sentiment de fierté légitime, de dignité retrouvée, de réconciliation avec nous-mêmes et entre nous-mêmes, le sentiment, enfin, d'appartenir à part entière à la nation marocaine», s'exclame Ahmed Boukouss, recteur de l'Institut Royal de la Culture AMazighe (IRCAM). Dès l'arrivée au Maroc du vent de révolte populaire venu du monde arabe, le Mouvement amazigh a saisi l'occasion et milité aux côtés des Jeunes du 20 février pour exiger des réformes politiques et sociales dans le royaume. Leur mobilisation a permis de parvenir, aujourd'hui, à l'officialisation de la langue amazighe. Toutefois, les militants restent très vigilants et mobilisés car cette officialisation demande beaucoup de temps pour entrer réellement en pratique. La constitution précise qu'une «loi organique définit le processus de mise en oeuvre du caractère officiel de cette langue». Au sein du Mouvement culturel amazigh, on attend de voir «comment cette officialisation sera-t-elle effective dans la société et dans l'administration», explique Mohammed Moussayir, membre du Mouvement. Scepticisme Cette étape-là sera, sans nul doute, très laborieuse, au vu de toutes les nouveautés qu'elle implique dans la vie des Marocains. L'officialisation de l'amazigh, renseigne Ahmed Boukouss, va permettre de créer «les conditions de l'inclusion effective de la langue et de la culture amazighes dans les politiques publiques, en matière d'éducation, d'information, de culture, d'administration et de gouvernance démocratique». Cela suppose, précise le juriste Jad Sriri, «l'obligation de traduire toutes les lois, tous les jugements, l'ensemble des actes administratifs dans cette langue». Une situation qui risque de conduire à des différences dans l'interprétation d'un même texte, tout en nécessitant un investissement conséquent. Un autre biais important suscite le scepticisme des Amazighs, le fait «de consacrer deux paragraphes distincts à chacune des langues et d'utiliser des formulations qui laissent la porte ouverte à plusieurs interprétations», objecte Meryam Demnati, chercheure et membre fondateur de l'Observatoire amazigh pour les droits et les libertés. A ses yeux, cette séparation laisse à penser qu'une fois encore, il y a une relation hiérarchique entre une première langue officielle, l'arabe, et une deuxième, l'amazighe et que la nouvelle constitution divise les Marocains en deux catégories de citoyens bien distinctes.». Elle préfère tout simplement la formulation qui aurait figuré sur la première version remise par la Commission Ménnouni : «Les deux langues officielles du Maroc sont : l'arabe et l'amazighe.» Noms amazighs L'officialisation de l'amazighe remet également à l'ordre du jour un vieux débat : le problème de la reconnaissance par la loi de certains noms amazighs. Jusqu'à présent, les parents amazighophones ont du mal à donner à leurs nouveau-nés des noms comme Bahac, Damya, Diyia, Mayssa, ou encore Guraya, Yuba, Ijja, Aderfy, Amzin, Idir. Ces noms sont également interdits sur les registres de mariage et de décès. Et pour cause, la loi No. 37-99, stipule que le nom choisi par la personne qui déclare la naissance «doit être marocain par nature et ne doit être ni un nom de famille, ni un nom constitué de plus de deux prénoms». De même, il «ne doit pas être le nom d'une ville, d'un village ou d'une tribu» et surtout «il ne doit pas être tel qu'il soit susceptible de troubler la moralité et l'ordre public». Seulement, des noms ayant parfois une signification propre en amazigh ont du mal à passer auprès de la Haute Commission pour le Statut Civil, basée au ministère de l'Intérieur et qui statue sur cette question. Depuis 2003, une centaine de noms amazighs a ainsi été rejetée. La donne va-t-elle changer avec une constitution qui prévoit la création d'un Conseil national des langues et de la culture marocaine chargé de la protection «des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d'inspiration contemporaine» ? En toute logique, refuser un prénom jugé trop amazigh et pas assez arabe devient anticonstitutionnel. Au niveau du Mouvement culturel amazigh, on estime que cette question ne devrait même pas se poser. L'amazigh, officielle à l'étranger ? Eriger l'amazighe en langue officielle, à l'instar de l'arabe, suppose de généraliser son enseignement dans toutes les écoles du pays et de l'intégrer dans le programme national de lutte contre l'analphabétisme. Les enfants des Marocains résidant à l'étranger bénéficient, dans le cadre de conventions signées entre le Maroc et certains pays d'accueil, de cours d'arabe dans les écoles publiques. L'amazigh devrait le rejoindre, à son tour. Actuellement, il est enseigné aux enfants des MRE uniquement par le biais d'associations de MRE. Une convention avait été signée dans ce sens entre le ministère de la Communauté marocaine à l'étranger et l'IRCAM en novembre 2010. L'amazighe sera-t-elle introduite dans les écoles publiques des pays d'accueil des MRE ? A l'IRCAM on estime que «normalement», elle devrait rejoindre l'arabe. Les conditions sont déjà «réunies», ajoute le recteur de l'IRCAM. Les curriculum, les manuels d'enseignement-apprentissage, les guides pédagogiques et les supports didactiques sont prêts. Toutefois, le personnel enseignant fait défaut. Cet article a été précédemment publié dans Yabiladi Mag n°9