«La rumeur n'en est pas une finalement. L'ouverture des frontières entre l'Algérie et le Maroc interviendra le 2 juin prochain, selon des sources très au fait des décisions qui se prennent dans la haute sphère de l'Etat.» Malgré ses sources, La Voix d'Oranie n'a fait qu'alimenter une fausse rumeur. Les gouvernements ont démenti, la date butoir est passée. Un point sur le contexte régional depuis fin 2010 marqué par des dynamiques contradictoires. Le 15 mai, le quotidien algérien La Voix d'Oranie semble détenir le scoop de l'année : l'ouverture des frontières entre le Maroc et l'Algérie est annoncée pour le 2 juin. L'article fait écho à des rumeurs qui circulent depuis peu, notamment sur Facebook. Le groupe «Urgent : la réouverture des frontières maroco-algériennes», en lien avec le site Maroc-algerie.com - il héberge une pétition en ligne avec plus de 30 000 signatures pour la réouverture des frontières - avait avancé la date du 17 mai pour l'ouverture. «Les familles séparées depuis 17 ans des deux côtés des frontières maroco-algériennes auront bientôt la possibilité de vivre les moments de retrouvailles. La date de la réouverture de ces frontières est prévue pour le 17 mai prochain. La fête doit s'organiser déjà dans les deux pays frères. Une date que les deux pays voisins vont fêter dorénavant ensemble.» Les deux dates sont passées, sans que l'évènement ait lieu. Les rumeurs ont été si insistantes que le premier ministre algérien s'est vu obligé de réagir, avant même le 2 juin. «L'ouverture de la frontière n'est pas à l'ordre du jour», a déclaré Ahmed Ouyahia, le 29 mai. Pourquoi ces rumeurs, et pourquoi maintenant ? Le printemps arabe et le rapprochement Maroc-Algérie Depuis le début de l'année 2011, de nouvelles dynamiques de rapprochement entre les deux pays maghrébins ont été observées à plusieurs niveaux sociétaux. Malgré «l'exception marocaine» prônée par les autorités marocaines dès le début des contestations en Algérie et en Tunisie, de jeunes Marocains ont suivi de près ce qui se passait dans les pays voisins. Une solidarité maghrébine est apparue dans les commentaires Facebook, et un Réseau marocain pour le soutien du mouvement démocratique au Maghreb a notamment été créé à Rabat. Ensuite, le Mouvement du 20 février a vu le jour, inspiré de l'exemple tunisien. Une des réponses des Etats marocain et algérien à cette solidarité maghrébine a été de la reprendre à leur compte, en mettant l'accent sur la nécessité de renforcer l'intégration régionale. Dans une intervention sur France24, Taïeb Fassi Fihri, ministre marocain des Affaires étrangères, a insisté sur le renforcement de l'Union du Maghreb Arabe (UMA), expliquant que «ce qui s'est produit en Tunisie n'aurait pas eu lieu, si cette Union, du reste incontournable, existait.» En visite en Tunisie en mars dernier, Hillary Clinton, secrétaire d'Etat des Etats-Unis, a soutenu ces efforts, demandant par ailleurs que le Maroc et l'Algérie négocient directement pour résoudre le conflit au Sahara. Preuve que les Etats-Unis s'intéressent au dossier Maroc-Algérie et non pas seulement au Sahara. «Des pressions fortes sont exercées par les Etats-Unis sur l'Algérie et le Maroc», assure Francis Ghilès, chercheur au CIDOB de Barcelone et spécialiste des relations entre pays maghrébins. Le dégel ? Début mars, à peine deux semaines après la sortie de Taïeb Fassi Fihri au sujet de l'intégration régionale, Amina Benkhadra, ministre marocaine de l'Energie, des Mines, de l'Eau et de l'Environnement s'est rendue à Alger début mars, pour initier avec son homologue algérien le projet d'un nouveau gazoduc entre le Maroc et l'Algérie, destiné au marché marocain. Une nouvelle de taille, s'il venait à se réaliser. D'autres ministres ont fait le déplacement, de part