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Pourquoi la pédophilie est-elle si peu condamnée au Maroc ?
Publié dans Yabiladi le 21 - 12 - 2014

L'UNICEF a publié le 18 décembre une étude sur les violences sexuelles à l'encontre des enfants. A l'exception des affaires les plus médiatiques ou impliquant des étrangers, les peines prononcées par les juges contre les pédophiles sont souvent très réduites. Le code pénal, mais aussi la clémence des juges et la société sont en causes.
«La principale cause, selon les acteurs, reste l'impunité et le laxisme judiciaire à l'égard des abuseurs : décisions judiciaires et sentences inadéquates sans commune mesure avec la gravité des infractions», établit l'étude de l'UNICEF sur les violences sexuelles à l'encontre des enfants au Maroc, rendue publique le 18 décembre. Bien sûr il y a le Britannique Robet Bill et ses 20 ans de prison, condamné en avril, mais il y a aussi cet épicier marrakchi, condamné à 2 ans de prison pour «attentat à la pudeur» en juillet, alors qu'il avait été surpris au moment où il s'apprêtait à violer un petit garçon. Pourquoi les peines pour violences sexuelles sur un enfant sont-elles généralement si faibles ?
Le code pénal marocain date de 1969 et les articles concernant les violences sexuelles contre les enfants n'ont été modifiés qu'en 2004 pour faire passer l'âge de la majorité de 15 à 18 ans. Le code pénal réprime "tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violences sur la personne d'un mineur de dix-huit ans de l'un ou l'autre sexe" et avec violence quel que soit l'âge, ainsi que "l'acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci".
Pas de "viol" sur un homme dans la loi
Pour l'UNICEF cette législation est beaucoup trop succincte : l'attentat à la pudeur n'est pas défini, «le viol est considéré comme un attentat aux mœurs et non comme une infraction contre les personnes et sa définition fort restrictive [uniquement d'un homme sur une femme, ndlr] nécessite une révision ; à sanction égale de dix à vingt ans, le viol d'un garçon est qualifié d'attentat à la pudeur avec violence ; un enfant exploité sexuellement dans la prostitution peut être jugé coupable et placé en institution»
«Comment peut-on encore envisager un attentat à la pudeur avec ou sans violence, alors qu'il s'agit d'un acte violent en soi ? Cette différenciation permet au coupable selon l'appréciation du juge de comparaître soit devant un tribunal de première instance ou soit devant une Cour d'appel. Cela explique en partie la légèreté de certaines peines», estime Najat Anwar, président de l'association Touche pas à mon enfant.
«Les peines prévues par la loi ne sont pas inférieures à celles encourues en Europe, mais le code pénal permet de descendre au-dessous du minimum prévu pour l'infraction par le jeu de divers mécanismes d'individualisation de la peine notamment les circonstances atténuantes (qui d'après le code sont laissées à l'appréciation du tribunal, à charge de motiver sa décision). Ce n'est donc pas la loi qu'il faut critiquer si les peines prononcées sont légères mais l'indulgence des juges», souligne la juriste Michèle Zirari Devif.
Les mariages de mineures multipliés par 2 en 10 ans
Les juges interprètent en moyenne la latitude offerte par la loi pour minimiser les peines des violeurs, de la même façon qu'il l'utilise pour autoriser le mariage des mineures. Ainsi le code de la famille exige que les époux soient majeurs, mais donne la possibilité aux juges dans certains cas exceptionnels laissés à leur appréciation d'autoriser le mariage d'une mineure. «Constituant une forme de violence sexuelle, les mariages précoces enregistrent une nette progression au Maroc. En 2013, 35 152 actes de mariage ont été conclus contre 18 341 actes en 2004, soit une progression de 91,6%», atteste le rapport de l'UNICEF. Les juges acceptent ainsi dans la quasi-totalité des cas de marier les adolescentes.
La réponse à la question «pourquoi les juges sont-ils aussi permissifs ?» se situe peut être dans la question elle même. Les juges permettent ce que la société permet. Comment considérer comme inacceptable d'exercer des violences sexuelles contre un enfant, quand dans bien des villages isolés de montagne, il est normal de marier une fillette de 13 ans ?
Ce qui est considérée comme une violence inadmissible est en fait fonction des sociétés et des époques. «Dans la société française, les viols ou les attouchements sexuels sur les enfants ont longtemps été tolérés, rappelle Marie-France Morel, président de la Société d'histoire de la naissance. Pour plusieurs raisons : la promiscuité entre adultes et enfants est générale (y compris la nuit) et on ne connaît pas les conséquences à long terme de ces actes : on pense que l'enfant oubliera. Si l'enfant est plus âgé, et s'il s'agit d'une fille (cas le plus fréquent), on la soupçonne fréquemment d'avoir été une séductrice ; donc la honte de l'acte rejaillit sur elle. »
Les produits d'un contexte social
Une situation qui rappelle beaucoup le Maroc contemporain décrit pas l'UNICEF dans son rapport. «L'ancrage insuffisant de la culture des droits de l'enfant et la résistance du patriarcat en dépit de nouvelles dispositions normatives mettant la famille sous la responsabilité des deux époux, constituent autant de facteurs favorisant la violence sexuelle à l'encontre des enfants. Ces derniers se manifestant par le peu de valeur accordée à la parole de l'enfant, la violence tolérée ainsi que les châtiments corporels encore admis en tant que mode d'éducation, les perceptions largement répandues qu'à partir d'un certain âge l'enfant n'est plus victime mais plutôt coupable […]. »
En France, le changement s'est opéré dans les années 80. «Dans les années 70, le célèbre animateur télé Bernard Pivot avait invité sur son plateau Gabriel Metzneff véritable théoricien de pédophilie. Nous sommes passés ensuite à un hyper criminalisation de la pédophilie. Aujourd'hui un pédophile, c'est pire qu'un meurtrier, pire qu'un terroriste», complète Alain Molla.
Pour Nezha El Ouafi, le rapport de la société à la violence sexuelle contre les enfants est déterminé par le contexte social et économique global du pays. «Au Maroc, beaucoup d'enfants restent sans protection, abandonné par leur famille. Nous réunissons trop de conditions favorables à la pédophilie. Dans les grandes villes, leur vulnérabilité est instrumentalisée : ils mendient, se prostituent …», estime Nezha El Ouafi, députée PJD. «L'éducation nationale n'a pas donné de sensibilité aux droits de l'enfants, alors que vous trouvez, à chaque feux rouge, des fillettes qui mendient. Cette image est banalisée et les hommes sont les produits de cette réalité.»


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