L'histoire officielle retient surtout les deux célèbres coup d'Etat contre feu le roi Hassan II. Mais une autre tentative visait à assassiner le roi à l'intérieur de son palais. Durant les mois de juillet et août de l'année 1963, l'UNFP, Fqih Basri, Moumen Diouri, Omar Benjelloun ou encore Abderrahmane Youssoufi feront la Une de plusieurs journaux marocains et étrangers. Deux ans seulement après l'intronisation du roi Hassan II le 3 mars 1961, le ministre de la Justice, Ahmed Bahnini annonce en août 1963 que le royaume vient de déjouer un complot contre le jeune monarque. L'Union socialiste des forces populaires (UNFP), Mehdi Ben Barka, Abderrahmane Youssoufi et Mohamed Fqih Basri sont alors désignés comme cerveaux du putsch. Pour certains d'entre eux, ce n'est pas la première fois que le régime les montrent du doigt. Nous sommes le 15 décembre 1959. Après des arrestations dans les rangs du Parti communiste du Maroc (PCM), Abderrahmane Youssoufi alors directeur et rédacteur en chef du quotidien Attahrir et Mohamed Fqih Basri sont arrêtés pour avoir «publié les résolutions du dernier congrès de l'UNEM (Union nationale des étudiants du Maroc, ndlr) et surtout d'avoir envisagé (…) un gouvernement désormais responsable devant le peuple et non plus devant le roi», rapporte Maurice Buttin, dans son ouvrage «Hassan II, de Gaulle, Ben Barka. Ce que je sais d'eux» (édition Karthala, 2010). El Youssoufi est alors libéré après 15 jours. Moins chanceux, Fqih Basri n'est relâché qu'après six mois. Fqih Basri voulait assassiner Hassan II dans sa chambre à coucher ? Quarte ans plus tard, une annonce d'un «complot contre le roi» surprend l'opinion publique nationale et internationale. Le 16 juillet 1963, alors que le Comité central de l'UNFP est en pleine réunion pour asseoir le boycott des élections municipales, le lieu de la rencontre est encerclé par les autorités. Des participants, à l'instar d'Abderrahim Bouabid et Abderrahmane Youssoufi sont alors arrêtés et emmenés au commissariat du Maârif. Le 18 juillet de la même année, la Direction générale de la sécurité nationale publie un communiqué annonçant la découverte d'un complot préparé depuis plusieurs années pour porter atteinte aux «valeurs sacrées» du pays, raconte pour sa part Maâti Monjib dans son article intitulé «Le Complot de Juillet 1963». Les arrestations se poursuivront jusqu'au 15 août, date à laquelle le ministre de la justice Ahmed Bahnini annonce que les interpellations interviennent suite à un complot déjoué contre le jeune monarque. «Le ministre reçoit donc instruction du Roi de réunir les journalistes pour leur donner quelques explications», raconte Maurice Buttin avant de paraphraser Ahmed Bahnini. «L'enquête préliminaire est aujourd'hui terminée (…) Le complot tendait à l'assassinat du Roi à l'intérieur de son palais (…) puis à s'emparer du pouvoir aussitôt après.» Au Micro, Abderrahmane Youssoufi, à sa droite Mohamed Fqih Basri et à sa gauche, Mehdi Ben Barka. / Ph. wikipedia Dans son article, Maâti Monjib rapporte que plusieurs militants de la future Union socialiste des forces populaires (USFP) «seront sauvagement torturés comme Abbass El Kabbaj». «Plusieurs détenus sont conduits au sinistre centre secret Dar Al Mokri près de Rabat (…) Les agents de la redoutable Brigade Spéciale (alias Cab 1) font endurer à leurs victimes non seulement les affres de la torture physique la plus abominable mais également des sévices psychologiques adaptés à la mentalité marocaine», poursuit-il. «Le ministre de la Justice affirme que le cerveau du complot est Fqih Basri. Celui-ci est secondé par Youssoufi chargé de contacts avec les complices étrangers. Selon le même ministre, Moumen Diouri assurait la liaison entre le groupe Cheikh Al Arab et le groupe Basri et Omar Benjelloun était