L'image de ces garçons endormis dans les filets du port de pêche de Nador est révélatrice. Un nombre exceptionnellement élevé de jeunes Marocains cherchent effectivement à passer en Espagne cette année. Ils sont déjà plusieurs centaines à avoir réussi. Certains ont atteint Paris. Il y aura bientôt autant d'enfants marocains non accompagnés en Espagne qu'au plus fort de la crise migratoire de 2006. Fin juin 2017, le ministère espagnol de l'Emploi et de la sécurité sociale comptabilisait 3 374 mineurs étrangers non accompagnés, soit près de 60% de plus que l'an dernier, contre 4 400 en 2005, selon une étude de l'UNICEF intitulée «Migration en Espagne des enfants non accompagnés : cas du Maroc». Près de 600 sont arrivés cette année, selon José Carlos Cabrera, spécialiste de la migration des mineurs non accompagnés et premier médiateur interculturel d'Andalousie. Parvenus à Ceuta et Melilla, ils rejoignent les centres d'accueil pour mineurs qui leur sont dédiés. «Aujourd'hui, il y a 550 enfants à Melilla quand le centre peut en accueillir moitié moins !», s'indigne un membre de l'Association des Marocains résidant à Melilla, qui avait ouvert un centre pour les enfants des rues en novembre dernier. Parmi eux, certains parviennent à rejoindre la péninsule cachés dans des camions de marchandises et poursuivent leur route en Europe. En début d'année, les Parisiens découvraient quelques dizaines d'entre eux sniffant de la colle et vivant de rapine, dans le square Alain Baschung du 18e arrondissement. En août, ils étaient entre 60 et 80 dans les rues de la capitale, selon l'association Hors la Rue chargée par la mairie de leur venir en aide. «Un spectacle très habituel dans la région» Pour 600 parvenus en Europe, combien d'autres restent bloqués au nord du Maroc ? «Actuellement, près de 250 enfants et adolescents marocains errent dans la région de Nador. Cet été, on en a recensés près de 300», décrit le président de l'Association des Marocains résidant à Melilla. Aussi exceptionnel qu'il soit, le phénomène n'est pas nouveau, insiste Azouz Boulagdour, chargé des questions migratoires au sein de l'Association Thissaghnasse pour la culture et le développement (Asticude) : «Depuis des années, des enfants viennent de tout le pays dans la perspective d'atteindre l'Espagne. Ils essaient de passer cachés dans des bus ou des camions de marchandises à destination de Melilla. A Nador, il est fréquent de voir des petits groupes de 3 ou 4 enfants déambuler dans la rue. Près du poste-frontière, ils mendient de l'argent, un peu d'eau en attendant une occasion. La police marocaine les chasse régulièrement pour les éloigner. C'est un spectacle très habituel dans la région, particulièrement l'été où les enfants dorment dehors parce qu'il fait doux la nuit.» Ces enfants et adolescents viennent de tout le nord et le centre du royaume : Fès, Meknès, Oujda, Béni Mellal, Casablanca… «La plupart du temps, ils ont bien une famille - souvent pauvre - qu'ils abandonnent pour leur rêve européen. A l'origine, ce ne sont donc pas des enfants des rues, mais le problème c'est qu'ils le deviennent ! Ils traînent dans les rues et sniffent de la colle, sont victimes de violences et forment des proies faciles pour toutes les mafias», s'alarme Azouz Boulagdour. Récemment, beaucoup de jeunes ont quitté Moulay Bousselham, apparemment bien loin des côtes espagnoles. En fait, une partie du système global de surveillance maritime espagnol (SIVE) a cessé de fonctionner depuis plus d'un an, saboté par les trafiquants de drogue. Un itinéraire plus long mais «fiable» s'est alors ouvert aux candidats à l'émigration, expliquait José Carlos Cabrera dans un entretien accordé au site d'information El Espagnol le 26 août dernier. Parmi eux, des enfants. Aujourd'hui, l'ampleur exceptionnelle du phénomène de l'émigration d'adolescents marocains vers l'Europe s'inscrit dans un contexte global, lui-même exceptionnel avec le retour, cette année, de la route marocaine dans la carte migratoire méditerranéenne et la reprise de l'émigration irrégulière marocaine. Le nombre de migrants parvenus en Espagne par le Maroc pourrait à la fin 2017 avoir retrouvé le niveau du tout début des années 2000.