Tout débat libre portant sur la question de la richesse nationale ne peut esquiver les questions portant sur la richesse des gouvernants, notamment sur son caractère légitime et légal. Dans les régimes autoritaires, la positon du gouvernant en haut de la pyramide politique et l'absence de contrôle de ses actes par la justice, par le parlement ou par toute autre institution lui laisse le champ libre pour accumuler une fortune colossale en très peu de temps. Le Maroc ne constitue pas une exception de ce point de vue puisque la richesse accumulée par le roi Hassan II avait fait l'objet d'un vif débat dans les partis du mouvement national de gauche dans les années 1960 et 1970. Ces partis avaient dénoncé l'appropriation par la monarchie de milliers d'hectares de terres agricoles que le Maroc a repris des mains du colonisateur français et dont devait bénéficier le peuple marocain. On sait également que la monarchie s'est appropriée plusieurs sociétés coloniales dont la plus importante est "l'Omnium nord-africain" créée en 1934 par les autorités du Protectorat et investissant dans les secteurs bancaire, touristique, minier et foncier. En outre, le groupe ONA a bénéficié d'avantages dans plusieurs de ses marchés, sans jamais faire l'objet d'un audit financier indépendant et crédible. Même les lois étaient conçues de façon à servir les intérêts privés du roi et sa richesse personnelle, prévoyant par exemple l'exemption fiscale au bénéfice de toutes les entreprises du secteur agricole, y compris les entreprises royales. Plusieurs entrepreneurs et hommes politiques ont gardé un silence complice tout en bénéficiant de leur proximité des centres de pouvoir pour obtenir des marchés douteux dans une économie où l'Etat reste le plus important acteur en termes de volume d'affaires. Le nouveau règne n'a rien changé dans la relation incestueuse entre le pouvoir et l'argent puisque selon la revue américaine "Forbes", la fortune du roi Mohammed VI est passée de 500 millions de dollars en 1999 à 2,5 milliards de dollars en 2015. Séparer argent et pouvoir Même en fermant les yeux sur l'origine de la fortune royale accumulée par le passé, nous avons besoin d'un véritable débat autour de la relation entre richesse et pouvoir, particulièrement la question du conflit d'intérêt qui permet aux affaires royales de bénéficier de privilèges dans plusieurs secteurs. Le Maroc ne pourra pas se démocratiser tant que l'Etat ne mettra pas fin au conflit d'intérêts et tant que les pouvoirs du roi ne seront pas transférés à au gouvernement élu et responsable devant le peuple. En outre, les affaires et les comptes royaux doivent être contrôlés par une institution financière indépendante comme la Cour des comptes comme cela est le cas en Suède, en Norvège, au Royaume-Uni et en Espagne. Depuis la fin du dix-neuvième siècle, la monarchie britannique a donné tous ses revenus à l'Etat en contrepartie de la prise en charge par l'argent public de l'ensemble des dépenses du roi ou de la reine, ainsi que de la famille royale. Grâce à ce système juste et transparent, la monarchie coûte annuellement à l'Etat 32 millions de livres sterling, mais elle verse au budget général les revenus issus des biens royaux d'un montant de 231 millions de livres en 2011. Autrement dit, la monarchie britannique verse annuellement à l'Etat une contribution nette de près de 200 millions de livres sterling, là où la monarchie marocaine coûte au contribuable plus de 2,5 milliards de dirhams. Si le roi représente effectivement l'Etat marocain et sa continuité dés le moment où il monte sur le Trône, il se doit de donner tous ses biens à l'Etat sachant qu'il n'a pas besoin de fortune personnelle et que toutes ses dépenses sont financées par le contribuable marocain. Une telle décision serait une première dans le monde arabe, et contribuerait de manière décisive à la moralisation de l'économie de la vie publique, et serait un premier pas vers la distribution équitable de la richesse nationale.