chargé de l'armement du groupe. L'acte d'accusation précise que Basri avait même personnellement demandé au capitaine Medbouh (futur putschiste) le plan du palais de Rabat et des précisions sur la chambre à coucher d'Hassan II.» Peine de mort pour Basri, prison avec sursis pour Youssoufi Au total, 102 accusés issues de l'UNFP, dont d'anciens membres du Conseil national de la résistance et d'anciens résistants sont officiellement arrêtés. Certains «sont en définitive mis en liberté, faute de trouver quoi ce soit à leur encontre, bien souvent, hélas, après avoir subi les pires sévices et tortures», raconte Maurice Buttin. Le 30 octobre, l'instruction de l'affaire est terminée. Les accusés sont renvoyés devant la Chambre criminelle à Rabat. Le procès n'aura lieu qu'au printemps de 1964. Le verdict sera ainsi rendu le 14 mars 1964 : Fqih Basri, Omar Benjelloun et Moumen Diouri sont condamnés à mort. Mehdi Ben Barka et Cheik Al Arab sont condamnés à mort par contumace. Quant à Abderrahmane Youssoufi, «contre qui une peine de quinze années de réclusion avait été sollicitée par le procureur», il bénéficiera d'une peine de deux ans de prison avec sursis. «Apaisement voulu par Hassan II dans le climat tendu de l'époque ou reconnaissance d'un faux complot ?», s'interroge l'historien français. Une question à laquelle il n'apporte toutefois pas une réponse. Feu le roi Hassan II en compagnie d'Aberrahmane Youssoufi. / Ph. DR Les avocats des détenus vont ester devant la Cour suprême qui rejettera le recours, rendant les condamnations définitives le 12 mai 1964. Le 11 août 1964, à l'occasion de la Révolution du roi et du peuple, le monarque commuera en «détention perpétuelle» les condamnations à mort contre Basri, Diouri et Benjelloun. En avril 1965, ces trois bénéficieront de l'amnistie générale à tous les prisonniers politiques accordée par feu le roi Hassan II. Fqih Basri choisira en 1966 l'exil volontaire avant de regagner le Maroc en juin 1995. Leader de la gauche marocaine décédera le 14 octobre à Chefchaouen. Un complot contre l'UNFP ? Maâti Monjib préfère, quant à lui, parler d'un «complot» contre l'UNFP. «L'affaire est politique et non sécuritaire : Il s'agit ni plus ni moins de casser un parti qui a prouvé lors du scrutin législatif que son éloignement du pouvoir et des médias d'Etat ne l'a pas suffisamment affaibli», argue-t-il. En réalité, l'universitaire marocain, auteur de «La Monarchie marocaine et la lutte pour le pouvoir» (Editions l'Harmattan, 1992) évoque surtout la constitution du Front pour la défense des institutions constitutionnelles (FDIC) d'Ahmed Réda Guédira le 20 mars 1963 à Casablanca, moins de deux mois avant le scrutin législatif. «Un autre événement qui prépare l'affrontement du régime et de l'UNFP», estime-t-il. Le FDIC est sans doute la toute première formation politique qu'on peut communément appeler parti de l'administration. Feu le roi Hassan II recoit Raymond Tournoux de Paris-Match en janvier 1968. / Ph. GI Avec 69 sièges raflés lors des élections de 1963, la formation politique de l'ami du roi Hassan II constituera l'ossature du premier gouvernement parlementaire présidé par Ahmed Bahnini. Mais dès avril 1964, Guédira fondra le Parti socialiste démocrate en réponse aux manigances du Mouvement populaire d'El Mahjoub Aherdane. L'opposition, avec l'Istiqlal et l'UNFP adoptera par la suite une attitude offensive : Motion de censure contre la politique économique du gouvernement du 15 juin 1964, tentative de socialisation de l'économie marocaine ou la demande de session extraordinaire. L'opposition va même jusqu'au point d'impliquer, pour la première fois, le roi dans la gestion des sessions parlementaires. Cette expérience parlementaire particulière prendra fin notamment avec les événements de mars 1965.