Une crise sociopolitique qui se déclenche dès mars 1965 provoque plusieurs émeutes entre Marocains et forces de l'ordre, faisant des centaines de morts. La situation poussera feu le roi Hassan II, monarque alaouite depuis à peine quatre ans, à décréter l'état d'exception le 7 juin 1965. Une première dans l'histoire du Maroc contemporain. Histoire. Officiellement intronisé le 3 mars 1961 pour devenir le 23e souverain alaouite, feu Hassan II marque les premières années de son règne en élaborant le projet de Constitution de 1962. Faisant appel à des juristes et politologues de renom, à l'instar de Maurice Duverger, le texte fondateur est publié le 18 novembre de la même année pour être ensuite soumis à un référendum constitutionnel le 7 décembre 1962. Une année plus tard, des élections législatives sont organisées et le Maroc se dote d'un Parlement dès 1963. Toutefois, en juin 1965, le roi Hassan II déclarera l'Etat d'exception, une première dans l'histoire du Maroc. La dissolution du Parlement dotera le jeune souverain des pouvoirs législatifs et exécutifs. Un état d'exception dicté par l'échec de l'expérience parlementaire... Nous sommes en 1956, le Maroc venait de décrocher son indépendance. Chez les partis politiques, on observe notamment une «situation d'attentisme». «Les forces politiques marocaines (…) reflétaient un consensus autour d'un mot d'ordre 'monarchie constitutionnelle' et aspiraient à ouvrir le pays à une vie démocratique à base de séparation des pouvoirs et d'institutions représentatives élues», écrit le professeur universitaire marocain Mohammed Kharchich. Dans son article intitulé «L'expérience parlementaire (1963-1965) et la transition politique au Maroc», le chercheur décrit ensuite la situation politique du pays au lendemain de la Constitution de 1962, qui «réalise un certain compromis entre le trône et les partis». Des femmes marocaines aux urnes pour voter lors des législatives de mai 1963. / Ph. Mémoires du patrimoine marocain Les législatives de 1963 annoncées par un discours du roi datant du 17 avril de la même année, la campagne électorale est alors marquée par une vive polémique entre les partis de l'opposition, soit l'Istiqlal et l'Union nationale des forces populaires (UNFP) et le Front pour la défense des institutions constitutionnelles (FDIC) d'Ahmed Réda Guédira. Aucune formation politique n'obtiendra par la suite la majorité absolue, rendant la mission de la formation d'un gouvernement presque impossible, raconte Mohammed Kharchich. «La formation majoritaire (FDIC, 69 sièges), qui eut la faveur des 6 élus sans étiquette, forma l'ossature du premier gouvernement parlementaire présidé par Ahmed Bahnini. La première session se déroula quasi calmement, la déclaration de la politique générale du Premier ministre, l'établissement du règlement intérieur et la vote de la loi de finance donnèrent lieu à certaines escarmouches.» Des dissensions éclateront aussi au sein du FDIC, poussant Guédira à fonder, en avril 1964, le Parti socialiste démocrate en réponse aux manigances du Mouvement populaire d'El Mahjoub Aherdane. «Profitant du manque d'harmonie entre le gouvernement et sa majorité», l'opposition adopta une attitude offensive. Motion de censure contre la politique économique du gouvernement du 15 juin 1964, tentative de socialisation de l'économie marocaine ou la demande de session extraordinaire. L'opposition va même jusqu'au point d'impliquer, pour la première fois, le roi dans la gestion des sessions parlementaires. Cette expérience parlementaire particulière prendra fin notamment avec les événements de mars 1965. ...Mais aussi par grogne sociale et le climat tendu Sur un autre front, l'opposition ardue au régime du roi était aussi menée par l'Union national des étudiants du Maroc (UNEM). Un congrès organisé en août 1963 appelait explicitement au renversement du pouvoir d'Hassan II. L'activité syndicale estudiantine a été même étendue aux lycées. Le 19 février 1965, Youssef Belabbès, alors ministre de l'Education nationale, signe une circulaire ministérielle interdisant aux élèves âgés de plus de 16 ans l'accès aux classes du lycée. Une des premières causes du soulèvement estudiantin du 23 mars 1965. La révolte des élèves a été lourdement réprimée par les balles des éléments des Forces armées royales (FAR). Plusieurs disparitions et décès étaient alors à déplorer. Au Parlement, l'UNFP saisira l'occasion pour appeler à la formation d'une commission d'enquête sur ces événements. Les autorités refuseront par la suite de permettre à cette commission de se déplacer sur les lieux des affrontements. Le Parlement du Royaume du Maroc, dans les années 1960. / Ph. Mémoires du patrimoine marocain Dans ce climat tendu entre majorité et opposition, trône et citoyens, feu le roi Hassan II attendra le 7 juin de l'année 1965, pour déclarer l'état d'exception et dissoudre le Parlement via le Décret royal n°136-65 datant du 7 safar 1385. «Louange à Dieu seul ! Nous, Amir Al Mouminine, Roi du Maroc, vu la Constitution, considérant le message que Nous avons adressé à la Nation et après consultation du président de la Chambre des représentants et du président de la Chambre des conseillers, décrétons (…) l'état d'exception» à compter du 7 juin 1965 à 20h30, énonçait le Dahir royal. Le monarque fait aussi appel à l'article 35 de la Constitution qui lui confère les pleins pouvoirs législatif et exécutif. Mais si l'UNFP reste silencieuse au lendemain de ce Dahir, suite à des pourparlers organisés avec le Palais quelques mois auparavant, l'Istiqlal (PI) n'a pas manqué de crier au scandale, dénonçant un «coup de force anticonstitutionnel et mortel pour la démocratie». Hassan II, un roi et... un chef du gouvernement L'état d'exception marque alors le début d'une autre étape du règne de feu le roi Hassan II. D'abord, l'enlèvement à Paris, le 29 octobre 1965, de Mehdi Ben Barka, leader de la gauche et la crise franco-marocaine qui s'en est suivie. Une tension qui montera d'un cran avec les accusations formulées à l'encontre du général Mohamed Oufkir et le colonel Ahmed Dlimi. L'événement marque aussi la fin de la lune de miel entre le Palais et l'UNFP. En mars 1967, le roi annonce une prochaine réforme de la Constitution. Il formera un nouveau gouvernement qu'il présidera personnellement tout en délégant une partie des compétences à Driss M'hammedi, son directeur de cabinet, nommé Premier ministre par la suite et surtout à Mohamed Oufkir, ministre de l'Intérieur depuis 1964, qui verra ses prérogatives s'élargir. La même année est marquée par la répression générale : D'abord, les journaux du PI et de l'UNFP dont les directeurs sont arrêtés pour «atteinte à l'ordre public». Ensuite, l'interdiction, le 28 juillet, du congrès de l'UNEM, les grèves estudiantines de 1968. En juillet 1970, l'état d'exception est levé avec l'annonce de nouvelles élections législatives lors d'un discours royal. Feu le roi Hassan II lors du discours annonçant la fin de l'état d'exception. / Ph. Mémoires du patrimoine marocain Un an plus tard, en 1971, le Maroc est sous le choc après le «coup d'Etat de Skhirat» puis le «coup d'Etat des aviateurs» en 1972, premier et deuxième coups d'Etat militaires contre le régime de Hassan II.