Du nouveau dans l'affaire du jugement de 123 millions de dollars rendu au Maroc en 2009 et dont la cour fédérale du Texas avait rejeté l'exécution l'année dernière. La Cour d'appel vient de statuer, estimant la justice marocaine «assez fiable», pour que ledit jugement soit exécuté aux Etats-Unis. La Cour d'appel américaine ne partage pas l'avis de la cour fédérale du Texas sur l'état de la justice marocaine. «Le système judiciaire marocain ne présente pas un cas exceptionnel de «grave injustice» qui rend l'ensemble du système fondamentalement injuste et incompatible avec une procédure régulière», a indiqué la Cour d'appel mercredi 30 septembre, estimant qu'il n'y a aucune raison de rejeter aux Etats-Unis un jugement rendu au Maroc il y a bientôt six ans. Pour mémoire, la justice texane avait refusé -en août 2014- d'exécuter un jugement rendu le 31 décembre 2009 au Maroc, condamnant le célèbre homme d'affaires américain John Paul DeJoria à verser 123 millions de dollars à la joint-venture MPE/MFM (Maghreb Petroleum Exploration (MPE) et le fonds d'investissements Mideast Fund for Morocco Limited) suite à l'affaire Talsint (fausse découverte d'un gisement de pétrole). Le tribunal texan s'était appuyé sur l'article 36.005 (a) (1) de la Loi sur la reconnaissance d'un jugement étranger au Texas, lequel autorise le rejet si «le jugement a été rendu en vertu d'un système dépourvu de tribunaux ou de procédures impartiales, compatibles avec les exigences d'une procédure régulière de la loi». Selon les explications de la Cour d'appel, «l'utilisation de procédures compatibles avec les exigences d'un procès équitable» est le seul principe à vérifier. «Les procédures étrangères n'ont pas à se conformer aux rigueurs traditionnelles d'une procédure régulière américaine pour répondre aux exigences de la force exécutoire en vertu de la loi», soutient le juge en chef Carl E. Stewart. «Les jugements équitables au Maroc ne sont pas impossibles» Pour justifier la non-reconnaissance du jugement rendu au Maroc, DeJoria faisait valoir que le système judiciaire marocain est composé de juges redevables au roi et manque donc d'indépendance. Mais pour la Cour d'appel, cet argument ne tient pas la route. «Conformément à la constitution marocaine, le Maroc est une monarchie exécutive dirigée par un roi qui sert de chef suprême. […] Il a l'autorité finale sur la nomination des juges.», indique la Cour, citant un rapport de la Banque mondiale et soulignant que les preuves de l'exercice d'influence par le roi n'existent nulle part dans le dossier de justice. La Cour fait état de plusieurs rapports qui ont effectivement dénoncé le «manque d'indépendance totale» de la justice marocaine vis-à-vis du pouvoir, ainsi que la «soumission [des juges] à l'influence, particulièrement dans les cas sensibles». Elle a également reconnu la manifestation des 1000 juges en 2012 qui réclamaient plus d'indépendance. «Bien que cette preuve ait conduit le tribunal de district à constater l'incompatibilité du système judiciaire marocain avec les exigences d'une procédure régulière, nous concluons que cela ne présente pas l'image entière» de la justice marocaine, indique les juges de la Cour d'appel. Ils tiennent pour preuves le même rapport de l'Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) sur lequel John Paul DeJoria s'est appuyé pour réclamer la non-exécution du jugement marocain. Ce rapport souligne en effet que Rabat «a fait de la réforme judiciaire l'un de ses principaux objectifs» et qu'il «fait des progrès vers la construction d'un Etat tributaire de l'état de droit». Témoignages Par ailleurs, la Cour d'appel rapporte le témoignage d'Azzedine Kabbaj -un avocat ayant exercé pendant 35 ans- selon lequel les juges marocains passent au préalable un test d'admission et suivent une formation spécifique de deux ans. D'après l'homme d'expérience, le système marocain «met l'accent» sur la fourniture d'«informations réelles» aux accusés lors des procès, tient compte des nombreux défis liés à la désignation des experts, et donne aux accusés la possibilité de faire appel après un premier jugement. La Cour cite également le témoignage d'Abed Awad - professeur adjoint à l'Ecole de droit de l'Université Rutgers (New Jersey)- affirmant que les procédures suivies dans les tribunaux commerciaux marocains sont similaires à celles suivies par les tribunaux américains. Elle note également que le cabinet d'avocats de l'expert de John Paul DeJoria a bel et bien décris le système judiciaire marocain comme «adhérant aux normes internationales». «Sur la base de tout cela, nous ne pouvons accepter que le système judiciaire marocain manque d'indépendance à tel point que les jugements équitables sont impossibles», tranchent les juges américains. D'après eux le cas du Maroc ne peut être assimilable à l'Iran ou au Libéria dont certains jugements ont été rejetés aux Etats-Unis, en raison de l'état du système judicaire pendant les périodes de trouble dans les deux pays.