Quatorze ans après, l'affaire Talsint fait encore parler d'elle. La Cour fédérale du Texas a refusé d'exécuter un jugement de 123 millions de dollars prononcé par la justice marocaine dans une affaire opposant des partenaires dans ce projet d'exploration pétrolière qui restera à jamais grâvé dans les mémoires. Explications. La décision est tombée ce mercredi 13 août. La cour fédérale du Texas n'exécutera pas le jugement rendu au Maroc dans l'affaire opposant la société Maghreb Petroleum Exploration (MPE) et le fonds d'investissements Mideast Fund for Morocco Limited (MFM) au milliardaire américain John Paul Dejoria, rapporte le Washington Post. Tous sont partenaires d'une joint-venture fondée au Maroc dans le cadre du fameux projet d'exploration pétrolière Talsint, détaille la décision de justice rendue par le juge James R. Nowlin. Tout commence entre 1998 et 2001, période au cours de laquelle John Paul DeJoria, un illustre homme d'affaire américain s'enrôle dans ledit projet par l'intermédiaire de la société américaine Skidmore Energy dont il est actionnaire. Celle-ci voulant étendre ses activités, met le cap sur le royaume chérifien dont elle estime le potentiel pétrolier très important, explique le document de la Cour. C'est ainsi que DeJoria, séduit par l'idée et rassuré par l'implication du Pouvoir chérifien y injecte des fonds. C'est alors que Skidmore constitue une société de droit marocain, Lone Star Energy Corporation qui sera plus tard rebaptisée Maghreb Petroleum Energy. Celle-ci a pour principale activité le développement des ressources pétrolières. Pour s'assurer du soutien en haut lieu, la société américaine s'associera avec MediHolding SA, une société appartenant au Prince Moulay Abdellah Alaoui, un cousin du roi Mohammed VI. Les premières tensions entre associés En mars 2000, Lone Star signe avec l'Etat marocain un accord d'investissement de 150 millions de dollars, dans lequel la société consent à investir dans la prospection d'hydrocarbures en échange de l'obtention de concessions de droits miniers ainsi que d'autres avantages. A noter que les activités de forage concernaient trois puits. Après avoir assisté en juin au dîner offert en l'honneur du roi Mohammed VI à la Maison Blanche, John Paul DeJoria se rend au Maroc en juillet où il rencontre personnellement le souverain en présence du prince Moulay Abdellah Alaoui, ainsi que Mohammed Benslimane (beau-frère de Moulay Hicham). Ensemble, ils discuteront de la nécessité pour Lone Star de mobiliser plus de financement afin de garantir l'avancée rapide du projet d'exploration. Skidmore disait aux potentiels investisseurs qu'il avait lui-même investi 27,5 millions de dollars dans Lone Star et que la valeur de la société à ce moment là avoisinait déjà les 175,75 millions de dollars. Sur cette base, le fonds d'investissement Armadillo devenu MFM consent à y injecter 13,5 millions de dollars en échange de 50% des parts de Skidmore et 50% de tous les actifs de la société, y compris les licences d'exploration. C'est juste après la conclusion de cet accord que le 20 août 2000, le roi Mohammed VI fera l'annonce de la prétendue découverte d'un important gisement de pétrole qui restera à jamais gravée dans les esprits. Après la douche froide, en 2002, MPE/MFM porte plainte contre sept de ses anciens partenaires dont DeJoria, pour avoir frauduleusement gonflé la valeur de la joint-venture afin de les pousser à y investir. Le 31 décembre 2009, un tribunal marocain prononce son jugement en faveur de MPE/MFM condamnant John Paul DeJoria et un autre investisseur à lui verser 122,9 millions de dollars. Incompatibilité avec la loi du Texas, non-indépendance des juges vis-à-vis du Pouvoir au Maroc, ... la Cour fédérale donne ses raisons Mais près de cinq ans plus tard, le juge Nowlin explique que la Cour fédérale ne peut exécuter le jugement marocain, et ce, pour plusieurs raisons. La première évoquée est que ledit jugement n'aurait pas été rendu selon "un système de tribunaux impartiaux et des procédures compatibles" avec la justice texane. Celle-ci décrie la "non-indépendance des juges" au Maroc qui seraient, selon elle, "susceptibles d'être sous la pression des membres de la famille royale", en référence au rapport de l'USAID sur "la règle de loi au Maroc" publié en septembre 2010. En outre, indique la note judiciaire, 'les juges marocains ne sont pas indépendants et sont susceptibles d'être sous la pression de la famille royale". La même source évoque également les arrêts de publications du quotidien "Le Journal" (ndlr : il s'agit en réalité de Assahifa) en 2007, qui seraient le résultats d' "intimidation de la part du Pouvoir qui -selon le juge américain- n'aurait pas souhaiter rendre public le véritable rôle qui était le sien dans l'affaire Talsint". Quatorze ans après le mirage de Talsint, le contentieux continue àfaire parler de lui jusqu'aux Etats-Unis. C'est dire tous les dégâts causés par ce projet qui avait fait rêvé plus d'un. Aujourd'hui encore, Maghreb Petroleum Exploration opère toujours au royaume, grâce à son contrat avec l'Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM).