S'il réfléchit, le pouvoir, au sens plein et structurel du terme, n'est pas dans une mauvaise passe, mais dans une crise profonde dont le dénouement véritable n'est pas proche. On ne navigue pas à vue en haute mer, tous les capitaines avertis le savent. Est-on arrivé en fin d'un cycle ? Le système aurait-t-il épuisé, plus vite que prévu, ses capacités de renouvellement et de réaménagement tout en faisant l'économie de refontes de structures courageuses pour ne pas dire révolutionnaires ? Telle est l'éventualité qui pointe à l'horizon avec le probable retour de Mezouar au gouvernement, je ne dis pas au pouvoir celui-ci étant, tout le monde le sait, ailleurs. Sans grande signification en tant que personne, ce chef du parti des «Libres», comme le prédisait son nom à lui seul, porte avec lui, en lui, les germes d'une déconfiture, d'une flambée aux dégâts insoupçonnés. Mais les chefs parmi nous semblent indéracinables ! La démocratie occidentale a pour force et argument de mettre en retraite anticipée ou en prison, quand la loi l'exige, ses brebis galeuses. C'est le prix de sa durée, et, curieusement, plus on s'éloigne du Sud plus ces choses-là ne sont guère prises à la légère. Dans les pays du Nord, on peut quitter le gouvernement pour une facture de restaurant injustifiée ! Le système politique au Maroc n'en est pas là, loin s'en faut. Au contraire il lui arrive d'extraire la fripouille de prison aux dépens de sa propre crédibilité, à lui, en tant que système ! C'est à se poser des questions sur qui réfléchit à proprement parler dedans. Un système politique centralisé Mais au-delà de cet aspect, le système se fait à tort bien des illusions sur lui-même, non pas celles se rapportant à sa faible propension à la démocratie, qui, entre nous, lui importe peu, et suppose par ailleurs des idéologies en constante confrontation, des groupes opposés et en lutte avérée pour l'alternance. Le système marocain, excessivement centralisé pour l'élaboration de ce qui semble ses projections stratégiques, avec les risques inhérents qu'un tel choix suppose, nourrit des illusions sur ses capacités «légendaires» à composer, à intégrer, à émousser les différences. Ne l'oublions pas, il fut longtemps une société tribale, segmentée, avec à sa tête un pouvoir centralisé, et il traîne encore semble-t-il avec lui, la nostalgie de cette totalité éclatée. Il pouvait, il est vrai, auparavant, transcender les différences, apparentes ou non, entre les groupes, pour les coiffer, les rapprocher et les contraindre quasiment à composer. Aujourd'hui, il n'a plus les moyens de cette régulation parce que les choses ont changé, parce que la société a changé, parce que les acteurs et les leaders politiques ne se constituent plus selon la même genèse, n'évoluent plus selon le même processus. La société civile, malgré sa pâleur et ses faiblesses, est plus présente qu'on ne le pense et fausse le jeu et les compromis des élites. Elle s'invite dans leurs disputes et dans leurs discours dont elle nourrit les diatribes les plus osées et les plus violentes qui leur sont précieuses électoralement et dans les négociations avec les maîtres du lieu. Un PJD enlisé Le PJD, emporté dans ses envolées, s'est laissé prendre à ce piège parce qu'il n'a pas encore digéré les mécanismes du pouvoir. Son interpellation des crocodiles et des fantômes n'est qu'une reconnaissance naïve de son échec sur ce plan. Le voilà qui s'enlise dans les sables mouvants auxquels n'avaient pas échappé ses prédécesseurs. Il a commencé à petites doses en dénonçant les festivals, entre autres, avant de faire marche arrière de façon éhontée. Mais là, il avale des couleuvres grandeur nature en ravalant son arrogance vis-à-vis de la corruption et du fasad, et en envisageant le retour de Mezouar au gouvernement sous la houlette du PJD qui n'en est déjà plus une. Mais le PJD n'est pas une fin en soi, et cet épisode sera très important dans son itinéraire. Beaucoup d'illusions vont se dissiper, beaucoup de frères seront déçus, et les conséquences en sont imprévisibles sur l'évolution des composantes de l'islamisme dans notre pays et la radicalisation de ses prières. Le grand problème, de loin le plus important, est l'efficacité du système, l'avenir de la société. Système en fin de course À la place de la monarchie je m'inquiéterai. Car les partenaires mobilisés sont en panne qui ne sont pas en mesure d'assurer l'équilibre ou même d'en produire l'illusion. Autrement dit le système se mord la queue, il est au bout de son cheminement et il reprend les mêmes tournants, les mêmes semblants de solution. La classe politique est décidément sans horizon parce qu'elle n'en a jamais eu. Elle est aux abois qui ne parvient même pas à faire semblant de jouer à la démocratie. Au mépris de l'intelligence et d'une société désormais aux aguets, on prend les mêmes, on reprend les mêmes, jusqu'aux plus pourris d'entre eux pour recommencer. On fait ainsi du surplace. Les solutions sont ailleurs dans les grandes réformes économiques et sociales avec un Etat puissant et mobilisateur. L'Etat présent lui, ne l'est pas. Le PJD dans ce schéma en prend pour son grade, il fait appel contraint à d'autres, rompus aux couloirs du pouvoir, mieux cravatés et moins complexés dans la gestion des conjonctures et de l'«ingouvernance». L'arrivée de Mezouar dont le nom rappelle le souvenir des anciens chefs de tribus, de clans, des mezouars, nous rappelle que nous ne sommes pas sortis de l'auberge, celle où nous n'avons que trop longtemps tardé.