et d'autre, notamment le ministre algérien de l'Agriculture et du Développement rural, M. Said Barkat, en visite au Maroc mi avril. Les matches éliminatoires pour la Coupe d'Afrique des nations entre le Maroc et l'Algérie, à Annaba, en Algérie, en mars et à Marrakech, le 4 juin, ont aussi été l'occasion de visites ministérielles. En mai, des rumeurs ont fait état d'une prochaine rencontre entre Taïeb Fassi Fihri et son homologue algérien, Mourad Medelci. Ce dernier a affirmé, en avril, que les frontières entre son pays et le Maroc ne seraient pas éternellement fermées. Même le président algérien s'est exprimé en dans des termes quasi-élogieux sur le Maroc. «Le Maroc est un pays voisin et frère», a affirmé Abdelaziz Bouteflika, le 17 avril, à Tlemcen, ajoutant que «le problème du Sahara occidental est un problème onusien», et qu'entre la Maroc et l'Algérie, il n'y avait «aucun problème». Enchainement direct avec l'ouverture des frontières ? Face au rapprochement affiché entre le Maroc et l'Algérie, les mois d'avril et de mai ont été propices aux rumeurs. A celle véhiculée sur Facebook du 17 mai, et celle dont la Voix d'Oranie est à l'origine, s'est ajoutée une autre, entendue à la radio marocaine. Le 27 mai, la frontière devait être temporairement ouverte pour les supporters algériens qui allaient assister au match Maroc- Algérie du 4 juin à Marrakech. Une ouverture temporaire, comme celles qui se sont opérées à deux reprises pour des convois humanitaires à destination de Gaza, en 2009 et 2010. Le ministère des Affaires étrangères marocain a démenti ces rumeurs. «Aucune demande ou déclaration officielle n'a été adressée au Maroc à ce sujet», a rapidement indiqué une source ministérielle. De plus, l'ouverture de la frontière serait «une question fondamentale» qui n'est pas en lien avec ce match de foot. Les supporters algériens ont dû finalement prendre l'avion pour se rendre à Marrakech. Alger dément, Rabat «surpris» Avant de partir, ils ont eu droit à une déclaration de leur Premier ministre, effaçant tout espoir d'ouverture. «L'ouverture de la frontière n'est pas à l'ordre du jour», a-t-il déclaré, le 29 mai, en conférence de presse. Des «déclarations de l'agence officielle marocaine» sur une implication de «l'Algérie dans l'envoi de mercenaires en Libye, dans l'envoi d'armes en Libye» ne seraient «pas des facteurs qui aident à l'ouverture de la frontière», ajoute-t-il en guise d'explication. La réaction marocaine ne se fait pas attendre. Le Ministère des Affaires Etrangères (MAE) déplore «le recours, par Alger, à des arguments injustifiés pour maintenir le statu quo», indique un communiqué, le 1er mai. Le MAE trouve «surprenantes» les déclarations du Premier ministre algérien, «à la fois sur le fond et le timing». Question timing, la MAP, agence de presse mise en cause par Ouyahia, a poursuivi sur sa lancée. Un jour après la déclaration du Premier ministre, elle a publié une nouvelle dépêche sur l'implication de l'Algérie en soutien à la Libye, intitulée «L'Algérie tente de fournir des chars aux forces de Kadhafi (The Independent).» Une valse saccadée Cet épisode montre que Maroc et Algérie ne dansent toujours pas sur le même rythme. Au final, le printemps arabe semble devoir rester, à court terme, sans incidence sur l'ouverture des frontières. Dans un premier temps, les décideurs politiques des deux pays ont semblé avoir compris l'urgence du rapprochement entre le Maroc et l'Algérie. Un second pas, des rumeurs à droite et à gauche ont accéléré la danse, mais le troisième, mal ajusté, a freiné l'élan. Après un court interlude, l'épouvantail du Maroc (et de l'Algérie) est donc remis à sa place, la cacophonie entre les gouvernements reprend. Cet article a été précedemment publié dans Yabiladi Mag n°8