Le «brain drain» pèse sur les économies maghrébines, déjà affaiblies par des taux de chômages élevés et des paramètres sociaux et culturels parfois contraignants. Le marché du travail marocain amputé de ses talents ? Certes pas tous, mais il faut dire que la fuite des cerveaux, recensée de manière générale au Maghreb depuis trois décennies, prive le royaume de précieuses compétences. En 2014, 17% des diplômés marocains de l'enseignement supérieur émigraient, d'après le Arab Knowledge Report, élaboré par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Fondation Mohamed Bin Rashid Al Maktoum. «Les étudiants du supérieur ne sont généralement pas parmi les plus pauvres ou les plus exclus du pays, mais à un certain moment l'émigration apparaît à ces personnes, appartenant plutôt aux classes moyennes, comme une réponse possible au manque d'avenir qu'ils ressentent dans leur pays, voire comme la seule issue», estime Sébastien Duhaut, consultant chez Altaï Consulting, dans un rapport intitulé «Les dynamiques d'inclusion/exclusion de la jeunesse en zone Méditerranée» (avril 2017), élaboré pour l'Agence française de développement (AFD). Décalage culturel et professionnel «A un moment donné, je voulais vraiment rentrer au Maroc, retrouver mon pays. J'ai cherché des offres qui pourraient éventuellement me correspondre, notamment en termes de salaire et d'entreprise, mais je n'ai rien trouvé», témoigne Sara Lyamani, consultante en organisation et systèmes d'informations en région parisienne, contactée par Yabiladi. «Quand j'entends les expériences de Marocains installés en France qui sont rentrés au pays pour travailler, ça ne donne pas envie. La réalité marocaine me bloque, c'est sûr», tranche la jeune femme. Au marché de l'emploi pas aussi séduisant qu'en Europe, s'ajoute un éventail universitaire peu étoffé, estiment d'autres compatriotes. «Quelle est l'offre de formation dont dispose le Maroc ? Il y a clairement un écart entre les cursus accessibles en France, et plus généralement en Europe, et ceux proposés au Maroc», observe Amine Abaoui, ingénieur chez NGE, groupe français de travaux publics. Ce diplômé de l'Ecole nationale des ponts et chaussées avance un autre facteur, plus intime : «Il y a des composantes sociales, culturelles, voire idéologiques, qui jouent. Beaucoup d'étudiants marocains ont évolué dans le système français ; ils ont des réflexes, des remarques qui peuvent être décalés par rapport au dogme culturel dominant au Maroc.» Un prisme occidentalisé qui contraste avec les us et coutumes en vigueur au royaume. «L'adaptation à l'environnement n'est pas toujours idéale ; il y a une quête de soi qui nous pousse vers d'autres horizons, vers une liberté dans les mœurs, une liberté de conscience, de culte. Or, le système marocain n'offre pas ces libertés-là, du moins pas avec suffisamment de recul comme c'est le cas en France ou ailleurs», argumente Amine Abaoui. En 2012, plus de 850 000 Maghrébins diplômés de l'université vivaient dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), rappelait RFI – principalement des médecins, des ingénieurs et des titulaires de master. A cela, il fallait ajouter 100 000 étudiants du Maghreb venus obtenir un diplôme étranger. Neuf sur dix étaient Algériens ou Marocains.