L'ambassade des Etats-Unis d'Amérique à Rabat a été le théâtre, ce mercredi 11 juillet, d'une visioconférence sur le thème du «Rôle du système judiciaire dans la lutte contre la corruption», une problématique très sensible d'actualité, pas seulement au Maroc, mais aussi dans les démocraties avancées, y compris au pays de l'oncle Sam. C'est dire que les travers constatés en matière d'indépendance des magistrats et des tentations d'enrichissement par voie illicite, continuent de susciter bien des polémiques. Eclairage en exclusivité dans La Gazette du Maroc, d'une passionnante table ronde entre un parterre de magistrats, d'avocats et de professeurs universitaires marocains de Rabat et de Casablanca, mis en relation directe avec Chicago, pour débattre, en toute transparence et franchise, de la corruption au sein des systèmes judiciaires, avec Le Juge Diane P. Wood de la Cour d'Appel des Etats-Unis, pour le septième circuit. C'est à un Mohamed Benhammou, qui n'a rien perdu de sa vivacité intellectuelle, que revint la lourde charge d'animer dans les temps impartis, un aussi vaste débat mettant en scène de nombreux acteurs, en vue des Barreaux des deux capitales, des juges institutionnels et judiciaires, des magistrats actifs dans l'associatif et d'autres intervenants de marque, qui ont vraiment relevé le niveau des échanges de tables rondes, comme sait l'orchestrer l'ambassade pilotée par le diplomate Thomas Riley. Et c'est avec beaucoup de précision et de clarté que le président Benhammou, en charge du Centre Marocain des Etudes Stratégiques (CMES) lança la séance en rapprochant, d'emblée, la magistrate Diane P. Wood de l'assistance, pour en faire connaissance. Titulaire de deux diplômes universitaires de l'université du Texas, elle a démarré sa carrière comme Assistante du juge Irving L. Goldberg du cinquième circuit et du juge Harry A. Blackmun de la Cour Suprême fédérale des Etats-Unis. Après un passage par le Département d'Etat en charge des affaires d'investissement international, anti-trust et transfert des technologies, elle a ensuite exercé dans plusieurs fonctions importantes, notamment sur les litiges commerciaux. Professeur des études légales internationales à l'université de Chicago, elle remplit, entre 1993 et 1995, les fonctions d'Assistante Générale de la Division Anti-trust du ministère de la Justice et de Responsable de la Division internationale d'appel et des affaires politiques légales. Diane Wood devint juge à la Cour d'Appel américaine pour le septième circuit en 1995 et ses nombreuses recherches sont orientées sur la procédure civile fédérale et le commerce international, ainsi que l'anti-trust. Elle est âgée de 57 ans et a enseigné dans les trois spécialités évoquées précédemment. «La corruption dans le système judiciaire se traduit par la mauvaise utilisation du pouvoir, pour servir des intérêts personnels», c'est en ces termes que le juge Diane Wood a lancé les «hostilités» en soulignant que la grande démocratie américaine n'est guère épargnée par les «ripoux» intervenants dans l'acte judiciaire. Des exemples, elle en a cités où des juges ont été soumis à des poursuites criminelles et d'autres magistrats «coffrés» pour avoir touché des pots-de-vin, intéressant même des affaires relevant des peines de condamnation à mort. Et ce n'est pas en garantissant la séparation des pouvoirs, autrement dit l'indépendance des juges, que la justice est rendue pour autant. C'est pour cela que la magistrate de Chicago a fortement préconisé de «spécifier avec exactitude la notion d'indépendance du pouvoir judiciaire, qui ne doit pas signifier automatiquement des dérapages vers l'arbitraire». Indépendance et intégrité des magistrats Et, pour ce faire, elle a attiré l'attention sur la nécessité impérieuse de mettre en pratique le code des mesures préventives, destinées à assurer une sélection rigoureuse des magistrats, de promouvoir leur sens de la responsabilité et de la discipline, d'améliorer leurs conditions de vie et de travail et de garantir la transparence des affaires et l'équité des jugements. En clair, pour que la justice triomphe, et soit en mesure de réaliser les conditions favorables d'une «Justice pour tous», Diane Wood a préconisé fortement de respecter scrupuleusement les dispositions du Code de conduite, énumérant les obligations auxquelles sont tenus les magistrats américains. Concrètement, les juges doivent maintenir l'intégrité et l'indépendance du système judiciaire, rendre des verdicts impartiaux et diligents, s'interdire toute activité politique et déclarer régulièrement leurs revenus. Et la séparation des pouvoirs, qu'en est-il exactement? Ce n'est pas toujours le cas, mais le système est bien rôdé pour se maintenir à l'écart de toutes les interférences ou influences du pouvoir politique ou législatif. «Je suis vraiment choquée lorsque des membres du Congrès (Parlement américain) tentent d'intervenir pour influer sur le cours des instructions ou des jugements». Me Saâdia Belmir, président de la Chambre à la Cour Suprême et conseillère du ministre de la Justice, a tenu à «épingler» tous les coupables de corruption intervenant, outre les juges, dans l'acte judiciaire, qu'il s'agisse de la Police judiciaire, des experts, des fonctionnaires de l'administration Judiciaire, des avocats et autres. Bref, tout le monde y passe dans des proportions, naturellement, ne mettant en cause que les acteurs malhonnêtes et les agents véreux. De son côté, l'Association casablancaise pour la défense de l'indépendance des magistrats, a fortement revendiqué une séparation du pouvoir judiciaire d'avec l'Exécutif et le Législatif. «Il faut d'abord garantir l'indépendance réelle et effective du juge, pour espérer qu'il soit intègre et ne soit pas dépourvu de personnalité et d'autorité», a souligné le responsable de cette ONG. En proposant comme remède à cette problématique d'indépendance de la justice que «Le Maroc doit adopter un système de sélection plus efficace, en ouvrant l'accès au système judiciaire à des magistrats jouissant d'un très haut niveau d'instruction et de culture générale». En écho, le professeur Universitaire de Rabat, Mohamed Chtatou, a recommandé que tout soit mis en œuvre, pour «crédibiliser le système judiciaire marocain». Le professeur Universitaire Benhammou, a axé son intervention sur le phénomène de la «globalisation de la corruption, dont les dimensions transnationales portent gravement atteinte au double processus de transition démocratique et d'un développement économique sain et socialement responsable». Tandis que le juge Mohamed Benalilou de la Division des Affaires pénales spéciales au Département de la justice marocaine, a tenu le langage de la transparence : «nous reconnaissons l'existence de la corruption dans le système judiciaire et à tous les niveaux, mais ce fléau ne concerne pas exclusivement la famille de la magistrature». Avant de relever que «la corruption n'est pas nécessairement liée au salaire, mais c'est surtout une question de valeur morale». Quant au juge d'instruction Jamal Serhane, «les causes des défaillances, c'est toujours autrui que l'on ne connaît souvent pas».