Il était beaucoup question de délocalisations vers le Maghreb ces dernières semaines, notamment en France et surtout concernant les centres d'appel. Perçues comme «problème», elles peuvent cependant constituer une chance aussi bien pour la rive sud que pour la rive nord de la Méditerranée. Et même être à l'origine d'un renouveau important d'activités économiques. Le syndicaliste Michel Müller le disait cette semaine : vouloir empêcher à tout prix les délocalisations de centres d'appel français vers les pays du sud méditerranéen, tel que le conçoit Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'Emploi, n'est pas dans l'intérêt des travailleurs français. Jean Brice Garella, PDG du groupe textile Garella, se joint indirectement au syndicaliste, évoquant ce vendredi. 6 août dans les pages des Echos que dans le textile, le pourtour méditerranéen offrait d'énormes opportunités au prêt-à-porter français. Alors qu'ils évoquent deux secteurs différents, les deux insistent ainsi pour un même objectif : faire de la Méditerranée non pas une mer qui sépare deux régions du monde, mais qui rapproche ces deux régions pour créer un nouveau pôle économique euro-méditerranéen. Un projet qui, par son ambition et sa clairvoyance sur le long terme mettrait à mal les exclamations populistes de nombreux hommes et femmes politiques européens se retranchant sur des discours de «patriotisme économique» parfois très protectionnistes. Une plus forte intégration du bassin méditerranéen pourrait profiter à de nombreux secteurs économiques, même si c'est de différentes manières. Concernant le textile, il est aujourd'hui largement dépendant de la production en Asie, notamment en Chine et en Inde. Les performances asiatiques en matière de baisse des prix de production sont difficilement réalisables autre part. Mais M. Garella note que le «sourcing», l'approvisionnement dans les pays méditerranéens pouvait tout de même avoir de nombreux avantages, en commençant par l'aspect environnemental. L'aspect écologique (et sanitaire) gagnant en importance pour le secteur, notamment à travers une réglementation plus stricte, les entreprises asiatiques pourraient devenir moins concurrentielles. De plus, les consommateurs finaux s'intéressent davantage au respect des travailleurs – un dossier sur lequel la Chine n'a pas bonne presse. Si le salaire horaire minimal au Maroc est seulement de 0,88 euros, ce montant serait tout de même plus de trois fois plus élevé qu'en Chine (0,25 euros). En Turquie, un salarié serait assuré de gagner au moins 1,76 euros par heure, selon Garella. Un avantage comparatif donc en termes d'image, sans que les acheteurs aient a craindre une trop grande inflation des prix... Autre aspect important pour une meilleure image du secteur : le travail des femmes. Garella estime que dans des pays tels que la Turquie ou le Maroc, l'emploi dans le textile peut être un moyen d'émancipation (économique) des femmes, aspect qu'il ne constate pratiquement pas en Chine. Coté pratique, le problème de la langue se pose beaucoup moins autour de la Méditerranée qu'avec les pays asiatiques, ce qui peut éviter de nombreux malentendus entre partenaires commerciaux. Et de manière plus générale, Garella rappelle qu'une proximité culturelle existe autour de la Méditerranée, qui faciliterait également les échanges. Grâce à une politique volontariste en matière de formations communes, le spécialiste du prêt-à-porter considère que le bassin méditerranéen peut aussi être une source importante de compétences, de jeunes créateurs «qui évoluent dans le respect d'une culture méditerranéenne». De jeunes entrepreneurs qui constituent «le berceau du 'sourcing' textile de demain». Par conséquent, Garella estime que «la Méditerranée est la chance du textile français». Ce qui est vrai pour ce secteur l'est également pour d'autres. Comme l'expliquait, en avril, Jean Louis Guigou, délégué général de l'IPEMED, des délocalisations intelligentes, loin de détruire l'industrie nationale, peuvent assurer des emplois et notamment ceux à forte valeur ajoutée. Il citait l'exemple allemand et les nombreuses délocalisations vers l'Europe de l'est, qui auraient permis de garder la compétitivité des exportations allemandes mais qui feraient aussi progressivement monter les salaires et le niveau de vie dans les pays de l'est. Selon Guigou, l'Allemagne a ainsi «suivi une stratégie gagnante qui la place dans une situation structurelle plus favorable que la plupart des pays d'Europe de l'Ouest», notamment la France, qui semble pourtant persister dans la condamnation pure et simple des délocalisations. Le plan d'action contre les délocalisation des centres d'appel qu'annonçait Laurent Wauquiez témoigne de la difficulté qu'ont les politiques françaises d'accepter le fait que certaines activités économiques sont mieux faites ailleurs. Qu'il peut y avoir complémentarité entre pays en voie de désindustrialisation et pays à main d'œuvre abondante et bon marché, entre pays qui peuvent fournir à l'Europe des marchandises bon marché mais qui importent également davantage de produits finis dans les pays comme l'Allemagne et la France. Selon Guigou, développer cette complémentarité est même primordial si l'Europe veut garder sa place en tant que puissance économique mondiale. Bien sûr, un secteur du textile européen qui voit en la Méditerranée une alternative à la Chine et pour qui le Maroc, par exemple, peut être une occasion de rapprocher une partie de sa production n'est pas dans la même situation que les centres d'appel qui ne sont pas encore tellement touchés par les délocalisations. Une suppression de postes en France peut dans ce cas faire effet de choc, ce que les politiques tentent d'endiguer. Les déclarations de Laurent Wauquiez en sont un exemple. Cependant, si l'on accepte l'idée de la complémentarité, il serait beaucoup plus judicieux d'aller de l'avant et, par exemple, de tourner les assises des centres d'appels annoncées par Wauquiez sur une manière de partager les tâches tournée vers l'avenir. Les propos de M. Garella concernant le textile pourraient être pris en exemple. A l'instar du textile, un tel partage des tâches existe déjà, mais les politiques (françaises) peinent parfois à suivre. Elles peinent surtout à accepter l'idée que des pays comme le Maroc ont besoin de ces transferts d'activités. Certainement bien plus d'ailleurs que de l'aide publique au développement.